Fort de la réputation de son studio créateur, Control est le nouveau petit bijou de Remedy. Après des licences phares comme Max Payne et Alan Wake, il ne serait pas exagéré de rendre compte de la difficulté d’implémenter une nouvelle licence aux côtés d’aussi gros titans vidéoludiques. Et pourtant, Remedy y arrive à la perfection.
Bâtiment gargantuesque dont le revêtement de pierre froid et sinistre ne saurait laisser indifférent le plus valeureux des hommes, le Bureau Fédéral de Contrôle ne suit qu’une mission bien précise : sécuriser, contenir et protéger. Tout est fait pour ne pas déroger à ce précepte, et au fil de notre cheminement à travers ses couloirs tortueux vernis jusqu’au plafond, ses étages faramineux et inatteignables, et ses bureaux indénombrables, l’Ancienne Maison nous révèlera ses secrets les mieux gardés. Nouvellement titularisée en tant que Directrice, il incombera à notre héroïne de préserver l’intégrité du personnel, et, surtout, d’affronter un mal surnaturel inconnu, une entité malfaisante corrompant toute forme de vie dans son sillage, afin de couper court à la dépravation qui en rayonne et s’assurer qu’il ne s’échappe pas du complexe dans lequel il est confiné. Toutefois, le chaos ambiant provoqué par cette atrocité dévoilera non sans mal l’envers du décor : sécuriser, contenir, protéger ; oui, mais quoi ? Ces trois mots ne vous rappellent donc rien ?
Pour notre plus grand plaisir, Control puise son inspiration la plus évidente et la plus notable dans l’œuvre de fiction communautaire mondialement connue, la Fondation SCP. Entre des documents classifiés top secret dont certaines parties sont cryptées, différents niveaux d’accréditation permettant l’accès à certaines zones protégées du bâtiment, une communication interne limitée au format papier où l’usage numérique est proscrit, et une ambiance incessamment cryptique, malaisante, occulte voire ésotérique, notre chef-d’œuvre interactif retranscrit parfaitement les éléments les plus constitutifs du matériau originel. Pourtant, la transposition du format écrit au média vidéoludique n’est pas chose aisée.
En effet, traduire des aspects littéraires, où le lecteur se place comme simple observateur des faits scénaristiques qui lui sont proposés, en des forces ludiques canalisatrices d’interactivité est un défi ardu, risqué mais parfaitement réalisable. Dès lors, la magie opère : les dangereuses entités gardées secrètes, dissimulées aux yeux de la population pour garantir sa sécurité, sont finalement confiées entre les mains du joueur. Ces objets de la vie quotidienne devenus de véritables fléaux de l’humanité par la volonté d’une quelconque force insaisissable prennent visuellement vie. Comment décrire la satisfaction d’assister à l’édification aussi qualitative d’une telle adaptation, bien qu’elle ne soit pas officielle ?
Personnellement, j’attendais depuis bien longtemps l’annonce d’un tel projet, même si quelques jeux SCP existent, aucun ne suffit à assouvir ce désir d’être confronté aux mystérieuses entités confinées entre ces murs. Les innombrables documents de la Fondation témoignant de leur existence et de leur niveau de menace en font rêver beaucoup, et Remedy parvient à alimenter davantage nos visions oniriques. Effectivement, au sein des murs de pierre où notre périple prend vie, de nombreux documents sont à collecter, rappelant autant sur le fond que sur la forme la direction scénaristique de SCP. Cette myriade d’éléments à trouver peut en refroidir certains, et pour cause, de nombreux titres exploitent à tort et à travers cette mécanique de collection en rajoutant des tas d’objets à ramasser plus inutiles les uns que les autres, dans le but de gonfler artificiellement leur durée de vie.
Ici, il n’en est rien de ce stratagème puisque chaque document collecté apporte un réel intérêt, participant à renforcer davantage la consistance, la cohérence et la cohésion du jeu. Fichiers descriptifs des Objets de Pouvoir, correspondances épistolaires entre les employés du Bureau ou enregistrements audio ou vidéo sont autant de ressources fomentant la profondeur de l’univers de Control. J’en profite d’ailleurs pour insister sur la qualité des enregistrements vidéo trouvables au fil de l’aventure, dans lesquels les acteurs, notamment celui incarnant le scientifique en chef, sont exceptionnels.
Control pourrait s’apparenter à un TPS classique, mais il ne serait pas honnête de ne pas souligner la véritable force de son gameplay. Au cours des heures passées à errer, notre héroïne s’enorgueillira de maîtriser de plus en plus de pouvoirs paranaturels, allant du plus simple contrôle télékinétique à des facultés plus avancées. Couplés à toute une panoplie d’armes à feu à fabriquer soi-même, les affrontements se caractérisent par un dynamisme et une liberté hors-normes. Choisir les bonnes armes selon la situation est un point clé pour ne pas finir avec la mâchoire disloquée en moins de deux.
Le positionnement est également un facteur non négligeable à prendre en compte, car même si les adversaires ne semblent pas très coriaces au début, ils surprendront parfois par les tartes colossales qu’ils peuvent infliger. L’utilisation simultanée de plusieurs pouvoirs à la fois procure un véritable sentiment de liberté et de toute-puissance, confortée par une possibilité de mouvance importante conférée par l’obtention de pouvoirs spécifiques. Ceux-ci peuvent être améliorés en consommant des points de compétence dans un arbre d’amélioration qui se dévoilera au gré des pouvoirs acquis. Ce côté RPG est d’autant plus prononcé par le biais de mods à installer sur l’héroïne ou sur ses armes, boostant avec des valeurs exponentielles telle ou telle caractéristique, et divisés en des niveaux de raretés plus ou moins élevés.
Le cheminement dans l’histoire n’est pas linéaire, et c’est aussi ce qui fait la force du titre, offrant la possibilité de découvrir les moindres pièces jalonnant l’immense complexe fédéral. L’on prendra un plaisir non dissimulé à explorer les recoins du bâtiment qui évoluent conjointement à l’histoire. L’exploration est d’autant plus jouissive lorsque l’on se rend compte de la présence de lieux secrets, et l’on s’efforcera donc avec joie de dénicher tous ces petits endroits reculés. Parfois, des énigmes bloqueront notre avancée ou l’accès à certaines récompenses, mais elles seront vite surmontées, le jeu n’offrant pas de véritable casse-tête sur lequel y passer des heures jusqu’à en avoir mal au crâne et forçant à avaler une boîte de Doliprane, ce qui est bien regrettable.
Le dosage en termes de difficulté de réflexion est un peu trop laissé à l’écart, il est vrai qu’il aurait été judicieux de pousser le vice un cran au-dessus pour offrir une réelle satisfaction aux joueurs les plus téméraires, ne serait-ce qu’en proposant quelques énigmes facultatives.
Enfin, mettons un point d’honneur à discuter de la direction artistique phénoménale de Control. Réputé comme étant l’un des premiers jeux profitant de la technologie fraîchement débarquée du ray-tracing, l’utilisation de celle-ci n’en est pas moins ad libitum. Bien que le travail sur la lumière, les ombres et les reflets soient sublimés par le ray-tracing, les graphismes d’origine suffisent amplement à faire vivre une expérience visuelle qualitativement excellente tant ceux-ci sont remarquables.
Une telle direction artistique est véritablement glorieuse en ce que son optimisation est réalisée aux petits oignons, promettant une belle stabilité, même durant les scènes d’action les plus gourmandes.
Par ailleurs, Control nous fait don de level designs tout simplement subjuguants. Pour ne citer que lui, le Labyrinthe du Cendrier est un bijou immaculé de design, exhibant un savoir-faire artistique irréprochable. La zone concède une expérience véritablement inoubliable, et ce n’est que lorsqu’on y est confronté qu’on ne peut saisir la force qui s’en dégage. Mais j’en ai assez dit, l’expérience doit être vécue sous un regard neuf, sans préjugé ni attente quelconque afin de profiter de tout ce qu’elle a à offrir. Ce sont ce genre de petits détails qui font la réputation d’un grand titre et qui permettent d’apprécier l’essence même du procédé créatif. Dans quelques années, le jeu pourra probablement être oublié, mais cette expérience, elle, restera à jamais gravée dans les mémoires.