1.
| Froid mortel pour l'Homme et les civilisations
L’hiver et le froid sont rudes, ils sont faits pour des gens rudes. C’est pour cette raison que les gouvernements ou les royaumes envoient au loin leurs fauteurs de trouble ou leurs bâtards, comme si le froid allait les absoudre de leurs péchés, ou empêcher leurs idées séditieuses de se propager. Delas, dans Le Chant des Glaces de Jean Krug, cette planète-prison de glace a cette fonction. Tous les rebelles du système Espsilon y sont envoyés discrètement et parqués dans des prisons à ciel ouvert, car où allait quand on est entouré de glace ? De même, le Mur dans Le Trône de Fer de G. R. R. Martin, au-delà de sa fonction qui est de repousser les sauvageons, est avant tout de refourguer les parias (bâtards, criminels…) à une compagnie de veilleurs, plus occupaient à creuser des latrines dans la glace que de repousser quoique ce soit (du moins au début). Le froid a cette image dans l’imaginaire collectif d’un purgatoire où même le plus sauvage devrait s’assagir.
Mais c’est une erreur, preuve en est sur Delas ou sur le Mur, c’est d’ici que vient le changement. Sur Delas, la rébellion n’est que plus forte car quand on est entouré de glace on n’a plus rien à perdre... Tandis que sur le Mur, Jon Snow rompra ses vœux avec son célèbre « My Watch has ended » et soulèvera une partie de la Garde de Nuit, et à raison, car les Marcheurs Blancs, personnification de l’hiver et de la mort, arrivent et bien peu y survivront.
En effet, au-delà de son aspect abrupt et éreintant, l’hiver et le froid glacial sont perçus en imaginaire comme la fin des civilisations. Snowpiercer (inspiré de la BD française de Jacques Lob) en est l’illustration la plus criante et la holywoodienne : la Terre est plongée dans une nouvelle ère glaciaire et seuls quelques-uns ont la chance d’y survivre et ce, seulement à bord d’un train où une maigre perte de vitesse peut faire s’effondrer ce qui reste de l’Humanité. Constamment sur le fil du rasoir, aucune civilisation ne peut se développer ou espérer des jours meilleurs. Elle ne fait que survivre ou tomber dans la débauche car demain est déjà un cadeau. Or, on le voit bien, à travers les différents épisodes de la série notamment, que plus rien ne se créé. A tel point qu’une machine reproduisant les sons de la mer, et recyclant la musique du temps où l’humanité était encore heureuse, est créée pour combler le manque. Dans Snowpiercer, l’humanité est pitoyable et elle le mérite car elle est la cause de sa propre perte. Les concepteurs du train ne pensaient pas réellement maintenir des générations et des générations d’humains dans ce cocon de fer. Ils voulaient prolonger la fête – raison pour laquelle les pauvres à l’arrière du train n’étaient pas invités initialement !
Le froid et la glace est aussi la tanière de ce qui attend de détruire l’Homme et sa quête vaine de soumettre la Nature. Dans The Terror d’Alexander Woo (adapté de Terreur de Dan Simmons), la tension est à son comble dès que la créature, qui hante l’Antarctique, vient roder autour du navire emprisonné dans la glace. L’équipage, privé de nourriture, sombre rapidement dans la folie, la paranoïa parce qu’elle sait que la créature viendra les chercher là où l’Homme n’aurait jamais dû s’aventurer…
La glace et la neige sont les ennemies naturelles de l’Homme mais sont aussi les derniers refuges des civilisations anciennes ou balbutiantes mais aussi de ces créatures mythiques. Voire parfois même le tremplin d’un avenir nouveau, exempt des erreurs du passé, car après l’hiver, vient le printemps.
2.
| L'hiver comme refuge en attendant le printemps des civilisations
Pour Robert E.Howard, le salut viendra de la barbarie. Et où trouve-t-on le barbare ? Dans les terres inhospitalières et froides. C’est renouant avec la nature et sa beauté rude que l’Homme peut réellement s’élever. En effet, Howard qui se sait civilisé, a vite reconnu que ceux qui se sont régulièrement montrés « barbares » à travers l’Histoire sont en fait les plus civilisés. Le barbare, par sa nature simple et étrangère, révèle la vraie nature des hommes du Sud, fourbes et retours. Cela se ressent également dans La Première Loi de Joe Abercrombie, avec le personnage de Logen, ce guerrier du Nord taciturne et sans cesse étonné de la rouerie et des faiblesses des gens du Sud. Le froid est la manière la plus pure d’obtenir un homme brut, le matériel des héros. L’hiver, personnifié dans le barbare venu du Nord, met à l’épreuve les civilisations et les peuples. Soit elles en sortent renforcées, soit dévastées…
Le froid et les lointaines contrées du Nord sont donc le refuge des derniers vrais Hommes, mais aussi des derniers mythes. Dans la Trilogie d’une nuit d’hiver de Katherine Arden, afin de fuir la montée du christianisme, les esprits de la nature et du foyer se sont cachés dans les steppes glacées de Russie. Seuls quelques boyards pratiquent encore les rites anciens et les offrandes, et les esprits le leur rendent bien. Qu’est-ce qu’une miche de pain posée devant la fenêtre contre la sécurité d’une nuit chaude au cœur de l’hiver. Pourtant, les Hommes sont convaincus que le Christ a réponse à leur malheur, alors même que les hivers sont de plus en plus mortels… L’hiver préserve les dernières valeurs des Hommes et maintient leur lien avec la Nature.
Comme évoqué plus haut, le froid peut être une épreuve pour l’Homme et les civilisations anciennes. Dans les Montagnes Hallucinées d’H. P. Lovecraft, les shoggoths attendent des jours meilleurs pour reprendre le contrôle de la Terre (même s’ils ne savent pas que leurs maîtres ont disparu). Les civilisations sont mises « sous cloche » pendant l’hiver ou les grandes ères glaciaires. Dans Glace de Christelle Féret-Fleury, les Glacés ont construit une cité, loin dans les montagnes, pour accueillir le meilleur de l’humanité. Quand la pollution aura cessé de détruire le monde et ce qu’il reste des Hommes, un peuple plus fort, plus beau et plus intelligent repeuplera la Terre, fort des erreurs du passé. C’est avec cet espoir que les deux humains de Gondawa sont mis en hibernation dans leur capsule d’or dans La Nuit des Temps de René Barjavel : ils sont ce qui doit être préservé.
Sous cloche, la civilisation ne pourra qu’évoluer vers le mieux, avec des mœurs plus pures, comme par exemple dans La Main gauche de la nuit d’Ursula L. Guin, où, sur une planète de givre, les évolutions génétiques et la séparation avec le reste de l’Humanité ont conduit à une société plus équilibrée et plus tolérante : les humains ne sont ni homme ni femme – seules des poussées hormonales temporaires mensuelles leur font changer de sexe régulièrement, entraînant des changements sociétaux majeurs (politique, relations familiales…) !
Et après l’hiver vient le printemps. Je n’aurais pu terminer ce dossier sans évoquer l’œuvre magistrale de Brian Aldiss et sa trilogie-univers d’Helliconia. Helliconia est une planète similaire à la Terre et accomplit une très longue année (2 500 années terriennes) et les températures globales varient énormément sur les années hélliconiennes. Le thème majeur de ce trésor de la SF est la fragilité de la civilisation face aux éléments et aux changements climatiques. Pris entre un hiver glacial et un été brûlant s’étalant sur plusieurs générations, le printemps est l’occasion pour les peuples de sortir de leur hibernation et de refaçonner le monde, lourds des mythes et des histoires des empires passés. Seul un empire plurimillénaire a trouvé la force, la résilience et l’organisation pour se maintenir tout au long de ces saisons interminables, l’empire de Pannoval. Tous les autres ne sont que royaumes et empires éphémères. Fort de ce savoir s’accumulant à chaque cycle, Pannoval trouve toujours la foi de perpétuer la race humaine. Seules la résilience et l’ardeur permettront de faire refleurir la civilisation. Quelques centaines d’années d’hibernation n’éteindront pas le feu sacré de l’Homme : l’espoir de jours meilleurs.