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Critique - Le Grand Abandon (Cory Doctorow) : une SF Into the Wild techno-communiste !

Par Louis - CINAK
3 min 19 mars 2021
Critique - Le Grand Abandon (Cory Doctorow) : une SF Into the Wild techno-communiste !
On a aimé
- La réflexion sur notre mode de vie sur un ton ouvert
- L'IA au bord de la folie
On n'a pas aimé
- Les personnages peu attachants

Dans ce monde, si tu ne réussis pas, tu es un échec. Si tu n’es pas au sommet, tu es au fond du trou. Tous ceux qui s’accrochent ont trop peur de lâcher prise. 

Le blogueur canadien Cory Doctorow s’est fait connaître pour ses romans de SF anticipatrice directement inspirés des livres de George Orwell (Little Brother, Dans la dèche du royaume enchanté). Dans ses histoires, il appelle le citoyen à combattre les vices des siècles à venir (super-surveillance, libéralisme extrême) mais toujours avec un ton ouvert au débat et à la critique. Le Grand Abandon est la conclusion logique de sa pensée qui rejette le conformisme et anticipe une société plus belle pour tous. Loin d’être dans l’idéologie, Cory Doctorow sait qu’aucun modèle n’est parfait et que rien ne se fait en un jour.

Le Grand Abandon commence sur un constat : il y a les ultra-riches et le reste. Au début, j'ai eu peur de tomber sur une énième critique du capitalisme façon « 99 % - 1 % » mais rapidement, une troisième voie s’ouvre, celle des abandonneurs.

Ceux-là « abandonnent » la société avec un sac à dos pour rejoindre les terres, voire les villes, laissées à l’abandon par les marchés financiers. Dans une société d’abondance des ressources et d’une super-accessibilité à Internet, les abandonneurs font du neuf avec de l’ancien et cherchent à créer une société sans argent, où les relations sociales sont apaisées. Il n’y a plus d’Etat car les communautés se limitent à quelques centaines d’individus au maximum. La violence est proscrite, les gens travaillent sur ce qu’ils souhaitent (un autre passe derrière vous s’il y avait mieux à faire…) et si l’on ne se sent pas bien là où l’on est, on peut toujours retourner dans le « monde par défaut » ou « abandonner » vers un ailleurs. Tous ont un point commun, ils veulent « vivre comme s’il s’agissait des premiers jours d’un monde meilleur ».

Les personnages du Grand Abandon sont peu intéressants dans ce qu’ils apportent au récit, aucun n’est vraiment indispensable et on s’y attache peu, ce qui est le grand défaut du livre. En revanche, avec une écriture qui laisse la part belle à l’introspection, l’auteur souligne les dilemmes et les contradictions des personnages, dans leurs actions et leur pensée. Limpopo (la « cheffe » de cette communauté) prophétise une société basée uniquement sur le don, sans rien attendre en retour, mais elle ne peut s’empêcher de noter qui lui est « redevable ». Cory Doctorow a bien compris qu’une énième leçon de morale anticipatrice, qui, en théorie, devrait fonctionner, pose énormément de problèmes dans les faits, ce qui ne nous empêche pas d’essayer de l’atteindre ! 

Ce qui va véritablement bouleverser le récit, et qui crée un sentiment de course contre la montre, c’est qu’un abandonneur a découvert le secret de la vie éternelle (votre esprit est transformé en une IA). Les riches ne peuvent pas laisser passer ça ! Car les abandonneurs désirent rendre l’immortalité accessible à tous ! Donc plus d’assurance-vie, plus de peur du crime… Va donc commencer une traque à l’homme à travers le globe. Les abandonneurs se poseront perpétuellement des questions sur la pertinence de leur découverte. Voulons-nous vraiment devenir un être numérique ? Le corps ne nous manque-t-il pas ? Comment puis-je aimer sans un corps et ses phéromones ? La première IA de l’Histoire, Dis, se pose toutes ses questions, elle qui ne dort jamais... Au bord de la folie presque tous les jours, elle doit se rebooter pour « calibrer » ses « garde-fous » mentaux. A la lecture, on comprend vite que le Grand Abandon n’est pas un livre à lire le soir pour se détendre. Il vaut mieux être bien éveillé pour se poser les bonnes questions, en même temps que les abandonneurs en constante remise en question.

Nous avons tous été biberonnés aux livres de SF où les IA sont une évidence, Cory Doctorow nous parle des débuts des sociétés du futur et des peurs de vaincre la mort. L’auteur invite à un lâcher-prise et à une évolution constante de la pensée critique : c’est un débat ouvert, à l’image de sa communauté d’abandonneurs. En évitant les critiques faciles et les leçons moralisatrices, on prend plaisir à écouter les arguments et les discussions des personnages.  Là où beaucoup décrivent un avenir sombre, ce que fait Cory Doctorow dans le Grand Abandon c’est mettre de l’espoir en demain et c’est plus que rafraichissant !


Le livre chez l’Editeur : https://www.bragelonne.fr/catalogue/9791028113285-le-grand-abandon/

Où le trouver : https://livre.fnac.com/a15171039/Cory-Doctorow-Le-Grand-Abandon