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La S-F n'est-elle pas assez bien pour Cannes ?

Par Alfro
18 avril 2014
La S-F n'est-elle pas assez bien pour Cannes ?

Hier, les organisateurs du Festival de Cannes dévoilaient la sélection officielle de l'édition 2014. Belle liste, mais qui nous chiffonne un peu.

Déjà, pour être bien clair, nous allons parler ici des films en compétition. Car malheureusement, une certaine hiérarchisation s'est créée, et l'on ne retient en général que les films qui ont croisé le fer dans la catégorie principale. Si Un Certain Regard a l'avantage de présenter des films différents, la renommée qu'ils peuvent gagner est à mille lieux d'un lauréat de la Palme d'Or ou même du Grand Prix du Jury. C'est malheureux, mais c'est comme ça.

Venons-en au cœur du problème : l'absence pleine et entière d'un quelconque film de science-fiction (ou même de fantastique et/ou de Fantasy) dans cette liste. Si vous cherchez des drames familiaux et humains, vous serez servis. Pour ce qui est des cultures de l'imaginaire, passez votre chemin, la grande fête du cinéma ne semble avoir qu'une considération réduite pour un genre aussi vieux que le cinéma lui-même (George Méliès, nous te vouerons un respect éternel).

Certes, on nous lâche comme une offrande Dragons 2 dans les films Hors-Compétition, histoire que les "geeks" ne hurlent pas trop. Permettez quand même qu'on hausse un peu la voix devant ce dédain affiché devant tout un pan du cinéma, voire de la culture. Ça va finir par se voir quand on cite les grands classiques de la science-fiction que l'on sort en boucle les exemples de 2001 : Odyssée de l'Espace ou Brazil. Rien ne vaut le coup d'œil depuis ?

Peut-être. Mais permettez nous quand même d'en douter. Parce que finalement, c'est peut-être la réponse la plus simple que l'on pourrait nous faire : aucun film de S-F ne méritait de figurer dans une liste qui préfère privilégier les habitués, ceux qui ont leur pied-à-terre sur la Croisette. Les frères Dardenne seront encore là évidemment, ainsi que ce gai gaillard de Ken Loach ou le petit chouchou Jean-Luc Godard (je suis personnellement très heureux de voir qu'on nous a épargné Michael Haneke cette fois-ci...). Attention, on ne retire à aucun moment le mérite de ces cinéastes, on se demande juste si l'horizon des organisateurs ne s'est pas raccourci avec le fil des ans.

 

Le cas David Cronenberg est assez révélateur. Son drame Crash a été récompensé en 1996, son allégorie Cosmopolis a suscité un certain intérêt, et il est de retour avec Maps to the Stars, qui démontre toute la crasse matérialiste qui se cache sous le glamour hollywoodien. Pourtant, demandez à la volée ce qui a le plus marqué dans l'ensemble de son œuvre, Vidéodrome et La Mouche devraient revenir en tête assez régulièrement, même si ses films avec Viggo Mortensen ont lancé une sorte de seconde ère chez lui (allez voir A Dangerous Method, Les Promesses de l'ombre et A History of Violence, conseil d'ami). Après, nous sommes très content que ce cinéaste qu'on adore soit là, mais sous quelles conditions ?

Nous avons quand même du mal à croire qu'aucun film issu des cultures de l'imaginaire ne puisse susciter le moindre frisson d'intérêt dans le jury qui sera présidé par Jane Campion, la réalisatrice australienne des excellents La Leçon de Piano ou Bright Star (film qui retrace les dernières années du poète John Keats). On peut penser ce que l'on veut de Christopher Nolan, mais son Interstellar a sans doute assez de matière pour figurer sans rougir au milieu de cette liste, Jupiter Ascending brasse visiblement assez de thèmes pour ne pas être qualifié de space opera bête et méchant, et puis avec la sinistrose qu'ils risquent de se payer devant une liste souvent morose, diffusons leur un Sharknado 2. Au moins, ils se marreront.

Certes, toute la faute ne revient sans doute pas qu'au festival, le constat que nous avons déjà fait sur ces genres qui ont tendance à se cannibaliser eux-même en répétant sans cesse les mêmes choses (sans doute par facilité des producteurs) ne doit pas aider à ce qu'il soit considéré autrement. Mais il est aussi du devoir de ce type de grande messe du 7ème Art de ne pas délaisser tout une frange de films qui lui ont énormément apporté au fil des ans (et qui représentent la moitié des calculs comptables d'Hollywood aujourd'hui). De crainte que le clivage entre les films dramatiques, qui se considèrent eux-même comme du grand cinéma mais se voient taxés d'un aspect "prétentieux", et les films de science-fiction et fantastique, qui deviennent des objets commerciaux jetés en pâture à un grand public qui ne serait sans doute pas contre un peu plus de consistance, ne devienne de plus en plus important et qu'au final nous allions au devant d'un Art coupé en deux. Et finalement la triste histoire, c'est celle-ci.