L'intrigue : fournie et cohérente
Les illustrations : parfaites
« Et c'est une pièce de plus dans la mosaïque du monde, la collection de désirs et d'erreurs qui donnent sens à toute cette histoire »
Cette phrase est particulièrement belle, et résume à elle seule le tome deux de la série Noon, La première ou dernière, où L. L. Kloetzer révèlent leur talent et leur art. J'avais eu l'occasion de lire le premier tome au début du mois, et d'en faire la chronique semaine dernière : j'avais aimé l'aventure, mais elle m'avait laissé un goût léger en bouche, celui de l'inaccompli, de promesses encore à remplir, ce qui est dangereux dans le monde des sorciers comme dans celui des lecteurs (ne serait-ce pas le même?)
Noon prend en effet vraiment son envol dans ce second tome, ce qui rend d'autant plus importante la lecture du premier, qui est une entrée donnant toute sa saveur au plat principal que nous avons maintenant sous la main, une course poursuite entre sorciers, politiques et religieux (mélange explosif s'il en est) dans la ville qui ne dort jamais. Et de quoi est-il composé ? Comme toujours, ce livre est davantage que la somme de ses éléments, mais on peut les passer ainsi en revue : un monde décalqué du nôtre, avec tout ce que cela implique de distorsions et de troubles ; une couleur à la fois romaine et byzantine (oui mes études me servent enfin à quelque chose), des références parfois assez érudites ou précises mais qui raviront ceux qui les comprendront, laisseront songeurs ceux qui ne peuvent que les sentir du bout de l'esprit ; une intrigue touffue mais savamment agencée, assez intéressante pour tenir le lecteur en haleine tout du long des presque quatre cents pages ; des personnages réussis, qui dansent entre ces différents éléments au rythme d'une musique bien cadencée. Autrement dit, pour parler comme Yors, la sauce prend, et on cavale entre les pages pour trouver des réponses parfois bien cachées.
Ce livre accomplit ce que promettait le premier, et est empli de cette maturité des œuvres réussies, suffisamment développées pour avoir leur propre ton. Les illustrations en sont la preuve visible : elles sont plus nombreuses, plus audacieuses dans leur disposition et leur façon, plus fortes. Le lecteur s'y accroche comme à des aperçues fugaces sur un monde différent du nôtre, bien qu'il nous le rappelle à chaque instant. Difficile d'en saisir tous les secrets, mais on commence à les comprendre, sur les pas de Noon et de Yors, toujours complexes mais de plus en plus attachants. J'ai apprécié que Noon apparaisse sous de nouveaux jours, d'autres lumières qui éclairent différemment sa figure, parfois inquiétante : c'est ce que j'avais souhaité dans ma première chronique, et qui a été accompli avant même que je l'écrive. De même, l'écriture m'a semblé plus singulière dans ce livre, à la fois basse (les prises de parole de personnages, ou certaines interventions de Yors en tant que narrateur) et élevée (les descriptions de l'autre monde, les moments épiques de la course) : c'est là un mélange vraiment intéressant, que j'espère goûter de nouveau dans le troisième tome. Ce n'est pas du Jaworski, bien connu, et parfois méconnu, pour sa plume, mais un style propre, ce qui le rend d'autant plus précieux. L'épigraphe de cette chronique vous en donne une idée, mais c'est justement la diversité de ces pages qui en font un ensemble unique, qui ressemble sans se confondre avec ce que je connais déjà.
Si l'univers me paraît parfois encore trop brumeux, ou trop proche de la réalité (je suis un stricte partisan des théories tolkiénistes sur le monde second, mais, me direz-vous, y a-t-il beaucoup de monde qui s'intéresse à nos Avars ou à nos Roums ?), les détails techniques ou culturels glissés ça et là sont savoureux, bien choisis, et donnent une épaisseur particulière à l'oeuvre. Le discret appel à l'aventure de la toute dernière page me porte à croire que nous aurons la chance d'en savoir un peu plus sur ce monde encore limité à la Ville et ses murs, ses édentés, ses courtisanes, ses pestiférés et ses princesses d'albâtre. Le tome, en se refermant, s'ouvre donc sur de nouveaux espaces et de nouvelles promesses, plus grandes encore.
Ai-je besoin de dire que je selle déjà mon destrier ?
