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Édito #40 : fan films, la fin de l'innocence ?

Par Republ33k
6 avril 2015
Édito #40 : fan films, la fin de l'innocence ?

Les spécialistes estiment que le premier fan film est apparu en 1926. Ce premier métrage amateur, qui s'appelait Our Gang, était en effet basé sur les films du même nom, de courtes comédies qui avaient fait leurs débuts dans les salles de cinéma au dans années 20. Depuis, bien du chemin a été parcouru, et la rencontre entre internet et la démocratisation des moyens de réalisation permet aux fans de livrer des œuvres toujours plus complexes ou fidèles.

D'ailleurs, si ses débuts remontent à l'aube du vingtième siècle, ce n'est qu'à la sortie de grandes franchises archi-populaires comme Star Trek ou Star Wars que le fan-film est devenu un véritable phénomène. Il faut dire que se sont ces mêmes franchises qui ont quasiment inventé les communautés de fans telles que nous les connaissons partout dans le monde : il n'est pas étonnant de voir fleurir des fan films là où se retrouvent les passionnés les plus acharnés.

 

Aussi considère-t-on volontiers Troops comme le fan film alpha. Ce documentaire parodique, qui tournait l'émission américaine Cops en ridicule en la plaçant dans l'univers de Star Wars, devint instantanément culte à sa sortie en 1997. Pour l'époque, il eu un impact phénoménal, puisqu'il utilisa les débuts d'internet pour s'imposer auprès de milliers de fans, et fut même soutenu par Lucasfilm, qui organisa un concours de courts-métrages amateurs à la suite de Troops. Avec sa création, le réalisateur amateur Kevin Rubio fit ainsi entrer le fan film dans une nouvelle ère, et Troops est donc naturellement l'une des références les plus connues de ce cinéma alternatif. On le retrouva même dans des DVD, et les fans s'opposèrent à une suite qui n'aurait pas été réalisée par Rubio. Une vraie rock-star du métrage amateur, en somme ! 

Troops est l'exemple ultime pour comprendre l'importance des fan films dans le milieu de la culture geek. Par les fans, pour les fans, mais rayonnant bien au-delà des passionnés de Star Wars, le film de Kevin Rubio est, en quelque sortes, une petite révolution pour tous les fandoms du monde entier. Et sans lui, les nombreux fans films qui envahissent chaque jour la toile n'auraient sans doute jamais vu le jour. Seulement, 1997 était une époque bien différente, et les métrages de fans talentueux posent aujourd'hui de nombreux problèmes, qui dépassent leur simple qualité ou leur popularité.

Car près de vingt ans plus tard, les fan films animent toujours les communautés, mais internet et l'évolution des outils de tournage a tout changé ou presque. Il y a tout d'abord la question des droits d'exploitation, qui se heurte à de véritables empires médiatiques. Tout les ayants-droit ne sont pas prêts à laisser les fans s'amuser en explorant leurs univers. Au début des années 2000, par exemple, Games Workshop attaqua en justice un petit groupe de fans allemands qui s'attelaient à un métrage Warhammer 40.000 : Damnatus. Plus récemment, c'est un court-métrage Power Rangers qui a fait parler de lui : en jouant sur la nostalgie des fans, la production d'Adi Shankar proposait une version adulte des Rangers, qui a très vite fait paniquer Saban et Lionsgate, dorénavant associés pour un long-métrage consacré à la licence, à venir dans les salles obscures. Striké puis de nouveau disponible, le fan film a finalement servi de coup de pub involontaire (Power Rangers était un des sujets les plus discutés sur Twitter) pour la production de Lionsgate. 

C'est là tout le problème des fans films en 2015 : ils ne sont plus la chasse gardé de quelques nerds, ni l'ennemi des studios : ils sont une création à part sur la scène des produits culturels. Pas tout à fait innocents d'un point de vue économique, mais trop alternatifs pour être officiels : ils appartiennent à tout le monde et à personne. Une sorte de vide juridique et économique. Car si de nombreux défenseurs des fan films jugent ces derniers inoffensifs, ils créent une forme très particulière d'activité sur les marchés.

Aujourd'hui, on repère de plus en plus de réalisateurs grâce à des fan films. On crée du buzz en diffusant un court-métrage amateur sur nos réseaux. On engage même les équipes de fan-films pour réaliser des vidéos promotionnelles. Les petits gars de Corridor Digital, par exemple, se sont fait un nom dans le fan film avant de créer des courts pour les produits Ubisoft, en prise de vues réelles. Qu'ils soient autorisés ou non, les fan films ont donc forcément un impact sur les industries culturelles, et le nier serait stupide.

D'autant plus que les fan films se font de plus en plus souvent l'écho des annonces dans la sphère de l'entertainment. Ils créent, par l'humour, la parodie ou la virtuosité, un bruit de fond qui permet à l'industrie, ses clients et ses journalistes, de parler des sorties à venir. Derniers exemples en date : le mashup entre Pixar et Star Wars ou le fan film TIE Fighter nous ont permis de revenir sur Rogue One. Certes, cette résonance n'est pas toujours volontaire, mais elle montre bien l'importance grandissante des fan films sur la culture populaire et ses produits.

On pourrait citer bien d'autres exemples, dont un français, Julien Mokrani, qui s'était fait remarqué par Alexandre Aja avec son fan film Welcome to Hoxford et qui sera bientôt derrière la caméra pour l'adaptation des Sentinelles. Ou encore The Lord Inquisitor, un fan-film Warhammer 40.000 qui a été officialisé, d'un point de vue juridique, par Games Workshop, quelque semaines seulement après l'échec d'un film officiel : Ultramarine. Les fans films ne font plus seulement bouger les communautés, ils influencent donc la gigantesque machine de l'entertainment.