1.
| La dynastie Dent-de-Lion de Ken Liu : Le souffle épique
Poussé par le désir de vengeance, même le lapin peut devenir loup.
Ken Liu est mondialement connu pour être le traducteur du mandarin vers l’anglais de Liu Cixin. Mais dans nos contrées, il a brillé avec son recueil de nouvelles La Ménagerie de papier ou encore avec ses quelques nouvelles proposées dans la revue Galaxies ou dans le magazine Bifrost. Plume très directe et peu descriptive, Ken Liu va à l’essentiel et accompagne subrepticement son lecteur dans son univers aux teintes asiatiques dans La Grâce des Rois dans sa saga de la dynastie Dent-de-Lion.
Dara est divisé en Sept Etats, tous répartis sur un continent ou sur les îles avoisinantes. Récemment, le petit Etat de Xana a pris l’ascendance sur ses pairs et son Empereur n’a de cesse de lever des impôts pour financer ses projets pharaoniques. Pour éviter toutes révoltes, les criminels sont envoyés sur les chantiers, tandis que les nobles sont exilés dans tout le pays, pour éviter qu’ils ne fédèrent leurs anciens sujets autour d’eux. La force de Xana s’appuie sur ses aéronefs qui permettent de faire fondre la mort sur les ennemis encore équipés à la mode médiévale. Ce qui maintient le pays sous une main de fer.
Mais l’Empereur s’apprête à mourir et les feux de la rébellion s’allument de toutes parts. Mata Zyndu, l’héritier d’un ancien clan guerrier et Kuni Garu, un voyou jovial, vont s’associer pour libérer leur pays du joug de l’Empereur. La Grâce des Rois est un de ses récits d’amitiés poignantes qui sont faits de moments fraternels splendides, mais aussi de trahisons, ce qui donne au roman une consistance exceptionnelle.
La guerre est pleine de rebondissements et d’ingéniosités surprenantes. Kuni, le cerveau du duo, n’a de cesse de révolutionner la guerre. Ce qui n’est pas toujours au goût de Mata, lui le guerrier exceptionnel rempli d’honneur et de dignité. Mais Ken Liu évoque aussi la lâcheté des nobles, la noblesse paradoxale du petit peuple, une guerre qui ne peut être menée que salement, ce qui modifie la perception de ses héros face aux légendes guerrières de l’ancien temps. Kuni et Mata sont les pendants de deux philosophies de la guerre qui s’affronteront et se lieront aux côtés des autres héros du peuple…
Que dire de l’univers qui est fouillé et recherché. Entre Japon et Chine, l’île de Dara est un savant mélange de magie, de technologie et d’interventions divines. Chaque personnage sera confronté à un dieu titulaire d’un des Sept Etats de Dara. A travers leur champions, les dieux mènent une lutte qui dépasse parfois les humains. Et chaque « réunion au sommet » entre les dieux sera l’occasion d’une dispute et d’en apprendre un peu plus sur leurs plans. D’autant plus qu’un détail anodin dans une description ou encore une rencontre au détour d’un chemin prendra tout son sens et nous amènera à douter si la volonté humaine était bien au cœur de l’action.
Petite anecdote très personnelle, le livre vous fera saliver à l’énonciation des plats typiques de chaque région, que les personnages se prieront de commander, tant dans une bicoque sur un marché couvert qu’à la table des rois !
La Grâce des Rois est ambitieux et sa suite Le Goût de la Victoire l’est encore plus car il accroit encore la dimension titanesque des enjeux qui se jouent sur l’île. En plus de confronter le lecteur à un après-guerre et à la difficile cohabitation entre les vainqueurs, il évoque ce qui n’est pas dessiné sur les cartes. Et pose la question de la survie d’un empire encore fragile face à une menace extérieure totalement inattendue et inconnue.
Ken Liu est un auteur à suivre. C’est indéniable.
2.
| Les Noces de la renarde de Floriane Soulas : Entre douceur et cruauté
Un craquement retentit dans le ciel moucheté d'étoiles. Mina leva la tête, juste à temps pour voir la lune se fendre en deux comme une mâchoire toute en dents déchiquetées.
Floriane Soulas est passionnée par le Japon et cela se ressent dans son style. Avec les Noces de la Renarde, elle offre un vibrant hommage à la culture traditionnelle japonaise, faite de légendes et de yokais. Ces yokais, êtres surnaturels du folklore japonais, sont tantôt malicieux et bienveillants tantôt cruels envers les humains. En effet, ces petits dieux acceptent leurs offrandes et ne leur imposent pas de tracas quotidiens seulement si les humains savent rester à leur place, c’est-à-dire loin de leurs sanctuaires reculés. Sauf que l’intelligence de l’Homme le pousse toujours plus loin et les sanctuaires sont progressivement violés pour faire de la place pour de nouveaux colons. Cette histoire, Floriane Soulas, nous la raconte à travers 2 récits entrecroisés : un dans le Japon Médiéval et un autre dans un Tokyo ultra-moderne.
SyFantasy vous a déjà abondamment parlé du style et de l’intrigue très prometteurs de l’autrice dans notre précédente critique sur Les Noces de la Renarde, donc nous ne nous attarderons pas sur l’aspect littéraire de l’œuvre, mais plutôt sur l’univers !
Les Noces de la Renarde est une véritable plongée dans la mythologie japonaise. Tanukis et kitsune (pour les plus connus des yokais) sont bien présents et apportent une douceur très féérique, bien que cruelle, à l’histoire. Cruelle, en effet, car l’autrice appuie bien le fait que ces êtres ne sont pas comme nous. D’autant que leur haine peut se comprendre, quand on sait que l’Homme a ravagé leurs habitats pluri-millénaires. Loin d’être anecdotique, les personnages fantastiques ont une véritable prise sur le réel : le personnage de Mina peut voir les fantômes et interagir avec eux, surtout quand ils s’en prennent à ses camarades de classe…
Le constant ballet entre Moyen-Âge et Modernité conforte l’idée que le Japon est pris en étau entre ces deux mondes. Les descriptions de Floriane Soulas à cet égard sont splendides. Les forêts de chênes et de pins vivent et vibrent aux grés des émotions des yokais. Tandis que les grandes portes torii de Tokyo marquent la transition vers un monde de rêves (et de dangers), où les être surnaturels peuvent évoluer au grand jour. Comme avec toutes les œuvres d’urban fantasy, on se surprend à voir des bars remplis de démons des neiges ou d’onis bagarreurs à chaque coin de rue, et à observer les tablettes suspendues dans des impasses, qui pourraient indiquer encore un autre lieu hors-du-commun.
Floriane Soulas a signé un pari réussi avec Les Noces de la Renarde, car elle nous offre un hommage au folklore japonais très touchant et qui invite au rêve.
3.
| La Trilogie de l’Empire de Janny Wurts & Raymond E. Feist : Le Game of Thrones japonisant
Ayant goûté au pouvoir et connu le frisson du jeu du Conseil, elle savait maintenant qu’elle ne pourrait jamais y renoncer.
La Trilogie de l’Empire est LA saga de fantasy orientale. On y retrouve des personnages attachants et aux pensées foisonnantes, qui interviennent dans un Japon fantasmé où le jeu politique est tout aussi mortel qu’un champ de bataille ! Une erreur dans ce jeu politique peut conduire à la ruine d’une lignée et à la mort de tous ses serviteurs. Contrairement à l’œuvre assez light fantasy de Raymond E. Feist, cette trilogie est souvent considérée comme l’une des meilleures, si ce n’est la meilleure, car elle est dure et sans merci pour ses personnages. Les enjeux sont compris par tous et l’escalade de violence peut vite survenir à n’importe quel tournant.
Mara est rappelée in extremis dans son clan, alors qu’elle allait prononcer ses vœux de prêtresse, car son père et son frère sont morts. À elle donc de conduire l’exercice de la famille et de s’assurer que les autres grands clans ne vont pas détruire une bonne fois pour toute son clan des Acoma, et se partager leurs terres, fonctions et richesses. Tout d’abord inexpérimentée, la trilogie va voir émerger un personnage extrêmement complexe qui prend goût au pouvoir et qui casse les codes car elle n’a plus le choix. L’honneur est réservé à ceux qui en ont encore les moyens. Elle ne peut plus se le permettre : son armée est décimée, son domaine désorganisé et assailli de toutes parts par les autres grandes familles…
En s’inspirant du Japon traditionnel et de son organisation, la trame politique prend non seulement des dimensions personnelles (avec la question de la survie d’un clan) mais aussi impacte les jeux dans les hautes sphères comme la place du shogun et la protection de l’empereur divin… Janny Wurts et Raymond E. Feist ont réussi à recréer un Game of Thrones japonisant qui nous prend aux tripes à chaque pari de Mara, qui engage tout son clan derrière elle. Et qui dit fantasy, dit magie. Mara exploitera tous les avantages que son univers pourra lui offrir : l’existence d’un autre peuple intelligent à la structure sociale de ruche (les Cho-Ja) ou encore la magie contrôlée par une minorité, qui seront autant de levier pour assurer la pérennité de sa famille !
De plus, les auteurs reprennent les codes de bonne conduite de la société féodale pour construire des adversaires que Mara (et le lecteur) n’est pas capable de cerner. Tous avancent masqués et un simple froncement de sourcils annonce une tempête émotionnelle intérieure que l’héroïne pourra peut-être exploiter. Et c’est là que le talent de Janny Wurts brille particulièrement car elle parvient à nous offrir un personnage féminin extrêmement riche à l’intérieur. Comme Mara ne peut s’exprimer en public, voire même avec ses serviteurs, l’autrice propose une description fine de la psychologie intérieure de son personnage, ce qui nous la rend d’autant plus attachante !
Janny Wurts et Raymond E. Feist signent un duo parfait : elle, à la construction des personnages, et lui, à la cohérence de l’univers et aux scènes à fortes tensions !
4.
| Porcelaine d’Estelle Faye : La Chine magique et mystérieuse
Il se touche le nez. Retire aussitôt sa main. La replace, tâte l'endroit tandis que sa gorge se serre doucement. A la place de son nez, une petite chose humide et froide. Une... Une truffe ?
Estelle Faye signe avec Porcelaine un conte, et cela, dans tous les sens du terme : récits étonnants, acteurs sur les routes, rizières enchanteresses, pays maudit et héros immortel à la tête de tigre. En suivant les pas de Xiao Chen, maudit par un dieu vengeur, on découvre la Chine ancienne et celle des missionnaires chrétiens.
Pour ceux qui ont été biberonnés aux légendes guerrières des Trois Royaumes Combattants, Porcelaine apporte une vision plus intimiste et plus touchante de la Chine. En effet, Xiao Chen n’aura de cesse de voyager à travers le pays qui deviendra la Chine. Et son voyage, il le réalise aux côtés d’une troupe de danseurs et d’acteurs de théâtre qui sont tous plus attachants les uns que les autres, même si certains ne passeront pas les siècles, contrairement à l’homme au visage de tigre.
- Qu'est ce que ma tête leur rappelle ? réplique l'adolescent d'une voix qui s'éraille. Que j'ai eu un peu plus de cran qu'eux ?-Que l'homme ne gagne pas toujours contre les forces anciennes, les puissances qui régnaient sur le monde avant notre venue.
Le cadre est un véritable point fort car il nous embarque sur les Fleuves jaunes et bleus ou encore sur les steppes mongoles. Et à chaque passage espacé de plusieurs années, voire plus siècles, le lecteur découvre les changements opérés sur la nature et les populations. La magie accompagne leurs pas car le jeune acteur à tête de tigre est sans cesse traqué par des forces qui veulent l’abattre. Et la fée qui l’aimait, Brume de Rivière, viendra à le haïr pour son amour pour une mortelle, conduisant à des séquences d’anthologie tout au long du roman. On s’imagine presque aux côtés de cette fée préparant de mauvais sorts, dans une grotte reculée donnant sur des rizières splendides au coucher du soleil.
Porcelaine est aussi une réflexion sur la solitude et la vieillesse. En l’an 200, Xiao Chen est accompagné d’un acteur, Pieds-de-Cendres, qui l’aime mais qui jalouse son immortalité et cherchera par tous les moyens à conserver sa vitalité, lui qui est un vrai contorsionniste. Estelle Faye arrive à faire sentir tout cet élan tourné vers cette quête de la jeunesse éternelle dans le style associé au personnage. Et sa longue vie lui apportera nostalgie et amertume…
Porcelaine est une vraie bouffée d’air frais féérique. Estelle Faye nous transporte dans un conte plein d’amour, de faux-semblants, de magie et de d’amitiés, le tout servi par une plume d’une justesse qui ne fait que rendre hommage à l’histoire mouvementée de la Chine et de sa mythologie.
5.
| La Guerre du Lotus de Jay Kristoff : Le Steampunk japonais
Je suis me suis vu chevauchant un grand arashitora au milieu des grondements du tonnerre, conduisant mes armées guerroyer au-delà des mers contre les hordes de gaijin aux yeux ronds.
Jay Kristoff est un auteur qui a le vent en poupe dans l’imaginaire anglo-saxon et qui s’est fait connaître en France avec sa saga de la Guerre du Lotus, une fantasy steampunk aux inspirations japonaises !
L'Empire est divisé en quatre grands conglomérats (le Zaibatsu) que sont les clans du renard (Kitsune), du dragon (Ryu), du tigre (Tora) et du phoenix (Fuschicho). L'Empire est ainsi composé de ces quatre grands clans qui ont su s'imposer et faire disparaître les clans plus faibles. Yukiko est une jeune Kitsune et fait partie du groupe de chasseurs du jeune et impulsif Shogun. Comme elle évolue dans les hautes sphères de l’empire, on découvre à travers elle les enjeux qui sous-tendent à l’univers, tout en contemplant l’œuvre globale de l’auteur.
En reprenant le code d’honneur strict du Japon, Jay Kristoff pousse ses personnages à la faute. En effet, quand le Shogun ordonne à Yukiko de retrouver un arashitora, un tigre de tonerre, un animal de légende, l’honneur lui impose d’accomplir la mission tout en sachant qu’elle va au suicide. L’auteur arrive à nous immiscer dans la tête de l’héroïne et à nous faire percevoir ses nombreux doutes.
D’autant plus qu’elle arrive à trouver la bête ! Mais, en se liant avec elle (étant une kitsune, elle peut s’immiscer dans l’esprit des créatures et des animaux), elle se refuse à le livrer. D’autant plus que son voyage lui fait découvrir l’envers du décor du shogunat, gangréné par la pollution du Lotus, une plante qui a permis le développement industriel du pays (d’où l’aspect steampunk de la série !). Les terres ont été corrompues par le Lotus au fil des ans, mais elle a permis à l'Empire de prospérer et de s'étendre. Consciente des ravages provoqués par cette plante et de la cruauté du Shogun, l’héroïne est sans cesse tiraillée entre son honneur et le destin de son empire qui risque de perdre son âme.
Et c’est cette rébellion qui donnera naissance à la fameuse Guerre du Lotus et qui permettra à l’auteur d’explorer également les autres clans et sa réinterprétation de la culture japonaise. En effet, on parle bien de réinterprétation car certains éléments n’appartiennent pas à la culture japonaise (comme l’arashitora) : on parle plus de fantasy japonisante que de fantasy japonaise dans cette saga. L'usage de termes japonais ravira les adeptes de la culture nippone et des mangas. Et pour les moins habitués, l’éditeur veille bien à garnir un glossaire pour ne pas s’y perdre !
Le scénario tout au long de la saga est très bien travaillé et la relation entre Yukiko et la créature est rafraîchissante car Jay Kristoff s’éloigne de la logique « maître – monture » car l’héroïne peut lire les pensées de l’arashitora. Relation qui est au cœur du conflit naissant et qui est très chargé en rebondissements, ce qui nous tient en haleine et titille notre curiosité jusqu’à sa conclusion épique !