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Star Wars : Les Derniers Jedi, ou la paranoïa de la Director's Cut

Par Republ33k
6 décembre 2017
Star Wars : Les Derniers Jedi, ou la paranoïa de la Director's Cut

Si on tape souvent sur Hollywood, ou qu'on rejette parfois la faute sur ses spectateurs prétendument idiots, on ne mentionne que trop rarement les exigences et la culture du public, qui d'année en année, s'éduque. Quitte à ce que cela vire à la paranoïa, comme le montre l'exemple récente de Star Wars : Les Derniers Jedi.

 
Il y a quelques temps, Rian Johnson a en effet révélé que le premier montage de son film - qui par ailleurs, est déjà le Star Wars le plus long de la saga - s'étalait sur plus de trois heures. Immédiatement, les fans et les cinéphiles se sont affolés. Où est passé le contenu coupé en montage ? Sera-t-il un jour disponible ? Ou mieux, réintégré dans un nouveau montage ou une director's cut ? Les questions fusent. Et aujourd'hui, je vais essayer de comprendre pourquoi.

Un signal fort 

A mon sens, c'est la meilleure compréhension de l'industrie hollywoodienne qui est en cause. Mais "cause" n'est pas le bon terme. Il faudrait plutôt parler d'un public toujours plus pointu - ce qui est une bonne chose - mais qui forcément, doute de plus en plus, ce qui peut parfois virer au cauchemar. Quand on pense pellicule coupée, on pense contenu supprimé. On se dit qu'un studio a encore fait des siennes. Qu'un producteur a encore donné dans l'interventionnisme. On panique, parce qu'on nous a déjà menti, et que certaines pratiques sont devenues monnaie courante. On pense notamment à la sortie en deux temps de deux des films du DC Extended Universe, Batman v Superman et Suicide Squad, d'abord amputés pour des raisons financière et/ou créatives, puis rafistolés par opportunisme à l'occasion d'une sortie en vidéo. Ou pour rester dans la galaxie Star Wars, on pourrait également citer l'affaire des reshoots de Rogue One : passionnante et idéale pour comprendre les pressions derrière l'industrie, elle a empêché plus d'un spectateur d'apprécier le film.
 
"Je pense que je devrais le préciser : le premier montage de tout film est pour son réalisateur toujours 1. beaucoup trop long et 2. si mauvais qu'il vous donne l'impression que vous êtes un imposteur, et vous donne envie de vous cacher pour mourir. Les Derniers Jedi n'est pas différent. Mais après, vous reprenez votre souffle, vous retournez au boulot et vous en faites quelque chose." - Rian Johnson sur Twitter. 
 
Grâce aux efforts soutenus des cinéphiles et des médias les plus versés dans ce domaine, le public commence donc à comprendre et à repérer ces mécanismes. N'allez pas croire le contraire : on s'en réjouit. Mais forcément, lorsqu'un sujet comme l'interventionnisme hollywoodien ou les impératifs de montage est récupéré par le plus grand nombre, il convient de faire quelques rappels, histoire de ne pas virer de l'autre côté de la barrière, là où on doute de tout, c'est à dire, là où on finit par ne plus rien apprécier.

La magie du montage

Lorsque Rian Johnson coupe 30 minutes à son film, ce n'est pas forcément un acte barbare. Encore moins le sacrifice de l'art sur l'autel de l'économie. Hollywood et plus spécifiquement ses blockbusters fonctionnent de la sorte. L'aspect artistique se mêle toujours à l'aspect financier. Parfois, les deux s'affrontent. Souvent, les deux se tolèrent. Parfois, les deux semblent sur la même longueur d'onde. C'est visiblement le cas des Derniers Jedi, si on en croit l'artistique (Johnson) comme l'économique (Kathleen Kennedy). Donc déjà, laissons au film le temps de faire ses preuves, et de s'imposer, on l'espère, en bonne élève de cette relation de couple complexe.
 
 
Ensuite, rappelons qu'il est normal pour un film de couper une bonne demi-heure de son contenu. Vous avez peut-être déjà entendu parler de la règle selon laquelle une page de scénario équivaut à une minute d'écran. On l'entend partout, mais elle n'est pas une science exacte pour autant. La traduction de l'écrit à la pellicule réserve toujours quelques surprises, bonnes comme mauvaises, sans même parler des ajouts et des accidents qui sont le quotidien des plateaux de tournage. Dans le même ordre d'idée, certaines scènes peuvent paraître indispensables sur le papier, mais deviennent optionnelles une fois la magie du montage convoquée. Avant d'amputer un films de plusieurs minutes pour caser un maximum de séances en une seule journée, il y a donc mille raisons de trancher dans le gras d'un métrage.

Un vote de confiance

Pour autant, cela ne veut pas nécessairement dire qu'un studio n'a pas confiance, ni qu'un montage plus long est nécessaire. On le voit bien avec les exemples récents des Derniers Jedi et de Blade Runner 2049, dont les réalisateurs ont expliqué avoir obtenu leur director's cut dans la version cinéma de leur film. Un constat assez rare certes, mais il convient de ne pas mettre en doute la parole d'un Johnson ou d'un Villeneuve à la moindre déclaration pour autant. Idéalement, toutes les sorties cinémas seraient des director's cut. Donc quand l'exploit est réalisé, réjouissons-nous, au lieu de tomber dans une certaine forme de paranoïa, quelque soient ses origines, aussi positives soient-elles.
 
 
On pourrait également citer quelques films qui n'ont pas été améliorés par leur director's cut. Pour convoquer l'un des mes réalisateurs favoris, je pourrais par exemple présenrer la deuxième version de Miami Vice, de Michael Mann. Et pour rester dans le domaine Star Wars, une hyopthétique version director's cut du Réveil de la Force, par exemple, n'améliorerait pas le film malgré des minutes entières laissées de côté par J.J.Abrams. Il faut dire que la pertinence d'une scène ne se se mesure pas à sa simple utilité ou à son contenu. Elle doit s'inscrire dans un tout qui fonctionne et respecte un rythme, pour ne citer que deux impératifs. Pour reprendre Le Réveil de la Force, une version director's cut ou longue du film ajouterait ainsi des scènes plutôt vides d'intérêt sans résoudre des problèmes assez criants, comme l'absence de câlin entre Leia et Chewbacca à la fin du film, un bémol soulevé par Abrams lui-même dans le commentaire audio de son film.

Vous n'avez plus les bases

Pour conclure ce papier, j'enfoncerai le clou. Même si certains aiment à dire qu'un public aveugle encourage Hollywood dans ses pires vices, il convient de rappeler que nombre de spectateurs profitent chaque jour d'une culture grandissante via les réseaux sociaux, qui les renseignent sur des phénomènes jadis passés sous silence, comme les reshoots ou l'interventionnisme hollywoodien en général. Il est dommage que cette transmission du savoir passe parfois par une remise en cause et un doute généralisés, mais ces deux effets secondaires ne sont jamais que la preuve de l'exigence grandissante du public. Un mal pour un bien donc, mais faisons en sorte qu'il ne nous fasse pas oublier les bases entre temps !

Star Wars : Les Derniers Jedi sortira le 13 décembre prochain et de devrait jamais revenir en version longue. En tous cas, pas tout de suite !
Star Wars : Les Derniers Jedi, ou la paranoïa de la Director's Cut