Il avait surpris son petit monde en étant annoncé au Super Bowl et diffusé dans la foulée du match sur Netflix, The Cloverfield Paradox témoigne peut-être de tous les effets négatifs qui peuvent entourer la culture du binge watching, comme on dit chez les jeunes, ou simplement de la façon de visionner une œuvre depuis une plateforme de streaming.
Mais loin de moi l'envie de passer sur tous les défauts du troisième Cloverfield pour les attribuer à sa plateforme de diffusion. Assurément, Paradox a bien des problèmes à son actif - on les listait d'ailleurs dans une critique dédiée - mais je reste persuadé qu'une grosse partie de la réception de l'œuvre s'explique par sa diffusion sur Netflix.
Un problème français, mais pas que
Depuis son lancement en France, la plateforme déchaîne les passions sur notre territoire, riche d'une culture cinématographique qui résiste encore et toujours à l'envahisseur, et qui a mené vers la création de la fameuse "chronologie des médias" qui oblige les distributeurs de cinéma, les chaînes de télé et tous les acteurs du milieu à respecter des délais bien précis, en gros.
Les débats sur les effets négatifs de Netflix, qui fait fi de ces délais, ont donc toujours été très nombreux en France, et ils se sont intensifiés l'année dernière avec la diffusion d'Okja, le dernier Bong Joon-Ho, en plein festival de Cannes. Mais je veux laisser ce genre d'affaires de côté aujourd'hui pour m'intéresser avant tout à l'impact que peut avoir une diffusion sur Netflix sur le spectateur, sans parler du marché dans sa globalité.
Mais même en restreignant le débat à notre expérience de spectateur, la réflexion reste très large, comme on le voyait il y a quelques semaines lors de notre Popcast hebdomadaire. Allons donc encore plus loin en prenant l'exemple très particulier de la sortie du troisième film Cloverfield.
L'exemple Cloverfield
Le film de Julius Onah a assurément profité d'un buzz éclair (pardonnez la vanne involontaire) en sortant le même jour que son annonce, et en profitant d'un relais assez considérable par la presse en ligne mondiale, qui s'est empressée de qualifier l'opération de game changer. Le pari de Bad Robot est effectivement audacieux, et en choisissant (de gré ou de force) de se passer d'une distribution classique le temps d'un film, Cloverfield prolonge la communication avant-gardiste qui a forgé sa marque.
L'opération serait même profitable pour Paramount, Netflix et Bad Robot. Seul bémol : quand une telle trinité gagne, il est fort possible que le spectateur perde. Et en l'occurrence, le film n'est pas tellement réussi, mais brille par ses connexions au reste de l'univers Cloverfield, marketing viral y compris. Le spectateur a donc trinqué, et sa vengeance s'avère assez terrible. Sur Rotten Tomatoes, le film plafonne ainsi à 17% après un catastrophique lancement à 3%, contre 77% pour le premier Cloverfield et 90% pour 10 Cloverfield Lane. Un écart colossal sur l'agrégateur de reviews (pour ce qu'il vaut), qui peut s'expliquer par plusieurs choses.
Le retour de flamme
Comme on le disait tout à l'heure, le buzz fulgurant du film a très bien su se retourner contre lui, et les millions de spectateurs chauffés à blanc par le match et ses trailers n'ont peut être pas donné au film toute l'attention qu'il méritait. Le revers de la médaille d'une communication assez originale, sans doute, mais un retour de flamme amplifié par le canal de diffusion, et la disponibilité immédiate de The Cloverfield Paradox.
De la même manière qu'un tableau ne vous fera pas le même effet en photo ou dans un musée, un film n'aura pas le même impact sur vous depuis votre canapé ou dans une salle de cinéma, sans même parler du support utilisé (téléphone, ordinateur, tablette, télé connectée etc) et de ses capacités en termes de son et d'image - partons également du principe que les gens ne seront pas dérangés et ne dérangeront pas dans les cinémas mais n'auront pas la même discipline depuis leur chez-eux.
La réception d'une œuvre est assurément connectée au canal qui vous la transmet, et quand celui-ci est aussi trouble ou chargée qu'un Netflix après un soir de match et un buzz monstre (sans mauvais jeu de mots, encore une fois) vous pouvez être certains que l’exagération sera de la partie.
La fin d'une ère
On le voit déjà depuis quelques années dans les salles obscures avec des blockbusters toujours plus nombreux et produits à une cadence dingue, mais le temps qui sépare l'apparition d'un film de sa sortie participe grandement à notre réception de l'œuvre. Ce fameux temps permet en effet de générer des attentes, de premières critiques, de l'excitation bref, toute une constellation de réflexions qui finit par peser sur la réception d'un film.
Aussi, lorsque ce temps et réduit à zéro, il est possible que la réflexion collective et mondiale qui entoure des films au moins aussi gros qu'un The Cloverfield Paradox soit elle aussi ramenée à zéro. Nous entrons alors dans une époque ou les films sont annoncés, consommés - le mot est plus que jamais d'actualité - et critiqués en un battement de cil, une époque où le "temps de la réflexion" n'a tout simplement plus sa place.
Détrônée par les 280 caractères et les critiques assassines qui compensent leur retard et l'absence d'embargo par du sensationalisme, cette fameuse réflexion collective, qui accompagne un film avant et après sa sortie est réduite à néant. Et c'est peut-être là l'un des effets les plus négatifs de Netflix sur un film : la destruction non pas du septième art, mais de l'expérience qui en est faite par les cinéphiles.
Maintenant, n'allons pas trop vite en besogne : The Cloverfield Paradox est un exemple bien précis et d'autres, comme Bright ou bientôt Mute voire Annihilation pourraient enrichir notre connaissances des avantages mais aussi des risques que nous encourrons en utilisant chaque jour un peu plus une plateforme comme Netflix. Mais d'ici la sortie de ces nouveaux exemples, on ne saurait que trop vous conseiller de prendre le temps de la réflexion, ou simplement, de faire une pause entre deux épisodes de votre série favorite, car tous les effets énumérés ici ne concernent pas uniquement les longs-métrages.