Le cinéma d'horreur est en soi une niche culturelle, qui rentre dans ce que l'on appelle le cinéma de genre. Mais il est lui-même composé de plusieurs sous-genre encore moins connus, comme le Giallo. Ce genre apparu dans les années 70 a eu une importance cruciale sur le développement du cinéma gore alors même qu'il n'est que très peu considéré par la critique, au delà de la fameuse intelligentsia du 7ème Art. Il était donc temps de lui rendre toutes ses lettres de noblesse sanglante avec son plus grand représentant : Dario Argento !
L'enfant de la balle
Dario Argento va naître en 1940 à Rome et sera dès sa jeunesse confronté au monde du cinéma. Sa mère Elda Luxardo, photographe de mode brésilienne, lui permet de rencontrer tout le gotha romain de l'après-guerre, son père Salvatore Argento, en sa qualité de producteur, lui permet de se familiariser avec les différents corps de métier du 7ème Art. Alors qu'il n'est pas encore adolescent, le jeune Dario sait déjà comment se servir d'une caméra de cinéma.
Cependant, rentrant en conflit avec son père et plus largement avec le système, il va tout quitter alors qu'il est au lycée, va faire son baluchon et partir sur les routes d'Italie. C'est là qu'il va commencer à théoriser sur le passif culturel des villes. Il va ensuite décider d'aller encore plus loin et poursuivre son voyage dans toute l'Europe. Toujours fâché avec son père, il doit se débrouiller seul pour survivre et deviendra un pro des petits boulots, comme lorsqu'il est plongeur dans un bistrot parisien.
Désormais jeune adulte, il rentre à Rome et décide d'écrire sur le cinéma qui le passionne toujours autant. Il deviendra ainsi critique pour le compte du Paese Sera, quotidien local. Il affiche dans ses théories son obédience pour un nouveau cinéma, trouvant notamment un écho à ses pensées dans les films de la Nouvelle Vague et voue une véritable admiration à l'encontre de François Truffaut. Il apparait rapidement comme un réformateur, dénonçant notamment les vieilles règles du cinéma qui sont alors sacro-saintes. Il s'attaquera aussi régulièrement à la censure qui est dans les années 60 encore très prégnante.
C'est à cette époque qu'il va faire la rencontre des trublions qui sont en train de faire de Cinecittà l'une des places fortes du cinéma mondial. Des réalisateur dont il se sent proche et qui vont profondément l'influencer comme Mario Bava (l'inventeur du Giallo dont on reparlera plus tard), Michelangelo Antonioni, Federico Fellini et Sergio Leone, ce dernier ayant même une importance cruciale dans la carrière d'Argento.
Le critique qui a pris goût à l'écriture va alors s'investir lui-même dans le cinéma de son époque en écrivant son premier scénario en 1967 pour le compte d'Alberto Sordi. Essai confirmé dès l'année suivante avec Robert Hossein qui lui demande d'écrire Une Corde, un Colt..., son premier western. Il montrera par la suite tout son goût pour l'horreur en collaborant régulièrement pour Umberto Lenzi, notamment avec le scénario de La Légion des Damnés.
Redéfinir le cinéma
C'est en 1969 que sa carrière va prendre un tournant radical, quand Sergio Leone, déjà consacré grâce à des films comme Le Bon, la Brute et le Truand, va lui demander d'écrire avec Bernardo Bertolucci (qui réalisera plus tard Le Dernier Tango à Paris, Le Dernier Empereur ou Little Buddha) le scénario d'Il était une fois dans l'Ouest. Le film sera un succès immense et ouvrira suffisamment de portes à Dario Argento pour qu'il puisse lui aussi se lancer dans la réalisation de ses propres films.
Devenu un ami très proche de Bertolucci, c'est grâce à ce dernier qu'il va découvrir le roman Screaming Mimi de Fredric Brown. N'ayant pas les moyens d'acheter les droits du livre, il va s'inspirer de l'histoire pour créer L'Oiseau au Plumage de Cristal, son premier film et qui sera aussi son premier long-métrage horrifique. Rabiboché depuis peu avec son père, il créé avec lui une société de production pour permettre de sortir le film. Celui-ci bénéficiera d'une exposition aussi macabre que profitable au réalisateur, un tueur en série ayant des méthodes proches de celui du film sévissant alors en Italie.
S'inspirant fortement de Mario Bava, il va lui aussi se lancer à corps perdu dans le Giallo. Ce genre inspiré par les polars qui sortent alors sous une couverture jaune ("giallo" signifiant "jaune" en italien), ultra-violent et malsain à souhait. Surtout, c'est un genre qui va permettre à Argento de traiter des scènes de meurtres sanglantes de façon très graphiques, empruntant ses codes au grand-guignol autant qu'à l'opéra, sur des musiques innovantes. Il rencontra Ennio Morricone en travaillant avec Sergio Leone, le compositeur accrocha bien avec le jeune réalisateur et lui proposa de faire la musique pour un cachet bien moindre de ce qu'il prenait habituellement. C'est lui aussi qui lui conseillera après le groupe Goblin, qui composeront la plupart des bandes-son de la filmographie de Dario Argento.
Ce film ne se fit pas sans peine, puisque pour pouvoir financer son tournage, les Argento père et fils se sont associés à un producteur pour le moins véreux qui essaiera de débarquer Dario dix jours à peine après le début de la production. C'était sans compter sur le soutien déjà important que le réalisateur avait dans la profession (cela restera une constante dans sa carrière, où les artistes se montrèrent souvent solidaires avec lui en dépit des attaques répétées de la censure et des producteurs).
Pas dégoûté pour autant, Dario Argento va mettre sur pellicule deux nouveaux films juste après son premier essai, Le Chat à Neuf Queues et Quatre Mouches de Velours Gris. Ces trois premiers long-métrages composeront ce qu'on appelle désormais sa trilogie animale. Ils redéfiniront le genre, mettant l'emphase sur le mystère angoissant entourant un assassin qui traque sa cible avant que l'on ne découvre son identité dans un final choquant. Tous les trois très violents, ils sont surtout le prétexte à une expérimentation visuelle qui sera marquante au plus haut point à l'époque, par le choix de ses couleurs tranchées et la science du contraste que le réalisateur montre déjà.
Ne souhaitant pas s'enfermer dans un seul genre, Argento réalise en 1972 une comédie, Cinq Jours à Milan. Peine perdue, il faut reconnaitre que ce film est assez proche d'une purge totale, on a même de la peine à reconnaitre la patte de son auteur, qui doit se faire alors une raison sur ses envies d'aller sur des chemins inédits. Il revient donc dès l'année suivante avec Les Frissons de l'Angoisse, qui rassure sur le talent du bonhomme puisque ce long-métrage a tout du chef-d'œuvre. Une enquête angoissante où le personnage principal est tout à la fois victime et suspect, et qui est subtilement construite grâce au principe de la perception subjective. Un véritable tour de force sur un rythme lent et oppressant qui marquera sa première collaboration avec le groupe Goblin.
Il coécrit ce film avec Daria Nicolodi, qui est alors aussi sa compagne et qui donnera naissance la même année de la sortie de ce film à Asia Argento, fille adorée de son père et surtout une grande artiste en devenir. C'est aussi avec elle qu'il va écrire son prochain film qui le verra évoluer vers un nouveau genre.
Se réinventer
En 1977, Dario Argento s'éloigne du Giallo pur et dur en s'aventurant dans le cinéma fantastique avec Suspiria. Ce passionné d'ésotérisme a en effet en tête de faire une trilogie sur les sorcières imaginées par Thomas de Quincey et va mettre sur pied un long-métrage en forme de long cauchemar. D'ailleurs, le rythme lent et apparemment décousu du film est une volonté de donner un aspect aussi onirique qu'effrayant à son film. Même s'il se lance dans un nouveau genre, il n'oublie pas d'où il vient et des scènes de slasher bien sanglantes sont tout de même à noter dans un métrage qui emprunte aussi bien à l'expressionnisme et ses couleurs puissantes qu'à la narration du conte.
Petit chef-d'œuvre d'horreur, ce film va attirer l'attention d'un certain George A. Romero qui vient de finir de mettre en boîte La Nuit des Morts-Vivants. Il contacte alors l'Italien pour qu'il l'assiste sur le scénario et la réalisation de la suite, Dawn of the Dead (Zombie en français). Il va aider le cinéaste américain à atteindre de nouveaux sommets de gore (si bien que le film sera censuré en France), donnera de nouvelles orientations graphiques aux représentations de scènes de massacre et lui fera rencontrer Goblin qui vont composer la musique du film.
Il revient après cela en Europe pour continuer la trilogie des sorcière avec Inferno. Il ira encore plus loin qu'avec Suspiria dans son approche purement graphique, visuelle, de l'horreur. La narration est ouatée, comme entraperçue en rêve/cauchemar, et les plans successifs composent des tableaux aux couleurs vives et angoissantes. Il va aussi aller de plus en plus du côté surnaturelle de l'horreur, alors que son précédent film était encore très empreint de scènes de slasher.
Dario Argento réalise ensuite Tenebrae et Phenomena (où l'on découvre une toute jeune Jennifer Connelly) où il délaisse la narration onirique pour tenter de mêler au mieux Giallo et fantastique. Cependant, ces films seront encore une fois mésestimés par la critique à leur sortie, et attireront en plus sur eux les foudres des censeurs de tous bords. Argento fait alors une pause et décide d'écrire des scénarios pour Lamberto Bava, bouclant la boucle puisque ce dernier n'est autre que le fils de Mario Bava qui a tant inspiré le réalisateur.
De nouveaux horizons
Il retourne derrière la caméra en 1987 pour Opéra et connaitra son premier véritable development hell dont il sortira épuisé (et qu'il mettra sur le compte de la malédiction pesant sur MacBeth qui se jouait à se moment-là à la Scala de Milan où il tournait) et un peu dégoûté de la réalisation. C'est son ami George Romero qui va lui remettre le pied à l'étrier en lui confiant un segment du film à sketch Deux Yeux Maléfiques qui adapte des nouvelles d'Edgar Allan Poe. Après cela, il va réaliser son premier film hollywoodien avec Trauma, où il essaie (pour un résultat qui faut avouer mitigé) de mettre le Giallo au goût américain.
Il va alors retourner en Italie pour créer à nouveau la polémique avec Le Syndrome de Stendhal, film magnifique pourtant mais qui déclenche des critiques car le réalisateur qui a décidé de donner le rôle principal à sa fille Asia lui offre des scènes extrêmement dures voire pénibles à supporter. Pourtant, ni la fille ni le père ne semblent donner d'importance à ces critiques et préfèrent porter le débat sur l'aspect artistique du film, qui sera le premier en Italie à user de CGI.
Après avoir réalisé sa version du Fantôme de l'Opéra, il retourne en 2001 au Giallo avec un thriller angoissant : Le Sang des Innocents. Bien que loin d'être mauvais, Argento semble se parodier lui-même dans un film auquel il manque le génie qui marquait ses autres incursions dans le genre. Le réalisateur s'en rend compte de lui-même et décide de se réinventer dans Card Player où il va jouer la carte de la suggestion, multipliant avec brio les hors-champs et les sous-entendus. En dépit d'un budget et d'une distribution faméliques, le film est sublime. Il n'aura en revanche aucun succès, le nom de Dario Argento attirant beaucoup moins l'intention ces dernières années.
Qu'importe, en 2007 il met enfin un terme à sa Trilogie des Sorcières en sortant La Troisième Mère où il retrouve pour l'occasion Daria Nicoladi. C'est l'heure des bilans visiblement puisqu'il va ensuite réaliser un film dont le nom est tout un programme : Giallo. Un auto-hommage en forme de blague puisque le long-métrage en question n'est pas un giallo mais un thriller assez classique. Son dernier film est Dracula 3D, version proche du roman de Bram Stocker sortie en 2012 et dont la 3D inutile ne doit pas cacher les réelles qualités du film d'un réalisateur qui a toujours composé sa carrière en réaction au dogmatisme ambiant et qui aura pour cela sacrifié sa popularité au profit d'une réelle vision artistique. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien qu'il est désormais régulièrement cité dans les influences des réalisateurs férus d'horreur mais pas seulement.