La semaine dernière, nous avions l'occasion de revenir en long, en large et en travers sur le coup de tonnerre qu'a été le départ (forcé) de Phil Lord et Chris Miller du second spin-off de la saga Star Wars, consacré à Han Solo. Mais malgré des heures de discussions et des dizaines de lignes couchées sur le papier, une question demeure d'actualité : mais qu'est-ce qui cloche chez les spin-offs de Lucasfilm ?
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Trois spins-offs, trois affaires
Rappel des faits, pour commencer. Il ne datent pas d'hier puisqu'on pourrait considérer Josh Trank (Fantastic Four, Chronicle) comme la première victime de la gamme Anthology ou Star Wars Story de Lucasfilm. Le jeune réalisateur s'était en effet vu privé de son spin-off consacré à Boba Fett suite à une embrouille avec Simon Kinberg, producteur depuis écarté du studio, lui aussi. Seconde affaire : Rogue One, qui a subi de nombreux changements pendant son tournage - notamment du côté de l'écriture - avant de repartir en tournage pendant plus d'un mois l'été dernier. Visiblement sauvé de la catastrophe malgré la sur-médiatisation de ses reshoots, Rogue One trône au-dessus d'un tas d'un milliard de dollars renforcé par des critiques qui le voient - à mon sens à tort - comme le meilleur des films Star Wars depuis l'Empire Contre-Attaque. Malgré ce succès presque inattendu, on aurait pu croire que Lucasfilm aurait appris de ses erreurs en lançant un spin-off Han Solo sans encombre. Manque de pot : le départ de Lord & Miller et surement l'affaire la plus spectaculaire à ce jour.
Trois spin-offs, trois problèmes d'envergure. Alors quelle conclusion faut-il en tirer ? Visiblement, Lucasfilm a un problème avec sa gamme de spin-offs. Un comble, puisque sa présidente, la talentueuse Kathleen Kennedy, avaient indiqué que la saga allait pouvoir se passer d'opus numérotés à l'avenir alors que Rogue One triomphait au box-office. Faudrait-il alors que nous nous habituions à de tumultueuses affaires à chaque nouveau film Star Wars ? Assurément, la saga mérite mieux, et il est temps pour le studio qui la possède de revenir sur sa gamme de spin-offs et de réfléchir à ses objectifs.
Quelle mission pour les spin-offs ?
Très clairement, en choisissant Rogue One comme premier spin-off, Lucasfilm nous indiquait vouloir expérimenter. Même si le film de Gareth Edwards est très connecté aux deux trilogies de George Lucas, adapter un texte déroulant relevait du pur exercice de style, et proposer un film de guerre au cœur de l'univers Star Wars était une promesse assez forte, et finalement tenue - dans une certaine mesure - par le résultat final et son troisième acte explosif. Mais nous ne sommes pas dupes : en recoupant les interviews des acteurs, du réalisateur et les infos pourtant très contrôlées de l'artbook Rogue One, on comprend que le film est parti en tournage sans scénario fixe, et que la production a laissé Gareth Edwards filmer son "documentaire de guerre" comme il aime à l'appeler. Ce qui n'est sans doute pas la meilleure des solutions quand on compte avant tout proposer une histoire qui se tient aux spectateurs.
Mais qu'à cela ne tienne, Edwards et ses équipes semblent avoir eu l'occasion d'expérimenter pendant de longs mois avant de voir leur propre tir être rectifié par Lucasfilm. Et c'est là que réside à mon sens tout le problème derrière les spin-offs Star Wars. Kathleen Kennedy semble avoir le bon goût de choisir des réalisateurs particulièrement doués, jeunes et prometteurs, mais ne dispose apparemment pas de la confiance nécessaire pour les laisser aller au bout de leur idée. Une liberté créative donc toute relative semble être confiée aux metteurs en scène, là où un meilleur contrôle en amont ou tout simplement plus de liberté en aval seraient deux solutions largement préférables. Bref, les spin-offs Star Wars sont un paradoxe cinématographique à part entière : ils doivent expérimenter dans le cadre de la saga la plus populaire mais aussi la plus codifiée de tous les temps. Pas simple !
Une liberté de façade
Pour résoudre ce problème, Lucasfilm semble ainsi laisser à ses réalisateurs un contrôle créatif dans un premier temps, avant des les recadrer dans un second temps. Mais est-ce ainsi expliqué dans le contrat que les metteurs en scène signent ? On en doute fortement. C'est pourtant ce qui s'est passé lors de la production de Rogue One, et l'histoire se répète un an plus tard avec Han Solo. Visiblement, Kathleen Kennedy n'avait pas apprécié la phase de pré-production en compagnie de Lord & Miller, mais leur a quand même laissé une chance d'expérimenter sur le tournage. C'est tout à son honneur, mais hélas, le problème ne s'est pas résolu de lui-même et le conflit a forcément empiré, argent oblige - chaque jour de tournage coûtant très cher, on le rappelle. Résultat, Lord & Miller tenaient à faire leur film, tandis que les scénaristes Lawrence et son fils Jon Kasdan tenaient à faire respecter leur scénario. L'écriture de Han Solo serait d'ailleurs l'une des sources du conflit, les Kasdan ayant opté pour un contrebandier cynique là où Lord et Miller auraient préféré un Coréllien plus comique. Deux écoles, en somme, et l'écriture des Kasdan - il faut dire que Lawrence a écrit les épisodes V, VI et VII de la saga - l'a emporté sur l'improvisation typique des réalisateurs de Jump Street.
Et d'après Entertainment Weekly, Lucasfilm aurait laissé sa chance à Lord & Miller jusqu'au dernier moment. Seulement, les deux bonhommes ayant ignoré les premiers avertissements du studio, pourquoi auraient-ils respecté les suivants ? On imagine facilement un gentil et bonhomme perché (et par ailleurs très jeune) comme Gareth Edwards accepter des compromis sur son film aux côtés de Tony Gilroy, appelé à la rescousse pour les reshoots de Rogue One après avoir aidé le britannique sur Godzilla. Mais Lord & Miller sont des auteurs-réalisateurs et ils ont sans aucun doute envoyé valser l'hypothèse de reshoots et l'arrivée d'un garde-fou créatif en la personne de Lawrence Kasdan. Ils ont même probablement rejeté l'idée avec dédain, sous couvert de leur très bonne réputation, avant de découvrir qu'elle ne les protégeait pas d'un licenciement pur et simple. Résultat, les deux bonhommes se voient donc privés de leur film et de leur vision par un Ron Howard certes très proche de Lucasfilm, mais tellement lisse qu'on a du mal à imaginer un résultat ne serait-ce que satisfaisant pour ce spin-off Han Solo.
Ron Howard, sérum de vérité
Quand un projet peut passer d'un film de Lord & Miller à un film de Ron Howard, il prouve au moins une chose : qu'il n'a aucune idée de ce qu'il veut ou peut raconter. Et ce n'est pas la première fois que ça arrive chez Lucasfilm, en témoigne Rogue One. Maintenant, reste à savoir qui est le "vrai" coupable. Et peu importe les égarements potentiels de Lord & Miller, j'aurais tendance à dire que Lucasfilm est responsable de cette affaire. Pas au sens où il s'agit du grand méchant loup qui vire ses réalisateurs à tour de bras - encore que - mais bien parce que le studio semble enchaîner les projets à l'aveugle. On ne peut pas passer de Lord et Miller à Ron Howard avec un même scénario : c'est une hérésie artistique et industrielle qui se fera sans doute sentir à l'écran en mai prochain. Par ailleurs, il devient urgent de définir quelle est vraiment la marge de créativité tolérée par le studio.
Car du côté de la postlogie, le son de cloche est tout à fait différent. J.J.Abrams à maintes fois expliqué qu'il avait eu le final cut sur The Force Awakens (qu'il avait fait repousser) et encore récemment, Rian Johnson avouait qu'il avait eu carte blanche pour écrire la suite du film, The Last Jedi. Ce qui ironiquement, inquiète les fans et les spécialistes du milieu, qui craignent que la trilogie soit écrite au fur et à mesure ! Personnellement, je trouve intéressante la possibilité qu'un réalisateur puisse définir lui-même les origines d'un Snoke ou la destinée d'une Rey. Il me semble même que cette décision s'inscrit du côté de la créativité et non dans le domaine du contrôle. En tous cas, on ne pourrait trouver une approche plus éloignée des fâcheuses habitudes que prennent les spin-off de la saga Star Wars.
Selon vous, le fait que l'actuelle trilogie #StarWars puisse être écrite au fur et à mesure c'est :
— Thibaut Claudel (@Republ33k) 26 juin 2017
Fallait-il s'attendre à autre chose ? Peut-être. Même si Star Wars est un produit hollywoodien, il n'est pas un produit hollywoodien comme un autre, et jusqu'en 2016, son traitement semblait luxueux et soigné. Désormais, il paraît non seulement brutal, mais surtout hasardeux. Encore une fois, comment Lucasfilm a-t-il pu croire que le Han Solo de Lord & Miller serait celui de Kasdan et Lucas ? En tant que fan de Star Wars, l'idée me dépasse, et je n'ai ainsi que deux conseils à offrir au studio : faire le point sur ce qu'un spin-off de Star Wars peut ou ne peut pas faire - car il devient lassant d'entendre qu'ils sont libres d’expérimenter alors que tout nous prouve le contraire - et s'éloigner des personnages cultes de la saga, qui par définition, seront toujours plus polarisants que des protagonistes mineurs ou inédits, comme nous le rappelle cruellement le cas Han Solo.