1.
| Thibaud Latil-Nicolas : Le panache, la gouaille et la camaraderie
Thibaud Latil-Nicolas est l’une des voix les plus intéressantes qu’il m’a été donné de lire depuis quelques années. Dans son univers de Bleu-Royaume, il nous sert une trilogie exceptionnelle suivant une compagnie du Roy face à une horde de créatures qu’on croirait sortie des Enfers.
La frontière nord du Royaume a toujours été délimitée par un immense mur de brumes. Mais depuis quelques temps, des créatures viennent à en sortir pour ravager la campagne environnante. Le brouillard se mettrait même à avancer ! La neuvième compagnie des légions du roy est donc envoyée au nord pour élucider ce mystère. Ils vont être accompagnés d’un mage et de son jeune apprenti afin de contrer ce fléau.
L’histoire est claire et sans digression inutile. Chevauche-brumes introduit donc la menace de ces créatures venues du Nord mais aussi une compagnie de soldats tous plus attachants les uns que les autres. Du vétéran qui a vécu une multitude de campagnes, au trésorier en passant par le capitaine qui est lasse de cette vie de guerrier et qui aspire à une promotion plus tranquille, tous, je dis bien tous, insufflent de la vie au récit. Cette vie de frères de sang et de copains de chambrée se retrouve dans chaque dialogue et chaque scène d’action. Militairement et littérairement, Thibaud Latil-Nicolas nous montre ce qu’est un véritable esprit de cor et l’idée de sacrifice. En cela, on retrouve facilement le plaisir de la lecture de Glen Cook et de sa Compagnie Noire, la fidélité à la Couronne en plus !
Au-delà d’une simple trilogie de guerre, l’auteur développe aussi l’aspect politique et religieux dans son œuvre avec des mages tolérées par une religion de plus en plus fanatisée par des prédicateurs en quête de pouvoir. Et il aborde la question de la nation, en créant un Bleu-Royaume composé d’anciens royaumes, comme une fédération de plusieurs Etats, chacun avec sa culture, ses problèmes et sa manière de les résoudre.
L’auteur sait se réinventer tout au long de sa trilogie. Dans Chevauche-brumes, il est question de siège, de mission suicide et d’escarmouches sur terre. Tandis que dans Les Flots Sombres, il est question de politique, de luttes intestines et de batailles navales. Je tairais le point d’orgue qu’est l’Appel du Grand Cor qui résout cette trilogie réussie en nous faisant vibrer aux côtés des légions du roy !
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2.
| Victor Fleury : De la fantasy mésopotamienne. Tout est dit
Victor Fleury aime les univers tranchés. Il a fait son entrée dans l’imaginaire avec un récit steampunk dans une Europe napoléonienne dominée par la science électrique (il parle lui-même de voltapunk !) et où évoluaient les grands héros de la littérature (Sherlock Holmes, Arsène Lupin, Frankenstein…) : L’Empire Electrique. Puis dans un virage à 180°, il s’attaque à la Mésopotamie et ses dieux cruels !
Dans La Croisade Eternelle, Nisaba, une prêtresse esclave, sert un prince héritier alcoolique, négligent et ô combien arrogant. Mais son malheur ne s’arrête pas à de simples réprimandes de la part d’un prince pourri gâté ; elle est aussi son oblate de peau. Dans l’univers de Victor Fleury, un oblat est un esclave, qui après un rituel magique, est lié à travers un sens à son maître. Ce système magique a la finesse de créer des situations de tensions durant tout le récit. En effet, l’intimité n’existe plus entre oblats et maître…
Tout ceci se déroule au sein de l’empire d’Ubuk, la plus grande et belle cité-état du monde, qui, grâce à ses seigneurs, descendants du dieu de la Lumière, mène une guerre sainte depuis des centaines d’années contre ses voisins. Le maître de Nisaba s’est engagé à servir l’empire et a maté un peuple qui n’a de cesse de se rebeller et de lutter contre l’influence des Prêtres-rois aux marges de l’empire. C’est l’occasion pour l’auteur de faire preuve d’une imagination débordante, le tout secondé par une connaissance très nette des mythes antiques. Nisaba va donc accompagner son maître dans ses voyages aux bords de lacs sacrés gardés par des créatures légendaires, mais aussi contempler les merveilles de l’Empire tout au long de la trilogie.
Point fort que j’avais souligné dans le dossier sur la fantasy orientale, les personnages de l’auteur sont très loin d’être manichéens. Nisaba, bien que prêtresse esclave, n’est pas sans reproche et fera tout (je dis bien tout) pour mettre son fils à l’abri de l’influence des prêtres-rois et du clergé de la Lumière qui lui veut du mal.
L’édifice littéraire qu’est La Croisade Eternelle est supporté par un style extrêmement fluide, avec une finesse de détails qui donnent l’impression d’être au cœur de la cité d’Ubuk avec ses ziggurats et ses jardins suspendus, en marchant aux côtés d’esclave et de marchands en tenue traditionnelle antique. La Croisade Eternelle est vraiment une trilogie de fantasy française à lire pour son style, son univers mais surtout pour le sentiment de dépaysement qu’elle suscite !
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3.
| Claire Duvivier : Une fantasy douce et fascinante
Que dire de Claire Duvivier si ce n’est qu’elle sait écrire de belles histoires inattendues. Dénuée de créatures fantastiques et de merveilleux, la fantasy de Claire Duvivier est sobre et enchanteresse grâce à son invitation au voyage. Un Long voyage est le récit d’un homme, né aux marges de l’empire, dans une peuplade qui l’a rejeté presque à l’adolescent et qui, à force d’obstination et de talent, va être le témoin privilégié de la chute d’un empire.
Liesse est l’objet d’un tabou auprès de son peuple, le poussant à se faire adopter par des serviteurs de l’Empire. La vie est paisible sur son archipel sous protectorat. Puis le changement et l’ambition de ces petites îles au carrefour de plusieurs nations arrivera du cœur même de l’Empire : une jeune administratrice, Malvine Zélina de Félarasie. Aristocrate promise à un grand destin politique et diplomatique, Liesse vivra dans son sillage pendant des années. Et c’est son histoire à elle qu’il nous rapporte au soir de sa vie. Quand il prend la plume, Liesse est loin de l’île qui l’a vu naître et l’Empire s’est morcelée en de nombreux petits Etats, vestiges des anciennes provinces impériales.
Ce qui frappe d’abord dans Un Long Voyage c’est son point de vue. Le lecteur, à travers le style à la première personne, endosse le rôle de Liesse, le simple secrétaire d’une administratrice. Rien de très héroïque ou de très excitant pourtant, on prend plaisir à suivre les décisions de Malvine de Félarasie et on se prend d’affection pour son serviteur indigène qui n’aspire qu’à une vie tranquille. Claire Duvivier a cette touche que l’on retrouve de plus en plus en fantasy : un texte touchant, plus proche du réel et où la violence n’est qu’un épisode et non une quête. Plus que cela, elle cherche à raconter les faits derrière l’Histoire et la légende.
En effet, l’Empire n’est plus depuis quelques années, chaque nation mène sa propagande, et racontars vont bon train. Ce récit puise ses sources auprès d’un acteur direct de cette chute. C’est cette quête de vérité qui fascine le lecteur et qui explique le succès du Nom du Vent de Patrick Rothfuss, de L’Empire du Silence de Christopher Ruocchio ou du cycle de Syffe de Patrick Dewdney. En ce sens, Claire Duviver porte une fantasy ancrée dans le réel.
Finis les dragons, finies les guerres sanglantes, la magie de Claire Duvivier est plus fine, plus mystérieuse et donc plus envoûtante. L’Empereur a disparu du jour au lendemain il y a un siècle et nul n’a eu le courage de le remplacer. Tous savent qu’il s’agit de magie mais nul ne saurait l’expliquer. Le peuple attend son retour ou un nouvel empereur, entretenant la légende impériale. Que dire encore de ces étranges statues venues du Nord et qui viennent reconquérir leur terre en parlant un langage ancien presque incompréhensible… Tout cela mis bout à bout crée de la surprise pour le lecteur qui s’était habitué à un récit sans merveilleux. Et quel plaisir quand Liesse, en même temps que son lecteur, découvre la vérité !
Autre force de son écriture, l’autrice propose une véritable progression de son personnage principal, Malvine de Félarasie, qui d’une jeune diplomate ambitieuse mais volontaire se confrontera à des événements qui vont bouleverser sa vie (et donc celle de Liesse) pour la transformer en une femme triste mais toujours au service du peuple qu’elle a juré de protéger. Et cette évolution se ressent dans les maigres moments d’intimité qu’elle partagera avec son ami et serviteur…
Claire Duvivier est une autrice à suivre pour son style sans ambages et d’une douceur qui rappelle que la fantasy est aussi une littérature du rêve et de la fascination. Sa prochaine trilogie, Les Citadins de demain, me fait clairement de l’œil !
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4.
| Nicolas Texier : L’humour aristocrate et l’action
Auteur de littérature générale et travaillant sur des écrits sur l’histoire militaire, autant vous dire que la plume de Nicolas Texier détonne et qu’il s’y connait en Histoire. Et c’est d’Histoire avec un grand H dont il est question dans sa trilogie « Monts et Merveilles » car l’Europe ne ressemble pas du tout mais alors pas du tout à ce quoi on pourrait s’attendre…
Uchronie jouant sur le registre de l’espionnage, de l’aventures et du merveilleux, le premier tome, Opération Sabines nous expose une Europe divisée en deux grands camps : celui de la République romaine de Weimar et les Alliés. D’un côté l’acier et la technologie, de l’autre la magie. Mais les feux d’une Deuxième Guerre Mondiale pointe le bout de leur baïonnette et c’est dans ce contexte qu’un savant vénitien aurait découvert une arme atomique capable de peser dans l’équilibre des forces. On demande donc à un jeune enchanteur Carroll Mac Maël Muad et son domestique Julius Khool (ancien soldat maure, poète à ses heures perdues et grand romantique quand il s’agit de courtiser des femmes magnifiques), de l’exfiltrer afin de lui soutirer les plans de son arme. Le tout pour les renseignements britanniques. Evidemment, rien ne se passe comme prévu car d’anciens dieux rentrent dans l’équation. En effet, la Magie tremble face à l’Homme et l’Atome !
Je n’en dirais pas plus sur l’histoire très riche de l’Opération Sabines et des deux opérations qui la suive mais disons que Nicolas Texier arrive toujours a trouvé le moyen de transporter ses personnages dans des endroits insolites dans une Europe mi-magique, mi-moderne, tout en mêlant contes et légendes pour faire vibrer notre âme d’enfant. Par exemple, dans Opérations Jabberwock, les deux compères se retrouvent en Amérique, en plein Far West, et rencontrent des cavaliers sioux guidés par les préceptes des chevaliers de la Table Ronde. En lisant Nicolas Texier, vous en apprendrez plus sur les religions celtes, sioux et mêmes vodous ! On a rarement des uchronies fun et incluant de la magie comme si la fantasy ne pouvait se permettre humour et Histoire vraie. Hormis le Paris des Merveilles, j’en vois très peu d’aussi réussie.
Parlons du style maintenant de l’auteur qui est… particulier. Frisant le langage soutenu, son personnage de Julius Khool est parfois capable de se lancer dans des descriptions foisonnantes mais rarement lourdes mais cela peut surprendre lors des premiers chapitres. Tandis que son maître, le jeune magicien, est nettement plus fantasque et bon vivant permettant de faire le parfait contre-point du personnage guindé de Khool. L’alchimie vous prendra ou non mais je vous conseille tout de même d’essayer, ne serait-ce que pour re-découvrir l’Europe sous un nouveau jour !
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5.
| Aurélie Wellenstein : La finesse et l’originalité d’une bonne histoire
Nous avons abondamment parlé des romans de science-fiction d’Aurélie Wellenstein dans notre dossier sur les nouvelles voix de la SF française mais attardons-nous encore sur son penchant pour la fantasy ! Conteuse exceptionnelle, j’espère de tout cœur qu’elle va continuer à se faire une place dans l’imaginaire français car chacune de ses histoires est unique et sa plume gagne sans cesse en fluidité et en maturité !
Le traitement de ses histoires mélangeant les genres et les références historiques donnent des impressions de réel à ses romans et accroit la profondeur des personnages par de simples détails. Comme par exemple dans le Roi des fauves où elle reprend à son compte la culture viking afin de créer des berserkirs en inoculant des parasites dans le corps des criminels ! Ce roman reprend les codes nordiques pour en faire un récit psychologique, d’amitiés et une course contre la montre, qui forment une très belle lecture.
Impression que l’on retrouvait également dans son roman de science-fiction Yardam, où un homme atteint de la folie sexuellement transmissible doit lutter pour préserver sa santé mentale, ou encore dans Les Loups chantants, où une jeune fille sera bientôt statufiée par le givre et où son frère s’embarque dans une échappée dans le Grand Nord pour tenter de la sauver (ce qui permet à l’autrice de proposer une histoire chez les Inuits !).
Les récits de fantasy d’Aurélie Wellenstein sont toujours peuplés de créatures étranges qui donnent souvent du fil à retordre à ses protagonistes et qui n’appartiennent à aucun bestiaire connu, ce qui démontre toute l’originalité un peu fantasque de l’autrice qui n’a de cesse de réinventer des créatures en lien avec ses histoires (dans Mers Mortes, les fantômes des fonds marins étaient des hybrides entre plusieurs créatures abyssales terrifiantes !)
L’autrice arrive toujours à maintenir le suspense de ses intrigues avec souvent des retournements de situation qui permettent de pimenter son histoire pleine d’originalité. Une autrice à lire pour son habileté à inventer des histoires et des univers donc !
Chez son éditeur (Grand Format)
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