Grande messe du petit et lucratif univers des séries TV aux USA, les Emmy Awards ont fait coup double en faisant triompher Rami Malek en tant que meilleur acteur 2015/2016 hier soir, scellant par-là un pan de leur histoire puisqu'il s'agit du premier acteur "non-white" (ses parents sont égyptiens) depuis 18 ans à remporter un sésame qu'il partage notamment avec Bryan Cranston et Jon Hamm, deux derniers vainqueurs du plus précieux titre à glaner lors de cette belle soirée.
Mais si Breaking Bad et Mad Men étaient deux séries mondialement connues et reconnues par l'establishment d'Hollywood lors de ces couronnements attendus, il en va autrement pour Mr Robot, phénomène générationnel apparu l'année dernière sur USA Network mais aussi massivement et tout naturellement sur la toile, phénomène créé par un homme dont on ne savait alors que peu de choses : l'intriguant Sam Esmail.
Pur produit de ce que j'appelle "la génération Fight Club / Matrix", Esmail nous projette (et se projette, indéniablement) dans le personnage incarné à la perfection par Rami Malek, lui aussi produit concret d'une génération pour qui le Cyberpunk n'est pas que la projection d'un futur dystopique, mais nous y reviendrons. Porte-voix de ceux qui n'en ont pas (notamment lors de cette diatribe devenue légendaire et on-ne-peut-plus virale du 4ème épisode de la première saison), Elliot et FSociety pourraient bien être la suite d'un mouvement vieux comme le monde, celui d'une contestation passée récemment par le Street-Art, la Culture Pop, les manifestations, les mouvements Occupy et beaucoup d'autres formes de luttes contre un pouvoir toujours plus tentaculaire, cynique et désintéressé par 99% de ses composants.
Voilà ce que les Emmy Awards ont choisi de célébrer hier soir, prouvant une fois de plus les liens étroits entre les différents acteurs d'Hollywood et la volonté d'un monde meilleur - rappelez-vous quand Angelina Jolie propulsait Banksy off the charts en achetant trois de ses originaux dans les années 2000. Voilà le visage de celui qui, du haut de ses 35 ans, incarne mieux que personne les vies de ceux qui sont nés avant Internet mais après la disparition d'un futur radieux, ceux que certains sociologues placent sous la bannière de la Generation X, ceux qui ont vécu l'apparition de l'informatique, ses langages et ses failles, entre deux épisodes du Club Dorothée. Ceux qui, demain, seront au pouvoir et auront la charge d'inverser une courbe dramatique pour les sociétés occidentales, souvent responsables des maux d'une planète qui, elle, ne peut pas s'appuyer sur une sauvegarde pour retrouver sa forme initiale.
Et parce qu'Elliot y est forcément pour quelque chose : How cool is Rami Malek ? pic.twitter.com/wIGyBlxzuV
— Sullivan ROUAUD (@SullivanROUAUD) 12 septembre 2016
Une mise en abyme éclairante sur la place du JT dans le champ du divertissement.pic.twitter.com/p7iWaQk9od
— Sylvain Ernault (@SylvainErnault) 19 septembre 2016
On regrettera d'ailleurs que "la 2" ne soit pas allé chercher Hacking Robot, l'aftershow de la série sur USA Network qui permet au casting de la série mais aussi et surtout à Christian Slater (producteur) et Sam Esmail (scénariste / réalisateur / créateur de la série) de revenir sur chaque épisode diffusé plus tôt dans la soirée. Didactique sans être paternaliste dans ses envies de grand soir et forte d'une ambiance dingue et d'une vraie osmose avec son casting à chaque fois, l'émission permet notamment au public le moins à l'aise avec l'informatique (très bien mis en scène dans la série, c'est un des nombreux détails et une de ses nombreuses qualités à noter) de prendre conscience de ce qui se passe réellement à l'écran.
Aussi concrète dans sa manière d'aborder le hacking que pertinente dans son propos et artistiquement aboutie avec les multiples couches d'écriture qui la composent, Mr Robot est également un modèle de développement de personnages, entre faux-semblants et empathie véritable pour son petit casting, composé notamment du génial Christian Slater, qui porte la double casquette de producteur. Capable d'aborder les troubles mentaux comme peu de séries destinées à un circuit relativement mainstream, la série propose aussi à plusieurs reprises des extraits d'un futur que l'on peut presque déjà toucher du doigt (et qui a le mérite d'être bien documenté), où les mégacorporations ne connaîtront comme concurrence que d'autres mégacorporations. Et si vous pensez que nous y sommes déjà, vous n'avez effectivement pas totalement tort mais croyez-moi, l'après pourrait être bien pire et nous y sommes comme destinés par les décideurs qui ont perdu les freins sur l'autoroute qui nous mènera pourtant tous dans le mur.
Toujours pas perçu comme un caillou dans la chaussure de ces mêmes dirigeants qui ont d'autres choses à faire que de mener une révolution au travers d'une série TV, la série pourrait rester culte pour une génération entière qui, peut-être, trouvera dans les aventures d'Elliot la flamme dont elle avait besoin pour rejoindre ceux qui refusent de fermer les yeux sur les nombreux travers que nous laissons passer chaque jour, en commençant par l'inévitable et catastrophique société de consommation, en poursuivant par la risible organisation du travail et la répartition des richesses. Plus d'égalité, de culture, d'empathie et de partage, moins d'interventionnisme et de pyramidalité sociale, c'est tout ce que réclament Mr Robot et ses fidèles spectateurs, activistes ou non, et c'est tout sauf de la Science-Fiction.
iconic pic.twitter.com/fx5jsztT4F
— RAMI MALEK WON (@bestofmrrobot) 19 septembre 2016