Au terme de cette première édition du Mois de l’imaginaire et à l’approche des États Généraux de l’imaginaire qui se dérouleront à l’occasion du festival des Utopiales, nous avons voulu interroger Jérôme Vincent, l’éditeur d’ActuSF à l’origine de la pétition de l’Appel de l’imaginaire.
Avec lui, nous revenons sur l’état de l’édition de l’imaginaire aujourd’hui et surtout, il nous parle de cette volonté de coaliser tous les agents du secteur afin de dessiner de nouvelle perspective pour l’avenir.
• Vous faites partie des instigateurs qui sont à l’origine de la pétition sur la reconnaissance de la littérature de l’imaginaire. Pourquoi cette démarche ?
En fait, tout part de l'envie de réfléchir collectivement à la situation des littératures de l'imaginaire. Les choses ont beaucoup bougé ces derniers temps, notamment en librairie. Du coup, on a eu envie de prolonger un peu le Mois de l'imaginaire (qui est une autre initiative et une grande opération d'éditeurs) en proposant à tous les acteurs (auteurs, éditeurs, traducteurs, lecteurs, bloggeurs etc) de travailler autour de nos littératures en librairie, mais aussi dans la presse et vis-à-vis des institutions. Les États Généraux auront lieu physiquement à Nantes pendant les Utopiales, mais on les prépare d'ores et déjà sur ce forum http://lappeldelimaginaire.fr. Pas mal de choses se dessinent avec des chiffres dans les journaux, des avis de libraires, de journalistes, etc.
• Vous évoquez des choses qui ont changé, notamment dans les librairies, qui ont conduit à l'appel de l'imaginaire, quelles sont-elles ?
En fait, le monde a fondamentalement changé au cours de ces 20 dernières années :) D'un côté tu as une science-fiction et une fantasy qui font les beaux jours du cinéma notamment, dans la foulée de Star Wars, du Seigneur des Anneaux ou de Harry Potter. Sans parler des jeux vidéos et des Bd, et du young adult. En revanche, on est passé pour l'imaginaire de 7 millions de livres vendus en 2003 à 4 millions en 2015. C'est dans la tendance générale de l'édition hein, mais tout de même. Dans le même temps, le nombre de livres publiés dans nos genres a presque doublé, avec l'arrivée de nouveaux éditeurs. Et puis le monde est devenu plus complexe et plus vaste avec l'explosion des blogs, mais aussi des salons et du numérique. Si tu ajoutes le sentiment de ne pas être très présents dans les médias, il y a de quoi se poser pas mal de questions. D'où les discussions puis les États Généraux :)
• Je trouve que le mois de l’imaginaire est une très belle initiative. Avez-vous déjà une idée des retombées de cette opération ?
Oui, c'est une chouette initiative. Difficile pour le moment de mesurer précisément les retombées, mais à titre personnel, je suis épaté du nombre d’événements labellisés "Mois de l'imaginaire" et de l'affluence à certains d'entre eux (je pense à la Masterclass qui a eu lieu à Lyon avec une centaine de spectateurs).
• Le terme imaginaire semble faire consensus pour qualifier les littératures de fantasy de science-fiction, etc. pourtant certains détracteurs lui reprochent que l’utilisation de ce terme disqualifie par le choix de ce mot la littérature blanche ou noire comme un produit de l’imagination. Est-ce que cette littérature n’est pas prisonnière de ces étiquettes dont elle est affublée et qu’elle se colle parfois elle-même ?
Ouais, disons que c'est compliqué. Dans ma jeunesse, on parlait de SF pour désigner l'ensemble de ces littératures. Et puis la fantasy a explosé et cela n'avait plus de sens de garder "SF". D'où les littératures de l'imaginaire. J'entends bien les critiques et je les partage. Le terme n'est pas parfait. Mais on s'en accommode très bien. Est-ce que cela emprisonne nos genres ? Sans doute un peu. Et en même temps, c'est un signe de reconnaissance qui nous vaut d'avoir des rayons séparés, des festivals dédiés, etc.
• Nous savons que la littérature de l’imaginaire porte en son sein de très grands romans. Ils semblent qu’à partir du moment où son éditeur initial est un éditeur dit de genre, le livre en question ne se départira pas de cette image. D’après vous, d’où vient le mépris que certains portent à ces genres ?
C'est une question intéressante sur laquelle les États Généraux travaillent. En gros, plutôt que du mépris, c'est souvent une question de préjugés ou de méconnaissances. Quand on discute avec les journalistes, l'un des retours c'est qu'ils ne peuvent pas trop parler de l'imaginaire parce que c'est pour leur direction une littérature de niche et qui donc s'adresse à un public restreint. Mais on entend aussi que certains ne reçoivent pas de services de presse des éditeurs de l'imaginaire, et donc ne peuvent écrire dessus. Il y a sans doute un peu des deux. En gros d'un côté une idée reçue, de l'autre une absence de communication. La vérité est peut-être quelque part par là. Je précise aussi que cette absence de reconnaissance n'est pas générale hein. Des émissions ou des journaux comme La Méthode Scientifique, Télérama, Le Monde des livres, ouvrent leurs portes régulièrement à la science-fiction et la fantasy.
• Quelles seraient d’après vous les démarches à entreprendre pour que la littérature soit un peu plus reconnue ?
Vaste question à laquelle je n'ai pas tout à fait de réponse. Le Mois de l'imaginaire est une première bonne réponse. Mais il y en a d'autres à imaginer, notamment dans la communication générale des littératures de l'imaginaire. Expliquer, promouvoir, convaincre, proposer... À nous tous de prendre le sujet en main histoire de donner envie aux libraires de faire plus de place et aux journalistes d'en parler un peu plus.
• Qu’attendez-vous des États généraux de l’imaginaire qui se déroulera au cœur du festival des Utopiales ?
J'attends trois choses. D'abord qu'on affine l'état des lieux que nous sommes en train de faire. C'est passionnant, on a des champs d'études qui n'avaient jamais été abordés. Ensuite j'en attends une discussion riche entre tous les acteurs de notre petit monde. Qu'on soit auteur, éditeur, traducteur, illustrateur, bibliothécaire, correcteur, bloggeur, lecteur... l'imaginaire est notre bien commun. C'est l'occasion de réfléchir tous ensemble. Enfin, si quelques idées peuvent en sortir pour des solutions concrètes, alors j'en serai heureux. À nous d'imaginer la suite...