1.
| La polémique, ou l’interprétation d’une loi de 1949 (par Eve Renard)
Comme l’explique cet article très complet de France Info, le Ministère de l’Intérieur a interdit la vente aux mineurs du roman Bien trop petit, qui aborde les complexes masculins et les questionnements d’un adolescent sur sa sexualité. Les éditions Thierry Magnier se sont indignées de cette décision à travers un communiqué sur leurs réseaux sociaux. Le roman était déjà explicitement adressé à un lectorat averti de plus de 15 ans sur la quatrième de couverture, mais cela ne suffisant pas, l’éditeur a obéi à l’arrêté en demandant aux libraires de retourner leurs stocks.
Même si M. Darmanin n’est peut-être pas la personne la plus légitime pour nous parler de ce qui est correct ou non en matière sexuelle, son Ministère est bel et bien habilité à prendre des décisions concernant la littérature jeunesse. D’après la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, “le ministre de l’intérieur est habilité à interdire de proposer, de donner ou de vendre à des mineurs les publications de toute nature présentant un danger pour la jeunesse en raison de contenus à caractère pornographique”.
Mais c’est l’interprétation de cette loi qui nous pose question. Bien trop petit, est-ce réellement un roman “dangereux” et “pornographique” ? N’est-ce pas plutôt un roman d’apprentissage, un roman éducatif sur la sexualité ? Les scènes explicites ne sont pas là pour donner à voir et faire fantasmer les plus jeunes. Elles sont là pour les aider à construire leur réflexion autour de leur corps et de leurs relations aux autres, à travers une œuvre de fiction. C’est là tout le but de la collection l’Ardeur.
On ne censure pas le Guide du zizi sexuel avec Titeuf, ni les nombreux ouvrages qui existent pour expliquer le corps humain, les règles, le plaisir, la sexualité aux enfants et adolescents. Alors, pourquoi devrait-on censurer un roman qui a une portée tout aussi éducative qu’un ouvrage de non-fiction ?
2.
| Pourquoi M. Darmanin ferait mieux de lire de la dark romance (par Eve Renard)
Le cœur du problème, pour nous, c’est que la collection l’Ardeur est justement une bonne alternative aux livres pornographiques susceptibles de se retrouver entre les mains de nos enfants. Ce n’est plus un secret que des adolescentes de treize ans achètent des romans érotiques phénomènes sur TikTok. La dark romance n’a jamais autant eu le vent en poupe.
Il y a quelques années, on connaissait 50 shades et After. Aujourd’hui ce sont Captive, Hadès et Perséphone, Gild. Des romances très explicites, souvent malsaines, lues par des jeunes qui n’ont pas toujours un libraire ou un parent à côté pour faire de la prévention.
Il y avait déjà eu la polémique autour d’Un palais de flammes et d’argent de Sarah J. Maas. Les éditions de la Martinière Jeunesse ont finalement apposé un sticker PEGI 18 sur la couverture, mais les tomes précédents de la série n’étaient pas moins érotiques que celui-ci.
Il semblerait même que certains éditeurs profitent de ce lectorat jeune et majoritairement féminin, présent sur les réseaux sociaux, pour développer un marketing problématique autour de livres qui ne sont pas appropriés à leur âge. On vous conseille les excellentes vidéos d’Opalyne et Les Mots de l’Imaginaire sur la responsabilité des maisons d’édition dans le secteur jeunesse.
Les couvertures font “ados”, les avertissements manquent sur le contenu… Il suffit de comparer certaines couvertures, entre des éditeurs jeunesse qui publient explicitement des romans érotiques, et des éditeurs de romances qui les cachent sous de belles couvertures à paillettes.
3.
| Censurer l’éducation sexuelle, n’est-ce pas contre-productif ? (par Alex Moon)
Petite histoire d’un retour en arrière
On pourrait croire que l’annulation du droit à l’avortement, voté par la cour suprême américaine en juin 2022, marque le début de ce puritanisme répressif qui s’oppose à tout ce qui tourne autour de l’identité sexuelle. Il n’en est rien.
Si la libération des mœurs des années 60 a permis de nombreuses avancées sociales, de la mini-jupe au mariage pour tous, on observe une régression conservatrice qui commence vers 1980 et continue encore aujourd’hui. Aidés par la découverte du virus du SIDA, une frange non négligeable de la droite dite “traditionaliste” accuse les idées progressistes de décadentes et contraires aux valeurs familiales. C’est la fin des icônes de femme fortes, indépendantes, pour une introduction des idées “d’horloge biologique” et de “valeurs féminines” (opposées à celles prétenduement associées aux hommes).
En Europe, le pape Benoît XVI attribue la pédophilie au sein de l’église à la libération des moeurs, balayant ainsi sous le tapis le fait que cette libération soit aussi celle de la parole. En France, Michel Houellebecq publie un roman qui accuse le libéralisme sexuel de conduire aux mêmes dangers que le libéralisme économique.
Vers une répression par la censure ?
Tout d’abord il nous semble nécessaire de rappeler un fait essentiel : les enfants sont des personnes ! Cela peut sembler évident dit ainsi, pourtant beaucoup de parents oscillent entre l’idée que leur progéniture est une oie blanche ignorant tout de son propre corps (à ceux-là nous sommes navrés d’apprendre que dès le primaire les enfants savent comment sont censés s’utiliser un zizi et une foufoune !). Ou bien ils collent leurs références d’adultes sur des images ou des textes que les enfants ne relèveront même pas. (Quand Jean-Killyan voit des fesses, il pense plus souvent au caca qu’au livre de Bruno Le Maire !)
Ce retour au puritanisme crée une censure à deux vitesses totalement absurde, qui autorise des images à fort sous-entendu érotique dans l’espace public, comme certaines pubs de parfum inutilement dénudées, mais tente de jeter l’opprobre sur des femmes qui découvrent leur poitrine pour allaiter.
Si l’interdiction de certains programmes, images, ou dans notre cas du livre de Manu Causse, se veut dans le but de protéger nos enfants, elle est totalement contre-productive. Il est pourtant prouvé qu’une éducation sexuelle adaptée réduit les risques de viols et de violences sexuelles. Pourtant, la France est encore bien loin du compte en la matière avec une fille de 13 ans sur 2 qui ne sait pas qu’elle à un clitoris, alors qu'elles sont 53 % à savoir représenter le sexe masculin. N’en déplaisent à certaines figures politiques, ces œuvres ne font aucun prosélytisme sexuel au nom des causes LGBTQ+, ni ne pervertissent les désirs de jeunes enfants. L’interdiction actuelle de parler de questions de genre, ou même de menstruations, à l’école dans certains États américains, ne fait que renforcer le sexisme culturel et l’isolement des jeunes.
À l’heure où de nombreux auteur·ice·s tentent d’offrir aux nouvelles générations un monde ou leur identité sexuelle, leur genre, leurs préférences seront libres et assujettis à leur seul choix, des livres comme Bien trop petit sont à saluer et non à incriminer.
Un gouvernement qui refuse de voir la réalité en face
Symptomatique d’une société qui se voile la face, le retrait de Bien trop petit (mais avant lui la guerre menée contre Tous à poils ou encore Mademoiselle Zazie a-t-elle un zizi ?) à défaut de protéger les adolescents, feint d’ignorer qu’ils ont un accès très facile à du contenu pornographique. À 15 ans, la majorité des ados ont déjà vu un porno, avec tout l’artifice cinématographique qu’il implique : organes génitaux démesurés, endurance de marathonien, femmes objets… Ils ignorent ce qu’est le consentement, le plaisir partagé ou la sensualité mais ils connaissent les gorges profondes et le BDSM.
La collection L’Ardeur, par l’éditeur Thierry Magnier, a pour vocation de proposer une entrée en matière de sexualité centrée sur le respect du partenaire, l’acceptation de la différence, la communication… Une manière pour les jeunes de trouver des réponses sans avoir à poser les questions qui les gênent aux adultes ou à se comparer à leurs camarades.
Plutôt que de censurer ce qui se voit pour se donner une image pudibonde, osons briser les tabous en permettant une éducation sexuelle libre et bienveillante. À l’heure où les violences sexistes et sexuelles explosent, ce serait plutôt du bon sens.
4.
| L'Imaginaire et la Censure : Bien trop dystopique (par Matiou)
La censure, cette pratique insidieuse qui consiste à restreindre la liberté d'expression et de pensée, a toujours été un fléau redoutable pour toutes sociétés se prétendant être un tant soit peu démocratiques et ouvertes aux changements. Bien que présentée parfois comme un moyen de protéger les individus ou de préserver l'ordre social, elle représente en réalité un grave danger pour la libre circulation des idées et les créativités humaines. Certaines œuvres de l'Imaginaire (Fantasy, Science-Fiction, Fantastique et autres) contiennent quelques avertissements éloquents quant aux conséquences néfastes de la censure sur nos sociétés. Voici un petit florilège non exhautif.
Le Meilleur des Mondes d'Aldous Huxley (1932)
Dans cette œuvre visionnaire, Aldous Huxley imagine une société futuriste où le bonheur est maintenu artificiellement par la suppression des émotions et des pensées critiques. La censure est inhérente à ce système, où les individus sont conditionnés dès leur naissance pour accepter passivement leur sort et ne jamais remettre en question l'autorité établie. L'auteur nous met en garde contre une forme de censure qui ne se manifeste pas par l'interdiction de livres ou d'idées, mais par l'inculcation d'une conformité aveugle et d'une uniformité de pensée...
1984 de George Orwell (1949)
Dans ce classique, George Orwell dépeint une dystopie totalitaire où la vérité est manipulée par le régime au pouvoir. Le Ministère de la Vérité se charge de réécrire l'histoire pour que les faits concordent avec l'idéologie du parti. La censure est utilisée comme un puissant outil de contrôle des masses, écrasant toute dissidence et instaurant un climat de peur permanent. L'auteur nous met en garde contre la censure institutionnalisée qui mène à l'effacement de la réalité et à la perte de notre capacité à discerner le vrai du faux...
Fahrenheit 451 de Ray Bradbury (1953)
Dans ce classique de la science-fiction, Ray Bradbury peint un monde où les livres sont interdits et brûlés par les "pompiers" pour contrôler la pensée et la culture. La censure, représentée ici par le feu dévorant les connaissances, entraîne l'ignorance et l'apathie chez les citoyens, menant à une société superficielle et dépourvue de réflexion critique. Bradbury met en garde contre le danger de la censure, soulignant que la suppression de la diversité des idées conduit à l'appauvrissement de l'humanité tout entière...
Mais aussi : La Zone du Dehors (Alain Damasio), V pour Vendetta (Alan Moore), La Servante écarlate (Margaret Atwood), Neuromancien (William Gibson), etc.
Ces dystopies sont des mises en gardes contre une censure totalitaire, répressive et portant atteinte à une libre circulation des idées, des arts et des esprits créatifs. L'éducation sexuelle est ô combien importante dans notre société quelque peu conservative sur certains sujets. Les risques d'une censure sont bien identifiés et depuis longtemps : restreint la liberté d'expression, réduit la créativité artistique, favorise l'intolérance et la discrimination, création un climat de peur et d'autocensure, empêche le progrès social, favorise la désinformation, entrave la libre circulation des idées, etc.
La taille ne compte pas.