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L'Imaginarium #3 : Moon de Duncan Jones

Par Alfro
10 juin 2015
L'Imaginarium #3 : Moon de Duncan Jones

Quand l'immense et démentiellement ambitieux projet de film Warcraft a été confié à Duncan Jones, de nombreux points d'interrogation se sont alignés. Pourquoi Legendary Pictures a confié ce monument de fantasy qu'ILM considère comme son plus gros défi depuis 20 ans à un réalisateur aussi jeune ? Certes Source Code est sympathique, mais ne constitue pas vraiment la carte de visite la plus prestigieuse qui soit. Sauf que la filmo' du fils de David Bowie cache un petit chef-d'œuvre : Moon.

"I hope life on Earth is everything you remember it to be."

Duncan Jones souhaite dans un premier temps s'éloigner du monde du show-business dans lequel il baigne depuis la plus tendre enfance alors qu'il suit son père (qui en a la garde) partout où il va. Il se lance dans des études de philosophie, mais les abandonne alors qu'il est en plein doctorat. Il va finalement opter pour des études de cinéma, média qui obsède ce fan absolu de science-fiction. Jones va faire alors la rencontre d'un autre Britannique qui va devenir son mentor et lui apprendre toutes les ficelles du métier : Tony Scott (le suivant notamment sur le tournage de Spy Games). Il réalise quelques clips et un premier court-métrage, Whistle, où déjà il déclare tout son amour pour la SF.

Fort de toutes ses expériences, le jeune réalisateur monte par lui-même son premier long-métrage en 2009. Avec un budget famélique (seulement 5 millions de dollars, une brindille à l'échelle du cinéma), il porte à bout de bras ce projet. Il montre son scénario à quelques producteurs et tombe au même moment sur Sam Rockwell avec lequel il va rapidement devenir ami et lui proposer le rôle principal de son film. Obligé de se débrouiller avec son petit budget, lui et son équipe vont devoir faire preuve d'ingéniosité. Ainsi, le plateau qui représente les paysages lunaires (très présents dans le long-métrage) ne s'étend en fait qu'à 6 mètres sur 9. De même, il va obtenir de Kevin Spacey qu'il prenne un moindre cachet pour faire la voix de GERTY, l'intelligence artificielle de la base.

Base lunaire, héros solitaire, intelligence artificielle. Vous l'aurez compris, ce film est un hommage évident au 2001, L'Odysée de l'Espace de Stanley Kubrick dont il reprend aussi énormément de thèmes philosophiques. D'ailleurs, Duncan Jones multiplie les références au cinéma qu'il aime dans ce premier film. Ainsi, l'écriture codifiée et la direction artistique rétrofuturiste sont des clins-d'œil avoués à Alien de Ridley Scott. Un autre film du frère de son mentor est aussi invoqué, Blade Runner, dans une révélation que l'on vous laissera le soin de découvrir. Ce ne sont pas seulement des hommages visuels ou scénaristiques, ce sont surtout des emprunts thématiques qu'il développe dans un film à forte teneur en réflexion.

"Gerty, we're not programmed. We're people, do you understand ?"

En effet, Duncan Jones construit toujours ses films sur des concepts métaphysiques, le propos d'un film de science-fiction se justifiant pour lui d'abord par son primat philosophique. L'histoire suit un homme, Sam Bell, employé par une société qui extrait l'hélium-3, seule ressource propre qui permet à la Terre qui connait une grave crise énergétique de ne pas s'effondrer, dans une base lunaire entièrement automatisée. Après trois ans de bons et loyaux services, il s'apprête à rentrer chez lui, mais est subitement pris d'hallucinations qui lui font douter de la réalité dans laquelle il évolue.

Porté par un rythme contemplatif et la musique de Clint Mansell (le compositeur qui travaille sur tous les films de Darren Aronofsky), ce film force le spectateur à s'interroger sur sa propre existence, sur la condition humaine au sein d'une société de consommation qui pousse l'individu à devenir lui-même un produit recyclable. Sauf que Duncan Jones ne porte pas ce message frontalement, mais le laisse s'insinuer au fur et à mesure que l'étrangeté de son long-métrage gagne le spectateur. Une œuvre avant tout intimiste et qui recevra de nombreuses louanges.

Moon sera en premier lieu présenté au Festival de Sundance, qui est le haut-lieu du cinéma indépendant, et y recevra des critiques plus qu'élogieuses. Pourtant, cela ne vaudra pas à ce premier long-métrage une distribution correcte. En France, il ne sortira même jamais en salle alors qu'il obtiendra les prix du jury et du public au Festival de Gérardmer, une référence en la matière pourtant. Il arrivera presque à doubler son budget initial (ce qui n'était en même temps pas difficile) en finissant sa vie à 9 millions de dollars. Surtout, il obtiendra le BAFTA (l'équivalent des Césars/Oscars en Angleterre) du meilleur premier film et se construira une petite réputation. Celle-là même qui lui vaut aujourd'hui d'être à la tête de l'adaptation monumentale du jeu de Blizzard.

L'Imaginarium #3 : Moon de Duncan Jones