Reshoot. Le terme est devenu tabou à Hollywood, où on le confond parfois avec ce que l'industrie désigne sous le concept d'additional photography, ou en bon français, de tournage additionnel, celui qui permet aux films de s'étendre ou de se bonifier là où les reshoots concerneraient d'avantage une seconde chance ou un tir corrigé, suite à des retours plus ou moins positifs. Et qu'il soit reshoot ou additional photography, le retour en tournage de Rogue One, le premier spin-off de la saga Star Wars, fait énormément parler de lui depuis près d'une semaine. Il était donc temps pour nous de prendre notre clavier pour couper court aux rumeurs circulant dans les cantinas.
Tout n'est qu'une question de ton
Depuis quelques jours, les explications quant à ces reshoots fusent en effet sur les internets. L'une des explications les plus reprises par nos confrères et fans de Star Wars concerne ainsi le ton du métrage de Gareth Edwards, qui n'aurait pas réussi à séduire les heureux élus ayant pu poser leurs yeux sur les test screenings de Rogue One. Première chose, les sources d'Entertainment Weekly expliquent que personne n'a pu voir le film pour le moment, si ce n'est Bob Iger, président de Disney, et Alan Horn, président de Walt Disney Studios. Deux décisionnaires d'importance, mais qui ne sont pas parmi les responsables directs et quotidiens de la production de Lucasfilm. Qu'à cela ne tienne, nombreux sont les journaux qui persistent et signent, estimant que le studio serait inquiet du ton et de l'ambiance développés par le film. A ce titre, rappelons quelques évidences. D'une part, les rumeurs concernant les films produits par Disney ont toujours tendance à évoquer ce problème de ton. Tout simplement parce que dans la tête des internautes et de certains journalistes, Disney ne produit que du divertissement familial voire enfantin. Et logiquement, un film de guerre dans l'univers Star Wars ne s'alignerait pas sur ce credo. Mais rappelons que Lucasfilm, et par extension Disney, n'aurait pas engagé un crew issu des séries Band of Brothers ou The Pacific (toutes les deux centrées sur la seconde guerre mondiale) ou de la production de Black Hawk Down s'ils ne voulaient pas d'un film de guerrier dans l'univers Star Wars.
A mon sens, ces rumeurs de reshoots destinés à alléger le ton du film ne sont donc pas fondées. Elles iraient à l'encontre même du concept original, et plusieurs sources de Lucasfilm, contactées par Entertainment Weekly, estiment que le studio a bel et bien l'intention de laisser Gareth Edwards et ses troupes explorer l'univers Star Wars sous un angle précis. The Playist nous rapporte d'ailleurs que le film serait plus "gris" qu'Un Nouvel Espoir, où les méchants sont très méchants et les gentils très gentils. Et puisque Rogue One part de l'exercice de style qui consiste à adapter le texte en lettres jaunes défilant du premier Star Wars, pouvait-il réellement s'aligner sur l'esprit des premiers opus de la saga ? Rien n'est moins sûr. On doute donc sincèrement que Lucasfilm s'inquiète de l'originalité du métrage, qui semblait faire tout l'intérêt du projet en premier lieu. Mais si le studio ne cherche pas à corriger le tir ou à alléger l'ambiance du film, pourquoi partir en reshoot, après tout ?
La durée, le contenu
Entertainment Weekly aurait la réponse. Toutes les sources de Lucasfilm contactées par le journal révèlent que les reshoots - devrait-on dire l'additional photography - sont programmées depuis des mois, et que le studio avait verrouillé des semaines de tournage supplémentaires pour l'été 2016 avant même que la première scène de Rogue One ne soit tournée. Scoop : c'est le processus de production de la plupart des projets hollywoodiens du moment.A priori, rien d'inquiétant donc. Mais les articles sur le sujet ont parfois expliqué que 40% du film serait retourné à l'été, dans une démarche sans doute purement sensationnaliste. Vous n'êtes pas sans savoir qu'un film ne peut pas re-tourner la moitié de ses scènes en l'espace de quatre ou cinq semaines de tournage de supplémentaires - mentionnées dans les sources les plus sérieuses, comme Variety ou The Hollywood Reporter - et qu'il n'est donc pas sérieux d'envisager que le métrage soit tourné une seconde fois cet été, sous un angle plus léger ou plus raccord avec les opus Star Wars numérotés.
En revanche, le film pourrait profiter de ces semaines de tournage supplémentaires pour améliorer sa forme finale. D'après les sources citées par Entertainment Weekly, les reshoots concernent ainsi moins le tournage d'une grande bataille que des scènes visant à clarifier les arcs narratifs des différents personnages - on nous parle notamment de discussions dans des cockpits. Et puisque le film est centré sur les aventures d'un commando impliquant de multiples protagonistes, il est logique que Rogue One offre un maximum de scènes à chaque personnage, ne serait-ce que dans une logique purement mercantile : si un héros s'avère plus cool que cool, on peut imaginer qu'il vendra plus de figurines à son effigie. Mais sans rentrer dans la théorie du complot, on peut imaginer que ces scènes ne sont pas forcément de mauvais signes pour le format actuel du film. Il s'agit peut-être de fluidifier l'histoire de nos rebelles et d'offrir quelques ajouts bankables au film. Citons, au hasard, l'ajout d'un jeune Han Solo dans le fond d'une scène ou d'un Dark Vador qui pourrait profiter des reshoots - aux équipes des tournages moins peuplées - pour s'offrir une scène dantesque sans risque de leaks.
Une trinité de mercenaires
Maintenant, toute la positivité du monde ne saurait nous faire oublier quelques éléments importants. D'une part, Gareth Edwards a quitté la réalisation de son prochain film, Godzilla 2, pour se recentrer sur des productions plus intimes, nécessitant moins d'énergie et impliquant moins de contrôles. Forcément, cette décision pourrait avoir été motivée par son travail sur Rogue One, mais nous en jugerons lors du panel sur le film à la Star Wars Celebration, qui sera présenté par le bonhomme. D'autre part, plusieurs collaborateurs auraient été appelés à travailler sur la production lors de ces derniers mois. Il y a quelques semaines, on parlait de Christopher McQuarrie (The Usual Suspects, Mission Impossible, Jack Reacher), script doctor de luxe à Hollywood, qui aurait aidé le scénario du film, qui est déjà passé entre les mains de John Knoll et Gary Whitta, avant une forme finale par Chris Weitz. Mais encore une fois, le film avait peut-être besoin de cette aide, lui qui a été propulsé premier spin-off Star Wars de l'histoire alors qu'on parlait de films Han Solo et Boba Fett pour succéder à The Force Awakens il y a quelques mois de cela.
McQuarrie n'a d'ailleurs pas démenti ce coup de pouce, là où il dénonçait les journalistes le voyant déjà réalisateur et scénariste de secours de ces reshoots vendredi dernier. Ce qui n'empêche pas ce tournage supplémentaire de profiter, d'après Entertainment Weekly, de l'aide de Tony Gilroy. Proche de Frank Marshall (mari de Kathleen Kennedy, présidente de Lucasfilm), réalisateur de Michael Clayton (ou encore du douteux The Bourne Legacy) et scénariste de toute la saga Bourne (à l'exception du prochain épisode), le bonhomme aurait offert des notes au studio et à Gareth Edwards. Un rôle qu'il avait déjà pris lors de la production du Godzilla d'Edwards, dont il aurait parfait l'intrigue, sans recevoir un crédit au générique pour autant. Là encore, rien de tellement inquiétant puisque les deux hommes semblent déjà avoir travaillé ensemble sur un projet ambitieux. Enfin, notons que The Hollywood Reporter a récemment évoqué la participation de Simon Crane à ces reshoots. Le second unit director et spécialiste des chorégraphies a travaillé sur des films comme Edge of Tomorrow, ou encore Il Faut Sauver le Soldat Ryan, et pourrait ainsi offrir quelques séquences musclées supplémentaires au film, qui garderait alors son ton de film de guerre, via le C.V de Crane. Pour des retouches, l'équipe créative semble luxueuse, et c'est sans doute pourquoi certains journalistes y voient un sauvetage de Disney quand d'autres penchent vers un certain perfectionnisme.
Qu'on se le dise : il y a toujours une part de vérité dans les rumeurs. Et Rogue One ne fera pas exception, surtout dans le contexte actuel. En effet, Hollywood serait soudain inquiété par les chutes assez spectaculaires de films comme Batman v Superman, Alice Through The Looking Glass, Teenage Mutant Ninja Turtles 2 ou encore X-Men Apocalypse au box-office et/ou dans les cahiers critiques. Une peur panique de l'industrie qui pourrait expliquer la stratégie de Disney et Lucasfilm sur Rogue One. De toute évidence, le succès (ou non) du premier spin-off Star Wars sera décisif pour le plan de bataille du studio, qui enchaînera épisodes numérotés et spin-off d'une année à l'autre. Il ne faudrait pas tuer la poule aux œufs d'or dans l'œuf en offrant un sous-opus de la saga ce décembre, surtout après un The Force Awakens qui a accumulé plus de deux milliards de dollars au box-office et des critiques élogieuses partout dans le monde. Lucasfilm est à mon humble avis parfaitement conscient de l'importance du film d'Edwards dans son plan de bataille, qui a pour objectif suprême de maintenir une Star Wars Mania à flots (au moins) jusqu'en 2020 : or, cela implique peut-être une vigilance accrue de la part du studio. Associées aux craintes des fans de Star Wars - proportionnelles à leur amour pour la licence - ces décisions stratégiques pourraient avoir donné naissance à des rumeurs assez dingues, qu'il conviendra de nuancer d'ici la Star Wars Celebration et bien sûr, la sortie du film, prévu pour le 14 décembre prochain dans les salles françaises.