La sortie prochaine de Westworld sur les écrans connectés à HBO remet un coup de projecteur sur l'un des plus prolifiques auteurs de notre temps, Michael Crichton - à prononcer Craille-Teune - romancier, scénariste, réalisateur, médecin, anthropologue et fauteur de trouble qui agita, dès années 1970 et jusqu'à sa mort, en 2008, les esprits des scientifiques et ses amateurs d'imaginaire du monde entier. Retour sur une partie de son héritage, et sur un personnage franchement passionnant.
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Le docteur anthropologue
Nous le disions, Michael Crichton ne se limite pas à une seule casquette. Élevé et éduqué dans la région de New York, il est le premier élève de l'histoire de son lycée à rejoindre la prestigieuse université de Harvard. Mais ce n'est pas celle-ci qui déclenchera chez lui l'envie d'écrire. Le jeune Crichton s'est en effet toujours intéressé à l'écriture, et l'une de ses premières publications professionnelles est un article sur les voyages, paru dans le New York Times. Un papier qui n'est jamais que la face émergée d'un iceberg composé de dizaines de carnets griffés et d'articles publiés dans des revues lycéennes ou universitaires. C'est un fait, Crichton écrit, et avec une productivité certaine. Ses premiers ouvrages, des romans dans la lignée d'un James Bond par Ian Fleming, ne lui demandent d'ailleurs, de son propre aveu, qu'une dizaine de jours de travail, pour un résultat immédiat. Son éditeur était alors peu regardant sur la qualité de ces titres, archi-populaires à l'époque, et le jeune auteur empochait donc un bon pactole sans craindre des relectures trop contraignantes.
C'est ainsi qu'il put financer ses études, d'ailleurs. Il se tourne dans un premier temps vers l'anthropologie, une discipline qu'il poursuivit jusqu'en licence avant de se tourner vers la médecine - rappelez-vous qu'aux Etats-Unis, les programmes scolaires sont beaucoup moins dirigistes qu'en France. C'est son entrée dans ce domaine qui l'encourage à écrire, sous le pseudonyme de John Lange (en référence à sa taille - il faisait plus de deux mètres) et lui donne un certain nombre de billes, qui seront distribuées tout au long de sa bibliographie. En effet, nombreux sont les romans de Crichton qui mettront en scène des médecins, des patients ou des maladies dans les années qui suivront. Pourtant, l'auteur se dit très mauvais docteur, et ne supporte d'ailleurs pas la vue du sang. Ou plutôt, il la tolère si l'urgence et la pression l'obligent à rester concentré. Son désamour pour la discipline, l'hémoglobine et le succès progressif de ses premiers écrits l'encouragent donc à passer du côté du show business.
Des romans à Hollywood
C'est son second roman de 1969, The Andromeda Strain (La Variété d'Andromède) qui va définitivement le propulser en haut de l'affiche. Et sans surprise, il touche directement le corps médical puisqu'il met en scène une bactérie venue de l'espace lors de la chute d'un satellite sur Terre. Très dangereuse, cette bactérie coagule dans le sang des humains, les conduisant vers une mort rapide, la folie ou le suicide. Le roman, teinté de science-fiction, devient immédiatement un succès, et propulse Crichton au rang de marque à part entière, même s'il continuera d'employer un alias pendant quelques années encore, notamment pour Dealing : or the Berkeley-to-Boston Fort-Bick Lost-Bag Blues, écrit avec son petit frère, Douglas Crichton, sous le pseudonyme de Michael Douglas, comme l'acteur, qui finira par jouer dans l'une des nombreuses adaptations de Crichton à l'écran. Ironique non ?
Mais qu'importe le nom employé par l'auteur, on le reconnaît aux thèmes convoqués par ses romans. Binary (paru en 1972) parle d'une arme chimique très dangereuse, The Terminal Man (paru en 1972 lui aussi) prend un épileptique en personnage principal, tandis que Sphere (en 1987) voir le gouvernement américain et des scientifique enquêter sur un vaisseau spatial alien retrouvé dans le Pacifique. Une précision scientifique voire médicale se retrouve ainsi dans toutes les histoires de l'auteur, ou presque, appuyée par des théories qui, quand elles ne sont pas réelles, sont élaborées comme les règles de l'anthropologie le veulent. D'ailleurs, même les romans de Crichton ne convoquant ni la science ni la science-fiction, comme Eaters of the Dead (paru en 1976, il raconte le périple d'un musulman du dixième siècle, Ibn Fadlân, égaré parmi des Vikings) ou The Great Train Robbery (paru en 1975, celui-ci s'intéresse au vol d'une cargaison d'or dans la Londres de 1855) se basent sur des textes historiques bien précis.
Une multitudes d'adaptations
Mais c'est évidemment l'écriture du roman Jurassic Park qui va définitivement couronner Crichton. Paru en 1990, le roman n'était pas encore achevé qu'il était déjà courtisé pour une adaptation dans les salles obscures. Il faut dire que le nom de Crichton commençait à vendre, et pas seulement dans les librairies. Dans les années 1970, l'auteur, qui souhaitait devenir réalisateur, avait réalisé le téléfilm Pursuit, basé sur son propre roman, Binary, puis s'était lancé dans le scénario et la réalisation de Westworld pour le compte de la Metro Goldwyn Meyer. Assez d'expérience pour qu'on lui confie l'adaptation d'un roman de Robin Cook, Coma, puis l'adaptation de son Great Train Robbery et la réalisation de Looker (1981) et Runaway (1984), deux films situés dans un futur proche. Autant d'exemples qui l'installent à Hollywood, où il exerce également la profession de scénariste. Il signera par exemple l'histoire d'Extreme Close-Up (sorti en 1973) et Twister (en 1996), qu'il écrit avec sa femme de l'époque, Anne-Marie Martin.
Revenons à nos dinosaures, puisque conscient de son influence grandissante sur le septième art Hollywoodien, Crichton demande 1.5 millions de dollars et une part non négligeable des recettes de l'adaptation de Jurassic Park à ses courtisans. Face à Warner Bros, Tim Burton, Sony Pictures et Richard Donner (ou encore la Fox et Joe Dante, la liste est très longue, comme si tout le monde était conscient du futur impact que Jurassic Park aurait sur l'histoire du cinéma) c'est Universal Pictures, pour le compte de Steven Spielberg, qui emporte le précieux sésame, en demandant à Crichton d'adapter son propre roman en film, empochant au passage plus de dollars encore.
Pour l'anecdote, Crichton et Spielberg se connaissent depuis un bout de temps puisque le réalisateur de Jaws a donné un coup de main à ce bon Michael il y a quelques années de cela, alors que celui-ci cherchait à vendre, en tant que producteur et scénariste, le projet ER, qui donnera naissance à la série que nous connaissons en France sous le nom d'Urgences. La boucle est bouclée donc, et ouvre la voie à bien d'autres adaptations à succès, comme Rising Sun, Disclosure, The Lost World, Sphere, The 13th Warrior (adaptation d'Eaters of the Dead, sur laquelle il se prendra le bec avec John McTiernan) ou encore Timeline, qui sera adapté en jeu-vidéo cette fois, par Eidos Interactive. A part Stephen King, on ne connaît que très peu d'auteurs qui ont suivi un modèle aussi prolifique de publications papier quasi-immédiatement adaptées à l'écran, une pratique qui va asseoir la notoriété de Crichton auprès du grand public.
Un auteur controversé
Il se servira de sa dite notoriété pour offrir à bien des universités, colloques et autres festivals des conférences et autres discours. Mais Crichton n'attendra pas ceux-ci pour être critiqué ou parfois surinterprété. Tout au long de sa carrière, l'auteur va voir ses romans être qualifiés d'anti-quelque chose, des critiques auxquelles il répondra la plupart du temps de manière calme et réfléchie, à l'exception près d'un journaliste (Michael Crowley) du média conservateur The New Republic qui se verra caricaturé dans l'un de ses romans. Pour beaucoup, Jurassic Park est ainsi anti-scientifique, Disclosure (qui décrit un cas de harcèlement professionnel exercé par une femme sur un homme) anti-féministe et Rising Sun ouvertement raciste envers la société japonaise. Crichton entendra toujours les remarques, tout en défendant un point de vue anthropologique, par essence neutre. La notion de neutralité parcourt d'ailleurs son œuvre, de l'utilisation qui peut être faite des machines à la fameuse théorie du chaos de Ian Malcolm.
Cependant, c'est son désamour assez profond pour la cause écologiste qui va lui attirer le plus de foudres, même aux Etats-Unis, là où le public est moins informé sur la question. Décrivant les écologistes comme les membres d'une organisation religieuse, il incita en effet le public, tout au long de sa carrière - d'essayiste comme de romancier - à mettre en doute le réchauffement climatique ou du moins ses causes. Par exemple, Crichton défendait une certaine priorisation des sujets, estimant que la pauvreté dans le monde était une urgence, là où le réchauffement climatique pourrait facilement être résolu par les scientifiques, si ceux-ci marchaient main dans la main pour palier au problème. Le tout, sans jamais nier l'existence du dérèglement climatique ou la responsabilité des Hommes dans ce constat. Une position assez complexe, difficile à résumer ici, mais qui symbolise finalement assez bien la relation de je t'aime moi non plus que l'auteur exerça à l'égard de la cause scientifique, tout au long de sa vie.
L'anthropologie, qu'il aime tant et qu'il va réinvestir dans chacune de ses œuvres, lui jouait finalement des tours, l'incitant à survoler certains problèmes - comme le réchauffement climatique, sujet qu'il considérait mal traité par ses spécialistes - pour en dénoncer d'autres : dans ses écrits, Michael Crichton est visiblement obsédé par l'idée que les organisations puissent être dépassées par leurs créations, comme le clonage dans le cas de Jurassic Park, la robotique dans Westworld ou la sécurité d'un pays dans The Andromeda Strain. Une peur pathologique qu'il soulignait dans sa crainte des grandes corporations par exemple.
Il n'était pas un technophobe mais expliquait que la technologie n'est jamais que ce qu'on en fait, il n'était pas anti-capitaliste mais dénonçait les situations de monopoles et le laxisme américain envers les grandes entreprises, il n'était pas sceptique à l'égard des avancées humaines, mais montrait toujours comment le plus érudit des scientifiques pouvait être mauvais ou écrasé par son système. Un auteur et un personnage complexe donc, aussi difficile à saisir que ses protagonistes - de son propre aveu, il est impossible de rentrer dans l'esprit d'un personnage, quel qu'il soit - mais au moins aussi passionnant qu'eux. Et c'est justement ce joyeux cocktail, qui nous incitera toujours à nous poser plein de questions, qu'on espère justement retrouver dans Westworld le 2 octobre prochain sur HBO, près de huit ans après la disparition de son auteur, emporté par un cancer à l'âge de 66 ans.