- Un style extrêmement fluide
- C’est une utopie pour les femmes, pas pour les hommes
- Mais si, c’est une utopie pour les hommes. Malgré leurs frustrations, ce monde est supérieur à tout ce qu’ils ont connu dans le passé
Joëlle Wintrebert, triple lauréate du Prix Rosny Aîné, est une figure majeure de la SF féministe française depuis les années 80. Elle s’est faite l’experte de personnages forts, tiraillés par leurs pulsions et des désirs de libertés. Pollen, au Diable Vauvert, n’y fait pas exception.
Sur Pollen, l’humanité est composée aux deux tiers de femmes, afin que les hommes ne puissent pas prendre le contrôle par la force. Les naissances se font en cuve et les enfants naissent toujours par triplés (2 filles et 1 garçon donc). Ces triades sont extrêmement soudées mais le garçon est bien souvent exclu des instances du pouvoir. Les hommes ne sont représentés que par de simples conseillers qui n’ont presque aucune prise sur le pouvoir en place. Sur Pollen, les hommes deviennent presque les objets sexuels des femmes de pouvoir. Avec Joëlle Wintrebert les rôles s’inversent pour nous rappeler que ce n’est pas tant le genre qui explique les vices des personnes de pouvoir, c’est le pouvoir en lui-même qui corrompt.
La seule échappatoire pour les hommes qui désirent user de la force est le Bouclier, cette station de défense orbitale où les criminels et quelques femmes sont envoyés pour calmer les ardeurs des guerriers. Sauf que dans la société abrutie au sexe et autres outils réduisant les pensées violentes, la grogne monte pourtant. Certaines triades sont déchirées à l’idée que l’un des leur puisse être envoyé sur le Bouclier. Le Mouvement, un parti visant à renverser le pouvoir afin que les hommes aient le droit d’être représentés, a missionné Sandre, un jeune homme, pour assassiner un guerrier et ainsi marquer les esprits. Mais Sandre se fait prendre et est envoyé sur le Bouclier, où il est haï par ses camarades guerriers. Mais ses sœurs, Salem et Sahrâ, refusent cet emprisonnement. Commence alors l’escalade de complots et de manipulations faites de sexes et de mensonges, afin de tenter de renverser un pouvoir immobiliste et sexiste.
La force de Pollen est son approche ambiguë entre utopie et dystopie : une société ne peut être utopique si un tiers du peuple est marginalisé. Ou alors, elle est le fantasme de ceux qui sont avantagés. Le Mouvement et Sahrâ, à la personnalité fragile mais ambitieuse, sont la voix du peuple frustré, à l’image des mouvements de femmes féministes de notre monde. L’autrice ne fait, encore une fois, qu’inverser les rôles pour nous montrer l’absurdité du système de Pollen et du nôtre. Il faut noter également que certaines femmes soutiennent la contestation masculine parce qu’elles estiment que l’équilibre précaire de Pollen est une aberration. Le style fluide et sans fioriture de l’autrice permet à l’histoire d’avancer toujours dans ce sens à vitesse grand V – les événements dramatiques et les retournements de situation s’accélérant toujours plus. Les propos et les actions parfois très durs, comme des scènes de viols, accentuent d’autant plus la force des propos de l’autrice.
Les personnages sont tous porteurs d’un message, d’une personnalité et d’une pensée qui leurs sont propres. Sandre, Sahrâ et Salem sont tous très différents. Sandre est le rebelle idéaliste mais face au viol devient plus timoré et plus renfermé sur lui-même, même plus égoïste. Salem, elle, est dépendante de son frère et de leur amour, la rendant prête à toutes les stupidités pour le sauver. Elle est la flamme passionnée. Tandis que Sahrâ gagne en profondeur et en maturité à chaque passage pour renverser le système, faisant d’elle le meilleur personnage de ce roman.
Avec son écriture dure et sans concession et par son traitement de la question du genre face au pouvoir, Pollen est un excellent roman à celui qui veut découvrir des utopies qui viennent à dévoyer leur fondement pour se transformer en un Etat presque totalitaire aux lois sexistes et parfois absurdes. Les fans d’Ursula Le Guin et de ses « utopies ambiguës » ne seront pas dépaysés, loin de là !