- Terre-Neuve donne une saveur unique au lieu du récit
Récemment, j'ai eu l'occasion de découvrir l'autrice française Estelle Faye,ayant notamment écrit La Voie des Oracles ou Les Seigneurs de Bohen et voguant entre diverses maisons d'édition comme Les Moutons Électriques et ActuSF. Mais en septembre 2021, c'est chez Albin Michel Imaginaire qu'elle dépose ses bagages, le temps d'un séjour intense et onirique en Terre-Neuve avec son dernier roman : Widjigo.
Nous sommes en 1793. Jean Verdier traverse avec ses troupes les côtes d'une Basse-Bretagne défigurée par les récents événements de la Révolution, à la recherche d'un noble en fuite nommé Justinien de Salers et qui se serait retranché dans une ancienne forteresse en bord de mer. Arrivé face à cette ruine côtière, une balle siffle sur le sable, et une voix lui intime d'entrer. Ce que Verdier croyait être une simple traque devient alors l'occasion de découvrir un récit mystique sur ce qui est arrivé à ce vieil homme il y a déjà quarante ans sur l'île de Terre-Neuve...
En une volée de pages, l'autrice nous embarque loin des terres peuplées d'hommes aux ambitions trop vaste pour le monde pour nous emmener en des lieux où le fantastique côtoie malicieusement le réel. Telle une invasion sans fin, les rêves déferlent dans l'esprit des personnages qui composent le canevas du récit de Justinien, les poussant dans leur retranchements jusqu'à la folie.
C'est l'une des grandes forces de ce récit "d'à peine" 250 pages, justement, que de proposer une histoire prenante où s'entremêlent en permanence les hallucinations paranoïaques et les cauchemars d'esprits torturés. Oui, torturés. Torturés par cette grande question que nous nous posons aussi, lecteur : Que font réellement ces gens sur cette île ? Qui donc n'a de cesse de les suivre, tapie dans l'ombre des arbres ? Qui donc cherche à les tuer, l'un après l'autre ?
Ce qui intrigue et incite à dévorer le livre sans modération, c'est donc cette ambiance thriller fantastique savamment dosée. Mais c'est aussi et surtout cette réflexion sur la nature humaine et ses penchants les plus violents qui rend l'ensemble si bien construit et cohérent (même si la structure scénaristique reste très prévisible !).
Au-delà d'un récit sur de simples enchaînements de meurtres surnaturels couplée à une ambiance marécageuse poisseuse à souhait, Widjigo est avant tout le miroir de nos folies les plus dissimulées, de nos plaies psychologique béantes que l'on cherche à camoufler sous couvert de bonne conduite, et de tout ce qu'amène la solitude. Les masques peuvent aisément tomber et se fêler, mais rien n'empêche aux monstres tapis dans nos esprits de rester à l'affût, attendant le bon moment pour s'élever.