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Utopiales 2015 : L'interview de Christopher Priest

Par Alfro
25 novembre 2015
Utopiales 2015 : L'interview de Christopher Priest

Les Utopiales 2015 auront encore été l'occasion de croiser certains des plus grands et intéressants auteurs de la science-fiction mondiale.

Après l'interview de Mike Carey, nous vous proposons celle d'un autre écrivain anglais qui prenait part lui aussi à la compétition officielle du festival nantais, avec son dernier roman : L'Adjacent. Le romancier Christopher Priest compte cinquante ans de carrière, mais de son aveu même, c'est véritablement l'adaptation du Prestige par Christopher Nolan qui lui aura enfin valu un peu de notoriété.

Nous sommes donc allés à sa rencontre pour discuter de cela, mais aussi de son dernier roman bien sûr, et des problématiques que cette œuvre (publiée chez nous par Denoël) très actuelle soulève. Un quart d'heure d'entretien avec un auteur aussi aimable que talentueux.

• Pourquoi avez-vous commencez à écrire ?

Déjà, j'ai passé toute ma vie à lire. Quand j'étais adolescent, je faisais des petits boulots, des boulots de merde, et j'ai commencé à écrire. Pour moi, écrire c'est aussi naturel que boire de l'eau. C'est juste une chose normale, cela fait partie de moi. J'ai grandi en écrivant.

• Pourquoi la science-fiction ?

Parce que, pour moi, c'est la fiction la plus excitante, la plus motivante, un challenge de tous les jours. Je ne saurais pas faire de la littérature comme Jane Austen (rires).

• Quand vous jetez un regard en arrière sur votre carrière, que pensez-vous de ce que vous avez fait, eu envie de faire et ce que vous n'avez pas pu faire ?

Je n'ai jamais vraiment eu de plan. J'aime juste lire et écrire. J'ai bien sûr eu une vie en dehors, mais ma passion a toujours été la littérature. Quand je regarde en arrière, j'ai dû faire quatorze romans, ce qui n'est pas beaucoup puisque cela fait cinquante ans que j'écris. Cela ne fait pas beaucoup de livres, mais à chaque fois j'ai le sentiment d'avoir fait du mieux que je pouvais. Maintenant, quand je regarde en arrière, je me dis que peut-être j'aurais pu faire mieux, mais sur le moment je faisais de mon mieux. J'ai donc la conscience claire là-dessus.

• Votre dernier roman, L'Adjacent, porte sur les problèmes du monde actuel. Votre vision évolue constamment et nourrie votre littérature ?

Mon second roman, Le Rat Blanc, décrit l'Europe alors que des millions de réfugiés s'y déversent. Je ne dis pas que j'avais tout vu venir, on ne peut pas prédire comment les choses vont tourner. Vous faites juste des suppositions, mais à la fin cela reste de la fiction.

• Donc, ce que vous décrivez dans votre dernier roman, le Royaume Islamique de Grande-Bretagne...

(Finissant la phrase) Peut-être que cela arrivera. Peut-être pas.

• Michel Houellebecq dans son dernier roman, Soumission, décrit une France sous un gouvernement islamique. Cela provoqué de nombreux débats ici, on l'a notamment taxé de fascisme.

 
J'ai lu Soumission, il y a trois semaines. Je pense que Michel Houellebecq est un idiot. (Haussant la voix) Je le dis encore, je pense que Michel Houellebecq est un idiot. Il a fait une grosse erreur. Il pense que la France va devenir l'Arabie Saoudite.
La France comme de nombreux pays a une culture catholique, du moins abrite de nombreux catholiques, comme l'Irlande, la Pologne ou les Etats-Unis. Mais ce ne sont pas tout à fait les même. Tout comme l'Islam de l'Arabie Saoudite, celui de la Malaisie, ou l'Indonésie, qui est le pays islamique le plus peuplé, ne sont pas les mêmes. En Europe, on a des pays islamiques avec l'Albanie ou la Bosnie. Chacun de ces pays ont des gouvernements différents.
Si la France avait un gouvernement islamique, vous pouvez être sûr que cela ne changerait pas beaucoup. C'est comme cela que je vois les choses. Dans mon roman, la Grande-Bretagne a un gouvernement islamique, mais ils jouent toujours au cricket, ils boivent toujours de la bière, les Anglais restent qui ils sont. Si l'on considère que l'Arabie Saoudite a un régime dangereux, ce n'est pas pour son côté islamique, mais à cause des choix de son gouvernement.


• Votre roman traite d'un futur possible, mais sur le climat, je vous trouve très précis, bien renseigné. Avez-vous fait des recherches sur les prévisions de ce que sera le climat de demain, sur le réchauffement planétaire ?

Si vous écrivez sur le futur et que vient la problématique du réchauffement climatique, vous avez trois solutions. Vous pouvez l'ignorer. Vous pouvez le résoudre. Ou vous pouvez essayer de le décrire.
Je ne peux pas le résoudre. Aussi, je ne pouvais pas l'ignorer. Alors il ne reste plus qu'à le décrire. C'est le plus gros problème dans le monde, plus que tout autre chose au monde. C'est la fin du monde et il faut faire quelque chose. Il va bientôt y avoir la COP21 à Paris. Il y a beaucoup de conférences sur le climat. Mais cela ne change rien parce que les politiciens sont des connards (rire sans joie). Je pense que les migrants sont des gens qui vivent dans des pays qui sont déjà devenus invivables à cause du réchauffement climatique. A cause de la guerre et d'autres choses horribles aussi. Mais dans dix ans, ce sera tellement pire. En Grande-Bretagne, nous avons maintenant des endroits où l'on peut faire pousser des ceps de Champagne. C'est incroyable ! C'est à cause du changement climatique.


• Que pensez-vous de l'adaptation du Prestige ?

Je l'ai bien aimé ! Je pense que c'est le meilleur film de Christopher Nolan avec Memento. Il est devenu trop grandiloquent dans ses films. Il aime jouer avec Hollywood, les effets spéciaux, les grandes stars. Je pense qu'il serait plus pertinent s'il était moins dans la surenchère. Il aurait pu devenir le nouveau Hitchcock, le nouveau Truffaut, ce genre de standard de haute qualité. A la place, il est devenu un ennuyeux faiseur de blockbusters. Mais cela reste ses décisions.

• Oui, mais je pense que dans le paysage des blockbusters, Christopher Nolan reste une bonne chose. Il fait des blockbusters certes, mais des blockbusters plus intelligents que ses congénères.

Le problème avec Hollywood, c'est que tout est toujours à propos de l'argent, et non à propos du cinéma. Vous savez, j'ai choisi Nolan pour faire mon adaptation. Je voyais en lui un cinéaste très prometteur. A la base, c'était Sam Mendes qui avait été choisi pour le faire. Pour moi, le cinéma est quelque chose de passionnel.
Il y a pas longtemps, j'ai vu Sils Maria d'Olivier Assayas, avec Juliette Binoche. C'est un film brillant ! C'est du cinéma !

• Quels ont été les changements dans l'édition depuis vos débuts ?

Je ne sais pas vraiment. C'est un business. Et je n'y participe pas vraiment. Ils prennent mon livre et le publient. En Angleterre, je suis publié par Hachette, mais je n'ai jamais vraiment été en contact avec eux. C'est de plus en plus commercial. Ce n'est pas forcément pire, c'est un angle différent. A chaque fois que je rencontre un éditeur, il me dit à quel point les choses vont mal, mais je crois que c'est pour me payer moins (rires). Je n'ai jamais rencontré un éditeur qui m'a dit : "c'est le bon moment !". Ils se plaignent tout le temps.

• Alain Damasio nous a dit que qu'écrire un roman, c'est comme envoyer une bouteille à la mer. Ce que les gens font de son roman, ce n'est pas vraiment son problème. Il jette des idées, et ne se souci pas de ce qu'elles deviennent, il les laisse faire leur chemin.

Je suis assez d'accord. Cela s'apparente à la chance. Dans ma carrière en particulier, j'ai toujours été capable d'écrire ce que je voulais écrire. Ce qui est une chance. Je n'ai jamais fait beaucoup d'argent, je ne suis jamais devenu célèbre. Mais j'ai été très heureux de pouvoir en vivre. Pendant cinquante ans ! Cela me suffit. Beaucoup d'auteurs n'y arrivent pas, ce n'est pas facile.

• L'adaptation du Prestige a un peu changé ça ?

Le film a fait une grosse différence ! Maintenant j'ai des cartes de crédit (rires) !

Sur ces paroles, il file vers le panel auquel il doit participer et pour lequel nous l'avons déjà mis en retard. Il prendra tout de même le temps de nous saluer avec toute sa gentillesse et politesse, prouvant encore que le flegme britannique n'est pas qu'une légende.