1.
| Au commencement, quand le jeu imite le livre.
Si l’idée du jeu vidéo naît au tout début des années 50, il faudra attendre 1976 et Colossal Cave Adventure pour voir débarquer ce qui est aujourd’hui considéré comme la première fiction littéraire interactive. Créé par William Crowther, un programmeur passionné de jeux de rôles papier et de spéléologie, l'œuvre s’inspire des “livres dont vous êtes le héros” et offre au joueur une histoire se déroulant dans des grottes remplies de trésors et de monstres. Entièrement textuel, le jeu permet uniquement de choisir parmi plusieurs propositions, le chemin emprunté par le personnage où sa réaction face à certains évènements. Si la technique est basique, le joueur devant taper ses choix via une ligne de commande qui n’accepte pas plus de deux mots, le succès est au rendez-vous et la fiction interactive est née.
D’autres œuvres suivront comme Zork en 1980, qui deviendra le plus gros succès du studio Infocom.
Par la suite, les fictions interactives s’enrichissent de graphismes pour appuyer leurs textes. Après Mystery House en 1981, puis Sram en 1986, le genre cède petit à petit sa place au point n’ click qui, s’il met toujours en avant sa narration, remplace une partie de son texte par des commandes à la souris. Dans les années 90, la plupart des jeux sont dotés de voix digitalisées, le texte se réduit aux sous-titres. Les genres évoluent, l’action prend petit à petit le pas sur la narration.
D’autres œuvres continueront d’intégrer de la lecture comme la saga Metal Gear Solid qui proposera près de 350 pages de faux rapports d’enquêtes, lettres écrites par ses personnages et archives, que le joueur peut choisir d’aller consulter pour approfondir le scénario. La lecture devient optionnelle. Les jeux de rôles laissent le joueur libre de consulter les livres qu’ils découvrent durant leur partie et qui, s’ils sont toujours intéressants d’un point de vue narratif, ne sont plus essentiels à la compréhension de l’histoire.
Pourtant, le jeu vidéo et la littérature ne sont pas prêts de se séparer : puisqu’il ne peut plus reproduire le livre, le jeu va s’en inspirer.
2.
| L’adaptation, quand les livres deviennent des jeux.
Tout comme le cinéma, le jeu vidéo se plaît à adapter la littérature.
On pense aux très nombreuses œuvres sur Lovecraft, notamment à Bloodborne dont l’histoire ne sera d’ailleurs parfaitement comprise que par ceux qui auront pris la peine de lire chaque page de texte liée aux objets du jeu. Mais aussi aux Piliers de la Terre de Ken Follet qui ont donné une excellente aventure narrative en 2018 ou encore à la relecture gothique d’Alice au pays des merveilles dans le Alice d’American Mcgee.
Comment ne pas citer également le monument The Witcher, basé sur la saga à succès d’Andrzej Sapkowski, qui a ouvert la porte de ses romans à toute une génération de joueurs passionnés ?
A titre personnel j’ai découvert La Divine Comédie de Dante en jouant à… Dante’s Inferno ! Pourtant loin de la rédemption poétique imaginée par l’auteur italien, le jeu est une succession d’affrontements violents entre un croisé descendu par le purgatoire pour sauver son aimée des griffes de Lucifer et des hordes de créatures démoniaques chargées de punir les pêcheurs.
Bien que le jeu soit un beat them all brutal, il n’oublie jamais l'œuvre qui l'a inspiré. Emaillé de poèmes et introduisant des personnages iconiques, comme Virgile et Béatrice, il utilise même la célèbre Porte de l’Enfer imaginée par l’artiste Rodin, comme passage entre les neufs cercles.
3.
| Transformation : Et le jeu devint livre.
Conçu comme un objet de collection et souvent écrit par des auteurs chevronnés, le livre devient un accessoire du jeu vidéo. Une autre manière de prolonger l’histoire, de la découvrir sous un angle différent ou d’en faire une préquelle.
Mass Effect, jeu à l’univers space-opéra extrêmement fourni, s’y prête parfaitement. On retrouve pas moins de sept romans édités par Bragelonne et plus d’une dizaine de comics (la plupart chez Delcourt, exceptés le recueil Nouveau Monde, chez Mana Books.)
Ils permettent tantôt de découvrir le passé d’un personnage secondaire, tantôt d’approfondir ce qu’il s’est passé avant le début de la saga. Écrits par Drew Karpyshyn et Mac Walters, également scénaristes des jeux, ils s’inscrivent parfaitement dans l’univers de science-fiction dense des jeux originaux.
Un exemple plus surprenant, la série des Gears of War, que le profane pourrait prendre pour un simple jeu d’action bourrin, s’est offert la plume de Karen Traviss, auteure de fiction militaire déjà connue pour ses romans sur Star Wars, afin d’étoffer son scénario et ses personnages.
Si beaucoup de jeux déclineront leur univers au format papier comme Halo ou Dishonored…Il en est un qui a réussi un coup de maître en mêlant habilement littérature et jeu vidéo pour créer une œuvre hors norme, hommage aux deux loisirs.
4.
| Le monument Alan Wake
Alan Wake.
Le jeu qui aimait tant les livres qu’il en a fait son univers.
Le héros éponyme est un écrivain à succès qui se rend avec son épouse, Sarah, dans la petite ville américaine de Bright Falls afin de se ressourcer et de retrouver l'inspiration, après deux ans de syndrôme de la page blanche.
Très vite, malgré le charme de la ville et de ses habitants, Sarah disparait mystérieusement du jour au lendemain. Alors qu’il est à sa recherche, l’auteur s’aperçoit que des événements de plus en plus étranges semblent se produire : la population de Bright Falls refuse de sortir la nuit, est effrayée par quelque chose de mystérieux....et quel est donc ce mystérieux livre qu’Alan ne se souvient pas avoir écrit et qui semble avoir pris vie ?
Si vous trouvez qu’il s’agit là d’un scénario digne de Stephen King, c’est normal ! Le studio à admis que Sac d’os, La part des ténèbres ou encore Shining, avaient fait partie de leurs sources d’inspiration pour Alan Wake. Tant dans la psychologie très poussée des personnages, que dans son scénario délicieusement mystérieux, Alan Wake rappelle les écrits du maître du thriller horrifique.
Il faut également noter la présence de pages de romans, disséminées tout au long de l’aventure et qui, si l’on parvient à les rassembler toutes, offrent une véritable lecture et une interprétation plus poussée des évènements du jeu.
Mais le jeu ne se contente pas d’utiliser la littérature comme un simple support à son scénario. Dans la version collector se trouve un véritable livre. Écrit par l’analyste littéraire fictif Clay Steward et intitulé Les dossiers d’Alan Wake, il regroupe articles de journaux, avis d’experts et même de véritables nouvelles (de très bonne facture par ailleurs) écrites par son personnage principal. Plus qu’un simple objet bonus, ce sont 130 pages étayées par de réelles références culturelles à H.P Lovecraft ou Twilight Zone, qui viennent flouter la frontière entre réalité et fiction.
Entre livre et jeu vidéo.
5.
| La culture ne cesse d’inspirer la culture.
Après avoir inspiré le cinéma et les jeux de société, la littérature est devenue le terreau fertile d’un autre média : le jeu vidéo.
Des auteurs devenus scénaristes, comme Clive Barker, Tom Clancy ou encore Dmitri Gloukhovski, aux livres ayant déclinés leur univers en jeu vidéo à l’instar du Seigneur des Anneaux ou du Trône de Fer, les deux médias, loins de s’opposer, travaillent depuis longtemps main dans la main.
Et que dire des maisons d’édition comme Bêta Publisher ? Qui mêlent habilement numérique et physique, en proposant des livres papiers dotés d’options de réalité augmentée ou de QR code menant vers de la musique ou des vidéos choisies par leurs auteurs.
J’ignore combien de joueurs auront, comme moi, dévoré les huit tomes du Sorceleur après avoir fini The Witcher 3, mais je suis sûre d’une chose : Les grandes histoires, peu-importe leur support, trouveront toujours un moyen d’être lues.