DossiersRevenge of the Synth : chronique d'un revival musical
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Revenge of the Synth : chronique d'un revival musical
Par Corentin
15 septembre 2017
La culture ne se vit plus
seulement au présent – vous l'avez remarqué, depuis qu'une batterie de studios
ont décidé de vendre au trentenaire consommateur les souvenirs de son enfance
sous un nouvel emballage, la création moderne aime explorer le passé. Juste sur
cette fin d'année, le public attend ainsi Blade Runner 2049 et le remake de Ça, alors pensez au chemin accompli depuis l'annonce de la relance de Ghostbusters ou la
sortie du nouveau Robocop il y a quelques années.
Plutôt très présente
dernièrement, l'idée de remettre les années 80 au goût du jour passe par toute
une série de niveaux. Parmi eux : la musique, partie intégrante de l'ancrage
dans cette époque perdue puis retrouvée et à laquelle vous n'étiez, si ça se
trouve, même pas encore né. Le succès de séries comme Stranger Things, ou
l'énorme importance de la musique dans la filmographie de NicolasWending Refn en sont des
exemples : avant d'être ramenée par les pontes de plus grosses boîtes, des
œuvres indépendantes avaient déjà lancées le mouvement. A l'image des Hotline
Miami, Kung Fury ou Turbo Kid.
Et si on a moins souvent
l'occasion de parler de musique sur SyFantasy (cet art là étant logiquement moins
narratif qu'un film ou qu'une BD), on peut vraisemblablement parler du boulot
de John Carpenter et de ses descendants comme d'authentiques pans de la culture de l'horreur et de la science-fiction. Et quelques jours après la sortie de New Model, nouvelle exploration synthétisée du génial Perturbator, il était
temps de rendre un hommage (tardif) au rétrpfuturisme musical, aux bande-sons
sur émulateur et à cette scène à part entière qui peine à se trouver un nom.
Vous suivez ?
1
- Vol. 1 : Retrogenesis
2
- Vol. 2 : Future Club
3
- Vol. 3 : Birth of the New Model
1.
| Vol. 1 : Retrogenesis
En
retraçant les origines de cette scène, on retombe généralement sur plusieurs grands noms, ceux
que les artistes modernes revendiquent comme leurs inspirations. Dès 1977, le
groupe de rock progressif Goblin compose pour Dario Argento le score de Suspiria,
un classique dans le répertoire du Giallo.
Si cette scène du cinéma italien est
d’abord célèbre pour ses expérimentations et son esthétisme travaillé (le coloris rose du film aura aussi son rôle à jouer dans l'histoire du genre), Argento
s’attachera à créer une véritable continuité musicale entre ses films, en
travaillant avec Goblin sur un triptyque d’œuvres à la bande son tantôt
agressive, tantôt dérangeante, posant une base qui servira d’inspirations à
toute une continuité de films d’horreur une décennie plus loin - si la carrière
d’Argento vous intéresse, rendez-vous ici pour plus de détails.
Le groupe Tangerine Dream marquera aussi l’histoire du cinéma de son côté, participant à
plusieurs dizaines de scores dans un style souvent plus léger, tandis que la
musique de Blade Runner servira elle aussi de modèle à la représentation sonore
d’un futur cyberpunk sombre et fascinant. L’inspiration de la musique typée
années 80 ne sera cependant jamais plus évidente que dans le travail de John
Carpenter, fils d’un prof de musique et compositeur/réalisateur d’un millier de
classiques entre les deux décennies.
Carpenter
commencera très tôt à travailler sur la musique de ses projets. Il signe le
score de son premier film Dark Star dès 1974 et s’occupera ensuite de la
plupart des suivants : Assault, Halloween, Escape from New York ou Big
Trouble in Little China, associant définitivement le synthétiseur au film de
genre des années 1980 – paradoxalement, le réalisateur avouera plus tard n’être
pas plus fan que ça de l’instrument, surtout utilisé pour créer facilement des
ambiances fortes à faible coût.
L’ensemble
de ces travaux seront compilés dans l’imaginaire moderne, et par des musiciens
souvent fans de l’esprit borne d’arcade ou vidéo club. Plusieurs citeront la
télévision en général comme une influence majeure, et la scène métal au
global, de laquelle ont émergé plusieurs grands talents.
La
popularité du boulot de Carpenter et l’efficacité de ses scores donneront suite
à toute une tendance du film de genre. De son côté, le slasher se développe
dans la continuité d’Halloween et l’euphorie des studios fauchés pour la
science-fiction cyberpunk ou post-apo’ achèveront le travail, en parallèle de
l’explosion de la VHS et du direct-to-video.
C’est
aussi là que se retrouveront les fans modernes : dans l’esthétique des
jaquettes, des affiches de séries B, dans le répertoire horrifique et rétrofuturiste, le cinéma d'action des années Lundgren, Schwarzenegger ou Van Damme et les clips musicaux de la décennie, exagérés et extrapolés pour ne garder que le fluo des néons et la rythmique générale, résumée à une palette de couleurs qui préfère le magenta et une inclinaison pour les routes nocturnes de Miami.
Une imagerie qui amalgame le travail d'auteurs comme James Cameron,
Wes Craven, Walter Hill ou Cronenberg associé aux lubies
ringardes de l’époque comme les robots, les voitures, les mutants ou
l’informatique rudimentaire et ses modélisations 3D.
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2.
| Vol. 2 : Future Club
La scène Synthwave se développe en marge des médias grands publics "classiques" : c'est via le cinéma que le public la découvre et commence à arpenter le web à la recherche de sons postés sur les soundtrack. Pour les amateurs, le courant prend la forme d'un contrepoint intéressant à l'électro’ contemporaine, moins portée sur la mélodie au début des années 2010.
En parallèle, une hype se développe autour du rétro, tant pour le support chez la génération 25-35 qui se remet à consommer du vinyle à l'ombre du gargantuesque marché dématérialisé, que pour le contenu et l'accès à un vivier d'artistes disparus redécouverts par le web. Sans compter un accès aux œuvres facilité.
Le cinéma, les séries TV et le jeu vidéo vont de leur côté faire la meilleure publicité possible aux artistes, suivant de près la relation entre musique et images, certains titres devenant partie prenante du marketing et de l'identité d’œuvres au postulat très marqué.
En 2011,
c’est le réalisateur Nicolas Wending Refn qui remet les années 80 à la mode, avec Drive et son célèbre hymne mélancolique Nightcall en guise d’effigie. Génie des
ambiances visuelles et sonores, le réalisateur emballe dans un scénario de
néo-noir classique toute l’atmosphère d'un cinéma empreint de
néons et de synthés. Le public découvre à la fois le réalisateur, et par la soundtrack, les créations de Kavinsky et College,
deux pionniers de la Synthwave en France.
Avec son bras droit des sonorités Cliff Martinez, Refn construit une continuité musicale via les oeuvres suivantes. Dans Only God Forgives, déconstruction de
l’imagerie du héros sans failles campé par Ryan Gosling, le
compositeur habituel du danois réitère une bande son gorgée de claviers et de lourds effets sonores. Posé sur le combat iconique opposant le héros au personnage de Vithaya Pansringarm,Wanna Fight, reste mémorable.
Martinez
rendra une copie du même ordre avec The Neon Demon, ode à
l’imaginaire référencée à différents genres du cinéma d’horreur, de femmes
fatales et d’éclairages fluos. Et si j'en crois mon brave ArnoKikoo, Lost River, l'essai solo de Ryan Gosling en metteur en scène suit une même ligne, parce que "c'est full de fluo, de synthwave et de fantastique onirique".
Dans la
foulée, Nicolas Wending Refn inspire à un duo de potes suédois un brin dérangés leur
propre "version" de Drive, avec le jeu indépendant Hotline Miami. Jonatan
Söderström et Dennis Wedin, créateurs du très remarqué simulateur de massacre
coloré, iront chercher d'immenses talents de la musique
électronique pour assembler une bande son irréprochable – on retrouvera un certain James
Kent, dit Perturbator, aussi présent sur le second épisode Wrong Number, sur lequel les
développeurs auront aussi le bon goût d’inviter Carpenter Brut et Mitch Murder.
Plus gros
développement, le stand-alone Far Cry 3 : Blood Dragon sera un signe plus loufoque
de l’appétit du public pour les bizarreries typées années 80. Gorgé de
références aux films, jeux vidéo et musiques de l’époque, le jeu se présente
comme un genre d’hommage passionné et parodique sur laquelle s’épanouit l’OST
des Australiens de Power Glove, qui réalisent là encore un excellent boulot. Le titre inspire la création du court amateur Kung Fury (encore une fois, Mitch Murder) ou l’étrange Trials of the Blood Dragon.
La
tendance continue d’affluer dans différentes œuvres post 2010 de façon plus ou moins frontale : le travail
de Disasterpeace sur It Follows, celui de Le Matos sur Turbo Kid aux tonalités
plus pop, et la génération en devenir de l’Amblinsploitation inspirée du succès
de Stranger Things, sursaut de nostalgie et de références aux œuvres cultes de Spielberg, Craven ou Carpenter qui semble déjà inspirer ses propres clones en devenir.
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3.
| Vol. 3 : Birth of the New Model
College
C’est en
France que le synthétiseur se remet à raisonner au milieu des années 2000, une
patrie qui portera certains de ses plus fiers représentants modernes. Vers
2005, le Nantais David Grellier, aussi appelé Mitch Silver en tant que moitié
du groupe Sexy Sushi se lance dans le projet solo College, sorte d’hommage
phonique à une musique disparue. Grellier dédie le projet à une imagerie de soap opéra rétro’, dans de
des compositions plutôt douces ou mélancoliques vues comme de jolies promenades aux morceaux des 80.
Il lance avec des amis artistes le collectif Valerie pour fédérer et promouvoir des
musiciens talentueux au style similaire. Cette enseigne lui servira aussi de label musical à part entière, via lequel il éditera plusieurs 45 tours. Dans les années
2010, l'un de ses morceaux, A Real Hero, est sélectionnée pour la soundtrack de Drive, où il retrouve l’autre grand architecte de la popularité et des codes du
mouvement, Kavinsky.
Kavinsky
De son
vrai nom Vincent Belorgey, Kavinsky se lance au milieu des années 2000 après
avoir reçu l’enseignement du sensei multi-casquettes Quentin Dupieux, connu sur
la scène électro' sous le pseudonyme Mr Oizo. Le jeune DJ sera ensuite repéré par Guy-Emmanuel de Homem Christo, moitié au casque doré du groupe Daft Punk, avec qui il part en tournée en 2006. Quelques années plus tard, c'est encore Christo qui produira son morceau Nightcall, avatar sonore le plus identifié de Drive immédiatement associé au film à sa sortie.
Kavinsky compose un
personnage et un storytelling inspiré de son goût pour le cinéma. Blouson d’époque, Ferrari Testarossa rouge et
idée de zombie mystérieux perpétuellement planqué derrière sa paire de
lunettes, il fera avec Nightcall et son excellent album OutRun le rapprochement entre des artistes déjà en place et un public de curieux, qui redécouvrent avec Drive la classe de la décennie '80.
John
Carpenter
Après
avoir échoué à rester pertinent dans le cinéma des années 90, John Carpenter s’éloigne
progressivement des plateaux de cinémas. Ses œuvres modernes évoluent en
parallèle d’une nouvelle génération de réalisateurs (et de musiciens), et ce n'est que par sa casquette de compositeur que l’homme revient sur le devant
de la scène en 2015. Il compose cette année là l'album Lost Themes, un ensemble de morceaux originaux édité
sous le label indépendant Sacred Bone Records, aussi responsable des essais
musicaux de David Lynch.
Carpenter se plaît dans ce nouvel exercice, de composer une bande son sans imaginer les coûts ou la faisabilité de ses idées. Il en profite pour travailler avec son fils, Cody Carpenter, sur le second album Lost Themes II l'année suivante. Embraçant ce nouveau statut de musicien confirmé, le bonhomme s’instaure en homme de scène avec une tournée mondiale à
succès où s’ajoutent aux musiques originales les thèmes de ses créations
passées.
Paradoxalement,
si Carpenter est une inspiration majeure de Synthwave moderne, il arrive après
que d’autres aient déjà marché dans ses traces. Mais le réalisateur apparaît comme plus
pertinent que jamais dans la remise au goût du jour de ces sonorités "à l’ancienne", avec une empreinte d'autant plus vivace qu'il aura fait l'enfance ou l'adolescence d'un public aujourd'hui en âge de décider de ce à quoi la culture peut ressembler. Juste retour des choses pour ce génie moustachu.
Perturbator
De son
vrai nom James Kent, Perturbator commence sa carrière dans le métal, au sein du
groupe I, the Omniscient. Guitariste de formation et fils de musicien, le
jeune prodige construit ses créations comme "des bandes originales de films
qui n’existent pas", s’orientant vers un style plus sombre qu’il appelle Cyber
Doom New Wave.
Grand fan
de science-fiction cyberpunk, le jeune homme utilise l’imagerie sombre et
pessimiste de Blade Runner ou Escape from New York, alliée à des rêveries plus
colorées inspirées par le monde de la nuit (comme la carrière de l’acteur porno’ John Holmes). C’est aussi dans le monde des séries B de l’horreur
des 80’s qu’il puise l’inspiration de certains morceaux, et il aime en interview donner la liste de ses classiques, parmi lesquels Class of Nuke’em High, Re-Animator ou Ms. 45, toute une génération de métrages généreux dans le gore
ou le bizarre qui lui vaudront par certains le surnom de "God of VHS".
L’artiste est cependant assez critique de cette scène qu’il a contribué à
bâtir, qu’il juge informe et déjà surpeuplée de compositeurs peu originaux se
contentant d’imiter ce qui s’est fait avant.
En
parallèle de ses projets dans le métal, Perturbator construit une continuité
narrative entre ses œuvres, qu’il distribue via le système name your price (qui
permet à l’auditeur de choisir combien il investit dans la musique qu’il
écoute) sur sa page, une belle initiative pour une discographie déjà riche de nombreux classiques.
Carpenter
Brut
Là-encore
un Français, quoi que celui-ci cultive davantage une image de secret. Carpenter Brut se lance en 2012 avec l’EP1 et continuera d’enchaîner les
sorties jusqu’à l’excellent album Trilogy condensé de son travail précédent et élément indispensable de la discographie du mouvement. Fan de Justice et de Depeche Mode, le musicien est aussi un proche de la scène métal
et un admirateur de films d’horreur, cherchant à combiner ses différentes passion "sans le faire aussi bien que Justice pour l'instant".
La musique
de Brut s’autorise parfois des passages par un style plus électronique, mais il récupère lui aussi l’iconographie des années 80 dans le titre de ses morceaux et la sous-couche générale. Par dessus celle ci, le musicien développe un univers visuel inquiétant, là
encore assez sombre, entre crânes de boucs et croix renversés. A noter en 2016 sa collaboration avec Seth Ickerman pour le clip de Turbo Killer (qu’il est bien), dont la suite Blood Machine est tournée en ce moment.
Et plein d’autres !
Après être
partie de France, la popularité de la Synthwave se répand dans le reste du monde
avec un terreau fertile : Dynatron au Danemark, Mitch Murder en Suède, Lazerhawk aux Etats-Unis, Miami Nights 1984 au Canada ou FutureCop en
Angleterre. A l’ombre de ces nombreux talents, la scène commence aussi à se
remplir de prétendants au style moins inspiré – passages qu’ont connu tous les
grands mouvements musicaux, et donc signe de maturité au fil du temps ?
A
voir dans le futur, on peut en attendant se réjouir que la mode du rétro’ et
des récupérations d’autrefois aient amené un truc aussi cool dans nos oreilles
(dites merci à Mr. Charpentier !).