1.
| Le roi est mort, vive... qui ?
La saison 8 de GoT laisse derrière elle un immense vide. La série la plus populaire de la décennie a ouvert une trouée (du Rohan) dans laquelle s’engouffre (de Helm) – on me souffle que ce n’est pas le bon univers – toutes les plateformes. « Quel sera le prochain GoT ? » The Witcher ? La Roue du Temps ? The Rings of Power ? Allant de petites en grosses déceptions, aucun prétendant n'apparaît à la hauteur. Mais qui pour lui succéder ?
HBO se porte candidat à sa propre succession et développe plusieurs projets dans l’univers du Trône de Fer. La logique est implacable, la seule série à même de prendre la succession de GoT, c’est GoT elle-même : c’est d’une pureté dynastique parfaite. Mais, quand en 2019, la chaîne annonce l’annulation de Bloodmoon (la première série préquel développée par la chaîne), on était en droit de désespérer. Ce ne serait pas demain la veille que l’on retournerait dans notre univers préféré. Mais peut-être fallait-il plutôt se réjouir ? HBO n’allait pas faire du GoT à tout prix, mais seulement de qualité, quitte à sacrifier 30 millions de $ dans un pilote que l’on ne verrait jamais.
Cette annulation montre que l’ambition de HBO est risquée. À la recette développée à partir de GoT – promesse de succès –, s’oppose aussi une autre vision des choses : l’attachement à un univers, à ses dynamiques, la connaissance du lore qu’en ont les spectateurs, la communauté qui lui est liée. Promettre du GoT (encore faut-il définir ce que c’est) aux déçus des dernières saisons comme aux fans inconditionnels, c’est prendre le risque (sans en prendre un, car quoi de plus confortable que de refaire ce qui a marché ?) de doublement décevoir.
Sur ce, est annoncé le lancement de House of the Dragon. Une série préquel traitant de la dynastie des Targaryens – cette charmante famille incestueuse aux cheveux labéllisés l’Oréal. La chaîne ne fait pas que ripoliner la façade ; elle change le contenu, non le contenant, tout en promettant de garder l’essence de GOT. Le projet se dévoile : « La Danse des dragons » sera adaptée. Adaptée, oui. Car House of the dragon adapte les chapitres centraux de la chronique historique Feu & Sang, écrite par G.R.R.Martin et publiée en 2018. Voilà de quoi rassurer. Le taulier est aux commandes, les showrunners (Ryan Condal et Miguel Sapochnik – qui n’ont plus grand-chose à prouver) s’emparent d’une œuvre achevée : tout est là, la trame, les personnages, les enjeux.
Mais le projet est audacieux, oserait-on dire casse-gueule. Feu & Sang est une chronique historique, croisant des sources fictives, partiales et subjectives. Ce dispositif d’écriture complexe n’est pas fait pour l’écran qui fixe les choses. Quand la chronique propose trois hypothèses, la série ne peut, en toute logique, n’en garder qu’une. L’adaptation ne trahira-t-elle pas la saveur même de la chronique et la communauté de fans qui aime théoriser ? Ou assumera-t-elle d’être une vision supplémentaire, complémentaire sans être contradictoire ? En outre ; il manque à cette chronique la chair nécessaire pour transformer un livre d’histoire en série du dimanche soir. Et de la chair, ils vont nous en donner.
2.
| Retour en terre plutôt connue
De photos en trailers, House of the Dragon se révèle. La série traitera de « La Danse des dragons », une guerre civile opposant deux branches de la famille Targaryen. Complots, batailles et dragons seront au rendez-vous.
Nous y voici. L’écran s’allume, grésille, comme une promesse de qualité. D’emblée, la série assume son héritage. Tu seras reine, ma fille semble murmurer l’aînée à l’oreille de sa cadette. Les premières minutes du premier épisode sont une vaste opération séduction : « Daenerys Targaryen » s’attarde à l’écran, le thème musical des Targaryens tambourine et trompette, un dragon sort des nuages et plane au-dessus de Port-Réal, puis sa jeune cavalière met pied à terre.
De dos, à s’y méprendre, on croit voir Daenerys. Mais immédiatement, aussi, les différences se manifestent : les badauds regardent à peine les dragons dans le ciel quand ceux de GoT fuyaient ; l’imposant Fosse-Dragon n’est pas encore une ruine. À cela, s’ajoutent une prophétie se réalisant dans l’ultime saison de la saison mère, une dague bien reconnaissable et dès l’épisode 2 un générique par trop familier.
Là-dessus débarque un roi bon-vivant, des comploteurs habiles, de la violence gratuite, du sexe explicite. Les appels de phares d’HBO sont voyants : « Vous aimiez les premières saisons de GOT. On a refait pareil. On n'est pas bien là ? » Et, en effet, on est plutôt pas mal. Les lieux sont familiers, les noms vaguement, les enjeux définis. On est comme à la maison (du dragon). Donc voilà, c’est tout ? House of the Dragon n’est-elle qu’un GoT bis, sans rien de plus à offrir que l’agréable sentiment de retrouver un univers familier ?
On est en droit de s’en inquiéter. À partir du moment où des créateurs définissent un univers – cherchent à « faire du GoT » en essentialisant ce qui, dans l’imaginaire collectif, le définit, ne l’atrophient-ils pas ? Suffit-il d’un complot, de sexe et de violence, d’un thème musical au piano et d’un retournement de situation ? Une œuvre peut-elle se satisfaire d’être une recette ? Aussi éprouvée la recette soit-elle…
3.
| La mue du dragon
Si HoTD n’avait à offrir qu’une bonne redite de GoT, ce ne serait déjà pas si mal. Mais, semaine après semaine, la fille a montré de quel bois elle se chauffait. Le dragon a opéré sa mue. Reprenant tout ce qui a fait le succès du Trône de fer (la fameuse recette), le préquel se constitue une identité propre.
La structure et le rythme ? Le format presque anthologique de la série (à la The Crown) dénote par rapport à GoT. Chaque épisode, tout en faisant avancer l’histoire globale, propose une intrigue indépendante : une situation présentée en début d’épisode sera résolue à la fin. Par exemple, un mariage, une question de succession, une guerre, etc… Ce qui induit également un rythme différent. Les sauts dans le temps permettent de couvrir une longue période historique et de voir grandir, naître et mourir des personnages sur presque une génération. Si GoT suivait ses personnages au long cours, HoTD fait le choix de ne montrer que les éléments significatifs de leur existence au risque de passer sous silence, grâce à des ellipses, le liant, l’anecdotique et parfois l’essentiel. Ainsi, chaque épisode est comme un épisode 1 où les enjeux sont renouvelés, la situation transformée par rapport au dernier épisode. Par monts et par vaux, nous allons à sauts et à gambades.
La réalisation ? Avec Sapochnik aux manettes, la série ressemble inévitable à GoT : batailles grandioses mais stratégiquement douteuses, montages parallèles en fin d’épisode, longues discussions champ-contre champ. Mais aussi du neuf : gros-plans, grammaire visuelle significative (entre autres, un plan-séquence traduisant le pouvoir qu’exerce un personnage sur un autre).
Les acteurs ? C’est pépite. Le format anthologique a forcé la série à introduire un bond dans le temps nécessitant de re-caster les actrices principales : bluffant. Et neuf, puisque la série mère ne nous avait pas habitués à cela.
L’intrigue ? Une tragédie (dont un spectateur avisé de GoT connaît la conclusion, Joffrey révélant le destin d’un personnage dans la saison 3 et puisqu’il n’aura échappé à personne que les dragons ont disparu au début du Trône de fer) resserrée sur une famille (élargie – et bougrement dysfonctionnelle), loin de la galerie de personnage de GoT vagabondant chacun aux quatre coins de Wetseros et Essos. À ce titre, les deux génériques de la série témoignent de la différence d’intention. Le premier proposait une carte invitant au voyage, le deuxième un arbre généalogique (cabalistique) resserrant l’intrigue en un lieu, qui tient jusqu’à la fin nos canapés remplis.
À mon sens, GoT jouait sur une double dynamique passé/futur. L’avenir des personnages comptait autant que les mystères de leur passé – ou du passé plus généralement. HoTD se concentre exclusivement sur le destin annoncé de ses personnages pris dans une fuite en avant perpétuelle. Et s’il est bien difficile de définir brièvement GoT (car le « Qui finira sur le trône ? » ne rend pas vraiment hommage à la série), pour l’essentiel, HoTD se résume à « Est-ce que Rhaenyra héritera ? ». En un mot, c’est Succession avec des dragons.
La sexposition ? Là encore, le premier épisode reste fidèle à l’adage « it’s not porn, it’s HBO » avant que les suivants ne proposent parmi les plus belles et symboliques scènes intimes de la série.
La musique ? De thèmes discrets ou repompés au début, Ramin Djawadi signe parmi ses plus belles compositions en fin de saison. The Crown of Jaehaerys en cathéter. Ici encore, même contenant, contenu différent. La recette ne change pas et la preuve la plus remarquable en est les compositions au piano pour accompagner sur la durée une scène d’anthologie. L’introduction musicale (Lament) de l’épisode 9 fait écho en ce sens à Light of the Seven ou The Night King.
Ces différents exemples, témoignant d’une prise de distance progressive avec la série mère ou de choix d’emblée différents, donnent le sentiment qu’il a fallu attendre que la série s’installe, séduise son public en le prenant par la main puis, que finalement, le dragon frétille la queue, déploie ses ailes et s’envole assumant à la fin être ceci : la même chose mais en différent (d’aucuns diront en mieux ?). Une œuvre de commande qui a su devenir, par amour des créateurs, respect de l’univers et envie de bien faire, une œuvre à part entière.
4.
| Kill the mother
Même si la mue semble opérée, House of the Dragon est dans son ADN l’héritière de GoT. Indéniablement, en tout point de vue. La série n’échappe pas à un épisode 9 haut en couleur, un final mémorable et des choix d’adaptation discutables (même s’il me semble intelligent, voire nécessaire, que la série joue avec les vides laissés par la chronique historique), sacrifiant parfois la cohérence ou la subtilité sur l’autel du spectaculaire. Mais elle a su digérer cet héritage et se faire aussi l’écho de son époque (plus d’inclusion, de représentativité, plus féministe – pour la beauté du geste et car je m’en voudrais de ne pas la citer : Rhaenys !!, etc.).
Je me risquerai, pour conclure, à un parallèle méta. L’héritage, la transmission, le poids écrasant des responsabilités, n’est-ce pas tout le propos de la série ? De même que la série doit composer avec des attentes démesurées, le personnage principal, la jeune Rhaenyra, est chargée d’assurer la relève. Elle doit se conformer à l’image que l’on se fait d’une héritière, pourrait-on dire d’un séquel : maintenir la tradition, être inédit et identique à la fois. La prophétie au cœur de cette saison 1 – annonçant qu’un Targaryen doit régner pour lutter contre le mal qui vient du Nord – n’en est-il pas un bon exemple ? La jeune princesse est guidée par une force supérieure (un rêve prophétique qui n’est autre que la série mère), sans cesse ramenée à ses origines. De même que le personnage est amené à s’émanciper et assumer ses choix en arrêtant de se cacher derrière la fatalité, la série devra pleinement embrasser sa singularité. Oui, il existe un modèle écrasant, incontournable, que les showrunners assume et exploite. Mais enfin bon, si Rhaenyra annonce « créer un nouvel ordre », la série peut bien créer un nouveau classique.
Dans l’épisode 5 de la saison 5 de Game of Thrones, le vieux mestre Aemond (déjà un Aemond et déjà un Targaryen) dit à Jon Snow : « Kill the boy and let the man be born ». Je dirais à House of the Dragon : Kill the mother and let the daughter be born. La mère des dragons a fait son temps, c’est au tour de la fille.