1.
| L'Étoile Noire originale
Vous l'aurez remarqué au titre de ce dossier, je préfère utiliser le terme Étoile Noire pour désigner la première station spatiale de combat de la saga Star Wars, bien que la version originale et le nouveau canon l'appellent plutôt Death Star (soit littéralement Étoile de la Mort, en français) là où le second engin répond au nom de Death Star II (soit Étoile de la Mort II). C'est sans doute une question d'habitude - née des "erreurs" des traductions françaises de la saga - mais j'ai tendance à croire que ces deux noms traduisent aussi une hiérarchie entre les deux engins. On pourrait même voir le terme "Mort" comme un reflet de l'aspect squelettique (en réalité lié à sa construction et non à des dégâts) de la seconde Death Star. Mais cessons de théoriser sur son nom, parlons plutôt de l'engin lui-même.
Sa forme est déjà intéressante puisque fondamentalement, elle jure avec l'aspect anguleux de tous les autres designs impériaux, à l'exception du cockpit du TIE Fighter, peut-être. Un écart esthétique que George Lucas lui-même n'a jamais renié, expliquant que des concepts à l'allure plus anguleux ne fonctionnaient pas à l'écran, alors que le design sphérique était parfait. Notamment parce qu'il permet aux spectateurs et aux personnages de confondre cet engin avec une planète à part entière. En revanche sa couleur est bien plus impériale dans l'âme puisque notre Étoile Noire est en fait grise, dans des tons qui renvoient directement aux TIE Fighters et plus tard, aux véhicules terrestres de l'Empire comme l'AT-AT. Mais comme on peut le voir dans les premiers concepts de Ralph McQuarrie, dont nous reparlons très bientôt, ce gris n'a pas toujours été de mise puisque plusieurs dessins présentent l'Étoile Noire vêtue de bleu.
Le travail de Ralph McQuarrie nous rappelle d'ailleurs que si l'engin a rapidement eu une forme sphérique, plusieurs approches furent étudiées lors du développement de Star Wars. Notamment concernant le superlaser et sa position sur l'étoile artificielle. McQuarrie avait ainsi envisagé que l'arme la plus dévastatrice de l'Étoile Noire pointe vers le bas. Une image qu'on retrouve d'ailleurs dans Rogue One, puisque l'engin est présenté "à l'envers" dans plusieurs plans du film de Gareth Edwards, sans doute pour rendre hommage à son design originel. Mais le super-laser n'est pas le seul élément ayant connu quelques modifications puisque l'Étoile Noire aurait pu contenir une sorte de ville à son "sommet" qui devint finalement une "cité des nuages" au-dessus d'Alderaan, avant de prendre la forme qu'on lui connaît aujourd'hui, Bespin, dans l'Empire Contre-Attaque. Cette idée de ville flottante fascinait visiblement Lucas et aurait servi d'étape intermédiaire entre le départ de nos héros pour Alderaan et la mort d'Obi-Wan Kenobi, si le budget avait été au rendez-vous en 1976. Il était même un temps question que Vador et Kenobi s'affrontent dans cette cité volante entre la planète et le gigantesque engin.
Plusieurs scénarios de Star Wars et quelques concepts auraient donc pu déboucher sur une Étoile Noire beaucoup moins iconisée. Le fameux "trench run" qui voit les pilotes rebelles tenter de placer des torpilles à protons dans un point faible de la structure n'a par exemple pas toujours été d'actualité, et il était un temps question d'une bombe placée par C3PO et R2-D2. Heureusement, les différents passages des chasseurs, inspirés de plusieurs films sur la seconde guerre mondiale comme Les Tigres Volants, Les Diables de Guadalcanal ou La Bataille d'Angleterre ont su amplifier les dangers incarnés par l'Étoile Noire, qui peut être analysée, symboliquement, de plusieurs manières.
Comme nous le disions il y a quelques jours, George Lucas était un temps destiné à réaliser le film sur la Guerre du Vietnam qui deviendra Apocalypse Now. Et il ne s'en cache pas, les complications qui l'ont éloigné de ce projet n'ont pas balayé ce qu'il comptait dénoncer dans le métrage. Simplement, ses opinions ont été transposées dans un univers de science-fiction. L'Étoile Noire incarne ainsi, et à merveille, la supériorité technologique des Etats-Unis lorsqu'ils partent en guerre face au Viet-Cong, qui tout comme les le rebelles, sont des guérilleros utilisant des techniques audacieuses pour l'emporter. Par ailleurs, en se révélant au public en pleine Guerre Froide, l'engin peut également être vu comme un reflet de la peur de l'arme atomique, bien que Lucas se soit d'avantage exprimé sur la métaphore avec le Vietnam que sur la comparaison avec la course à l'armement. Et pourtant, l'espionnage puis le sabotage des rebelles n'est pas sans rappeler la Guerre Froide, comme le prouve également Rogue One et la planète Scarif, sorte de Los Alamos de l'univers Star Wars, au climat qui n'est pas sans rappeler Cap Canaveral, haut lieu de la conquête spatiale. Comme quoi, les liens entre l'Étoile Noire et l'histoire continuent de s'écrire encore aujourd'hui.
2.
| L'Étoile de la Mort
Comme son aînée, l'Étoile de la Mort ou Death Star II est avant tout une maquette crée par Johns Stears. Au sein de la diégèse de Star Wars, elle est plus terrible encore que la première station, mais profite des mêmes astuces des équipes dépêchées par George Lucas. Les deux engins ne sont donc pas si éloignés, fondamentalement, puisque des matte paintings et des maquettes de sections bien spécifiques permettent à l'Étoile d'impressionner les spectateurs et les personnages la contemplant.
Malgré tout, dès la sortie du Retour du Jedi, en 1983, nombreux étaient déjà les fans et les spectateurs à critiquer la redite après une première super-arme de destruction massive dans le final du tout premier Star Wars. Même du côté de la production, on doutait de l'intérêt d'un McGuffin (argument qui sert de fil rouge à l'intrigue) aussi gros, et le retour de l'arme n'est sans doute pas pour rien dans le départ du producteur Gary Kurtz, impliqué sur les deux premiers films, qui trouvait le concept d'une seconde Étoile Noire stupide. Mais Lucas s'était accroché à l'idée, et les maquettistes et autres spécialistes des effets spéciaux étaient pressés d'utiliser de nouvelles techniques pour donner vie à cet engin, à l'allure incomplète. Et pour cause, l'Étoile de la mort n'est pas encore terminée lorsque Le Retour du Jedi débute.
A n'en pas douter, la récurrence d'une super-arme permettait à George Lucas d'intensifier la métaphore. De montrer que l'histoire se répète, parfois presque grossièrement. De plus, au sein du film, la construction de l'Étoile de la Mort est une occasion en or pour les Rebelles, qui entendent faire d'une pierre deux coups en détruisant l'engin et en assassinant l'Empereur, venu superviser sa construction pour augmenter le moral des troupes. L'idée n'est pas mauvaise, et à même un certain sens tactique. Mais il fallait bien donner à nos héros une chance, d'où le fameux bouclier généré sur Endor, véritable talon d'Achille de l'engin.
On pourrait d'ailleurs voir, dans le retour de cette arme de destruction massive, des traits très mythologiques. La première Death Star serait ainsi un symbole historique, une métaphore politique, tandis que la seconde et la répétition qu'elle installe (dans les missions confiées aux rebelles, dans cette notion "talon d'Achille") sonnent comme la morale confrotablement installée dans les meilleures histoires de la mythologie grecque. A mi-chemin entre l'un des travaux d'Hercule (pour les rebelles) et le foie sans cesse dévoré de Prométhée (pour les Impériaux), l'Étoile de la Mort pourrait donc être perçue comme un mythe dans le mythe, un pilier sans lequel les histoires de Star Wars s'écrouleraient.
Et si nous allons peut-être un peu loin dans l'interprétation, il faut croire que le Starkiller de The Force Awakens et un premier spin-off littéralement construit autour de l'Étoile Noire nous donnent raison. Dans l'univers Star Wars, c'est définitivement cette étoile-là qui indique la bonne direction.
3.
| Starkiller, l'imitateur
A ce titre, on comprend très bien pourquoi J.J.Abrams et ses équipes ont opté pour une troisième super-arme pour conclure leur The Force Awakens. Au sein du film, la redite est plus grande que jamais, et on comprend très vite que les scénaristes ont usé de ce retour de l'Étoile Noire, sous une troisième forme, pour conclure plus rapidement et efficacement un film chargé non seulement d'introduire une nouvelle génération de héros, mais aussi de nous expliquer où en est la première.
Et si on peut être dérangée par la présence d'un troisième super-engin de guerre dans The Force Awakens, encore une fois, elle cette présence n'estpas dénuée de sens. Il faut tout d'abord rappeler que les concept-artists invités à travailler sur le film ont commencé à dessiner bien avant l'entrée du métrage en pré-production, donnant à J.J.Abrams et ses équipes une sorte de carburant visuel, dans lequel on trouvait de nombreuses réinterprétations des éléments emblématiques de la saga, dont l'Étoile Noire, mais aussi les sabres-lasers.
Au sein de The Art of The Force Awakens, on peut ainsi retrouver une sorte d'Étoile Noire sous-marine, qui serait en fait des débris de la seconde station qui auraient dérivé sur une planète aquatique, ou encore une super-arme cachée dans le volcan d'une planète. Une approche résolument bio-mécanique qui fut d'ailleurs reprise dans le produit final, puisque la base Starkiller semble avoir tous les attributs d'une véritable planète. Reprendre le concept de l'Étoile Noire en main, c'était donc l'occasion de se réapproprier l'un des plus grands mythes de la saga, de le passer en revue. On le voit d'ailleurs assez bien dans le choix des décors "naturels" de la base : enneigés, ils rappellent ceux de Hoth et donc évoquent directement L'Empire Contre-Attaque, et pas uniquement Un Nouvel Espoir.
De plus, en creusant un peu plus loin la métaphore, Starkiller est un véritable symbole. On sait que sous l'ère Disney, les films Star Wars aiment piocher dans les concepts inutilisés par les six premiers films, et le nom Starkiller vient justement du premier nom de famille de Luke, changé en Skywalker pour adoucir le personnage, d'après Lucas. Or, donner le nom d'un Star Wars qui ne fut jamais à un engin de guerre revient peut-être à marquer, symboliquement, la démarcation entre la première ère de Star Wars et la suivante. Presque littéralement, Starkiller tue d'ailleurs ce que la première trilogie avait accompli, en détruisant le système qui sert de capitale à la nouvelle république.
Et même en laissant de côté le poids de Starkiller au sein de la saga, on peut également noter que cette super-arme est plus que jamais le symbole d'une histoire qui se répète. Et en ayant fait du First Order une sorte d'uchronie dans laquelle les réfugiés nazis de la seconde guerre mondiale auraient survécu pour recréer leur système, J.J.Abrams nous met en garde contre un laxisme de confort envers les extrêmes, ici incarnées, ni plus ni moins, par un laser plus géant que les précédent lasers géants. Certes, l'image n'est pas très subtile, et encore moins après le discours Goebbelsien du général Hux, mais elle donne, je crois, un vrai sens à la présence de cette troisième super-arme. Ou du moins, elle incite les spectateurs à la considérer un minimum avant de crier au scandale.
4.
| Un engin mystique ?
Comme on a pu le constater en passant en revue les trois engins de mort emblématiques de la saga, les Étoiles Noires connectent ensemble plusieurs pièces du gigantesque puzzle qu'est Star Wars. Ses influences (le bruit du superlaser est par exemple inspiré d'épisodes de Flash Gordon), ses métaphores politiques et la structure narrative si particulière qu'elle a su inventer au fil des épisodes. Mais les plus attentifs d'entre-vous auront remarqué que l'étoile est totalement étrangère à une facette essentielle de la saga Star Wars : la spiritualité, représentée par le concept de la Force, et dans une moindre mesure, par leurs praticiens, les Sith et les Jedi.
Et pourtant, des connexions peuvent être faîtes entre cette terrible machine et la Force. Et c'est du côté du canon de Disney, dorénavant considéré comme 100% officiel, que les liens ont été ficelés. Si on prend la fin de la saison 2 de Rebels, par exemple, on ne peut s'empêcher de remarquer que le temple Sith de Malachor a tout d'un prototype, certes plus mystique que technique, de l'Étoile Noire. En effet, Ahsoka Tano et Ezra comprennent très vite que le lieu cache en fait une arme antique, sans doute capable de détruire une planète, et qui fonctionne à l'aide d'un Holocron Sith, ces fameuses "clés USB mystiques" de l'univers Star Wars, qui ne peuvent être ouvertes que par ceux qui maîtrisent la Force.
Une installation qui nous ferait presque dire que le plan de Palpatine repose en partie sur la culture ou les légendes Sith, avant de passer par une approche militaire ou scientifique de la chose. Et puisqu'on parle de ces deux approches, il convient également de rappeler que le film Rogue One et le roman Catalyst, qui le précède, ont enrichi la mythologie de l'Étoile Noire à travers les personnages de Galen Erso et Orson Krennic notamment. Encore une fois, les métaphores sont d'ailleurs faciles à tirer puisque Galen Erso est une sorte d'Oppenheimer qui va malgré lui inventer la technologie nécessaire au superlaser de l'Étoile Noire en travaillant sur une source d'énergie propre. Une modernisation assez bien vue, qui remplace la simple course à l'armement, très guerre froide dans le texte, à une course à l'énergie, beaucoup plus actuelle.
De plus, en canonisant officiellement un épisode avorté de Clone Wars qui stipulait que les cristaux Kyber, ceux-là même qui servent de cœur aux sabres-laser, peuvent être utilisés pour des armes autrement plus dangereuses, Rogue One et son roman préquelle font un rapprochement direct entre l'aspect mystique et l'aspect historique de Star Wars : l'arme noble "d'une époque plus civilisée" conçue pour défendre la galaxie partage avec celle chargée de la terroriser un même fonctionnement. Une forme de rime thématique, voire de poésie, que George Lucas lui-même n'aurait pas renié, et qui nous prouve une fois de plus que la légende de l'Étoile Noire s'écrit encore.