Lorsqu'on naît dans une famille déjà passionnée par les produits Lego, difficile d'échapper à la sorcellerie qui se dégage des briques danoises. Duplo, System, Technic, j'ai toujours été entouré de sets Lego, qu'importe leur origine, et j'ai vite été obsédé par l'idée de recréer ce que je voyais au cinéma ou du côté de la bande-dessinée. Il y a quelques années de cela, je tentais donc de recréer la scène du braquage du premier Mission Impossible, et cherchais tant bien que mal à construire un X-Wing à l'aide de ma simple imagination.
Une histoire d'amour
Un temps que les moins de vingt ans ne peuvent effectivement pas connaître, celui où Lego ne comptait pas encore des dizaines de licences dans son catalogue. Mais je n'ai pas eu à lutter très longtemps sur la construction de vaisseaux spatiaux. En 1999, c'est peut-être la plus grosse licence de l'histoire qui rentre dans le catalogue de Lego : Star Wars s'offre des sets pour la trilogie originale, puis pour La Menace Fantôme. La même année, Disney fait également son apparition chez le fabricant danois avec Winnie. En 2001, on rajoute Harry Potter et Jurassic Park, pour la sortie du film de Joe Johnston. Un an plus tard, on retrouve Spider-Man, tardivement contre-attaqué par Warner Bros et des sets Batman en 2006. La deuxième moitié des années 2000 accélère alors la course aux licences, avec du Indiana Jones (2008) du Bob l'Eponge (2009), du Ben Ten (2010) ou encore du Toy Story (2010 aussi) avant d'arriver dans les années 2010, où l'offre déborde désormais de licences, du Seigneur des anneaux (dès 2012) à Minecraft, en passant par toute une gamme consacrée aux super-héros et une autre à Disney.
Lego et les licences, c'est donc une histoire d'amour qui dure, et qui fait jaser bien des fans de la marque danoise. Peut-on vraiment en vouloir à l'entreprise pour toutes ces licences ? Pas vraiment. Quand le monde de l'entertainement ne jure plus que par les licences, il est normal de voir ses produits dérivés emboîter le pas, même si Lego, en ayant attaqué les hostilités en 1999, préfigure, quelque part, la course aux licences. De plus, la marque elle-même se renforce à travers ces licences, comme si Lego profitait de ses contrats onéreux pour mieux se mettre en avant. On peut le voir avec The Lego Movie, une drôle de licence cachée dans un catalogue de licences. Ou même dans la multiplication des supports sur lesquels ces licences sont disponibles : dans des jeux-vidéos (TT games étant occupé une fois par an au moins), des sets de collections (les Lego Ideas et leurs sets Ghostbusters et Retour vers le Futur par exemple), et bientôt dans un Toys to Life (Dimensions, qui ressuscite des noms comme Le Magicien d'Oz). Une offre généreuse qui correspond à merveille à la stratégie du groupe : depuis quelques années déjà, Lego délaisse le segment des 5 à 8 ans pour s'intéresser aux pré-ados et aux adultes, lorgnant ainsi sur la stratégie d'un certain Games Workshop et ses magasins en propre.
Star Wars, le cas d'école
Alors certes, tout ça est très cohérent d'un point de vue marketing, mais qu'en est-il du consommateur ? Je crois que vous l'avez compris si vous lisez ces lignes : il trinque. Toujours plus hélas. On le voit bien avec les sets Star Wars, sans doute parmi les plus populaires de la marque danoise, pour la simple et bonne raison qu'ils parlent à toutes les générations. En 1999, les vaisseaux et engins de la saga de George Lucas étaient reproduits approximativement. Pour vous donner un exemple, un TMT de la fédération du commerce n'était même pas entièrement marron. On trouvait des problèmes de coloris donc, et Lego ne disposait pas encore de toutes les pièces pour rendre parfaitement hommage aux créations de tonton Lucas. Imaginez un peu le chemin parcouru depuis ! S'améliorant d'épisodes en épisodes, Lego a également eu l'occasion de se faire sur la main en remasterisant ses propres sets. C'est ainsi qu'on se retrouve avec plusieurs itérations du X-Wing ou du Faucon Millenium, pour ne citer que les exemples les plus fameux. Mais si la qualité augmente, le prix aussi. Pendant plusieurs années, les améliorations des sets s'accompagnaient d'une inflation assez raisonnable et compréhensible : maintenant que mon X-Wing est à une échelle raisonnable, pourquoi ne pas le payer plus, après tout.
Mais hélas, le repositionnement de Lego sur le marché s'est accompagné de prix plus élevés encore ! Forcément, si on s'adresse aux adultes et aux adolescents, dont le porte-monnaie est généralement plus rempli, autant se faire plaisir. Malgré quelques innovations plutôt cools, comme les Battlepacks qui contiennent des troupes et un petit véhicule pour moins d'une quinzaine d'euros, les prix vont donc en grossissant. La marque camouflant à peine la nature prohibitive de son pricing en ajoutant quelques minifigures dans les sets. Aujourd'hui, la plupart des boîtes Star Wars sont en effet généreuses en personnages, histoire de masquer l'inflation nerveuse des prix. Et en 2015, Lego s'apprête à franchir un nouveau cap avec des sets The Force Awakens qui ont du être négocié à prix d'or. En récupérant la licence, Disney a logiquement dû remonter le prix d'exploitation de Star Wars en produits dérivés, et on le sentira dès le 4 "Force Friday" prochain, lorsque les sets consacrés à la saga, par rapport à leur contenu, auront pris près de 25 euros d'augmentation.
D'Indiana Jones à Jurassic World, des anomalies
Pourtant, quelques exceptions subsistent, du bon comme du mauvais côté. Les sets Indiana Jones, qui firent leur apparition en 2008, étaient par exemple de vrais bijoux. La licence n'était pas encore revenue sur nos écrans, et le prix des boîtes était donc plus que raisonnable, surtout une fois ramené à leur contenu. Riches en minifigs et en détails, les sets consacrés aux films d'Indy étaient l'affaire du siècle.
Contrairement à ceux de Jurassic World, par exemple ! Moins de la moitié de cette gamme doit être inspirée par le film, et Lego s'est contenté de calquer des skins tirés du film de Colin Trevorrow sur sa précédente série pleine de dinosaures, que les fans connaissent sous le nom simple mais efficace de DINO. Une honte sachant que les sets sont proposés au prix fort, malgré leur contenu chiche et leur manque total d'inspiration. Prouvant, s'il fallait encore le prouver, que l'escalade des licences peut être particulièrement nocive, et pour emprunter une expression anglaise, brainless.
De briques et de broc
Autant vous dire que récemment, l'horizon n'est pas tellement dégagé. On l'a vu avec des sets Lord of the Rings, qui sont de loin les produits sou licence les plus chers de l'histoire de la marque. Et pourtant, ils ont fonctionné, grâce à leur conception directement adressée aux collectionneurs adultes : pas de briques superflues ou conçues pour le jeu, mais un maximum de fidélité permettant de masquer un prix d'entrée sans précédent. Tout s'accélère donc, y compris du côté des erreurs, comme on peut s'en rendre compte deux fois par an avec les sets Marvel Studios, qui manquent très clairement de finitions. Plus récemment encore, des sets Star Wars Rebels étaient tout simplement incompréhensibles, car bloqués dans des histoires d'échelles assez douteuses - un transport de troupe assez balèze dans la série se transformait en un vulgaire speeder, par exemple. Maintenant, on pourrait expliquer ces incidents de parcours par des délais ou des images de références insuffisants. Mais quand on est la première marque de jouets dans le monde, et l'entreprise ayant détrôné Ferrari de la pole position des marques ayant le plus de notoriété, ça fait tâche.
Les multiples camouflages (fidélité, agrandissement des échelles, hordes de minifigs) perpétrés par la marque danoise ne suffiront pas à nous éloigner de ce constat : il y a toujours plus de licence chez Lego, sur toujours plus de supports, et pour toujours plus cher. Une accélération assez inquiétante pour les consommateurs, mais qui restera secondaire tant que le message de la marque reste intact : just imagine, disait le slogan de l'entreprise il y a quelques années encore. Le succès de The Lego Movie, plein à craquer de licences, nous a prouvé l'année dernière que sets "simples" et sets sous licence pouvaient cohabiter, de la plus belle des manières, tant que l'idée originale reste authentique. En espérant que le développement colossal des licences à Hollywood ne finisse pas par jouer des tours à une marque que beaucoup portent dans leur cœur.