1.
| Warhmmer et Warcraft
À l'origine, une parade de séduction
Depuis son apparition en 1994, on accuse l'univers de Warcraft d'avoir honteusement plagié le célèbre jeu de figurines de Games Workshop, Warhammer, qui envahissait les tables de jeux une dizaine d'année avant les débuts du RTS, en 1983. Mais la vérité est un peu plus complexe que cela, comme nous l'apprenait, en 2012, un making-of du premier Warcraft. Présenté par Patrick Wyatt, producteur du jeu de stratégie, celui-ci révélait en effet, après des années de rumeurs, que Blizzard souhaitait, à l'origine, faire un titre basé sur l'univers de Warhammer.
L'idée était en effet de récupérer, en cours de production, la licence de Games Workshop, dans l'objectif de gagner en notoriété et donc, d'amplifier de futures ventes. Et si l'univers de Warhammer était déjà une inspiration énorme pour les petits gars de Blizzard, cette tentative n'a fait qu'empirer les choses, entre guillemets : les designers firent tout pour coller à l'esthétique du jeu de Games Workshop. En cours de route, les équipes de Wyatt furent finalement convaincues par l'intérêt de créer et contrôler leur propre univers, surtout après des expériences de travail assez pénibles aux côtés de DC sur les jeux Death and Return of Superman et Justice League Task Force. Un nouveau partenariat avec une autre entreprise n'était donc pas au goût du jour. En lieu et place de celui-ci, les équipes de Blizzard (qui à l'époque n'avaient même pas ce nom, et pensaient se nommer Chaos, comme les forces obscures de Warhammer, d'ailleurs) naviguèrent à l'aveugle, sans scénario ni vraie direction artistique à quelques mois de la sortie du titre, qui rencontra malgré tout le succès !
L'amour de l'humour
Ce qui est assez ironique, quand on connaît la réputation et la notoriété actuelles des titres de Blizzard, et plus particulièrement de Warcraft. Mais si on met de côté cette parade de séduction à l'intention de Games Workshop, on retrouve encore de nombreuses similitudes entre les univers des deux compagnies. Sans doute parce qu'ils sont tous les deux des patchworks de différentes influences, combinées dans un ton très similaire. Ce ton, presque parodique, est celui d'une Fantasy décomplexée. Pour prendre un exemple chez Warhammer, il convient de rappeler que l'une des factions du jeu de figurines, les Skavens, des rats géants, sont obnubilés par la Lune, qui chez les anglais, est souvent comparée à un fromage géant : voilà le genre de gags cachés dans l'univers de Games Workshop, résolument inspiré par l'humour des Monty Python et la fantasy de maîtres comme Terry Pratchett.
Or, il se trouve que Blizzard aussi a toujours été inspiré par la troupe britannique, et plusieurs répliques cultes de leurs productions se sont ainsi retrouvées dans les jeux Warcraft au fil du temps. Dans ces derniers comme dans le lore Warhammer, on ne compte de toute façon plus les références plus ou moins bien cachées à d'autres univers, comme Higlander chez Blizzard, pour ne citer qu'un exemple. Autant d'éléments qui génèrent, forcément, des liens étroits entre Warhammer et Warcraft. Et outre l'origine d'Orc and Humans, se sont donc des tons similaires, une construction d'univers en puzzle (l'un s'enrichissant au fil des jeux, l'autre des éditions) et une réinterprétation des classiques de la Fantasy (celle de Tolkien est régulièrement "corrigée" par les deux univers) qui rapprochent intimement le monde de Blizzard et celui de Games Workshop.
Des similitudes infinies
Maintenant, comme nous le disions, Warhammer précède Warcraft de plus de dix ans. Que ce soit conscient ou non, les équipes de Blizzard ont donc toujours été influencées par Games Workshop et ses créations. Quelques détails ne trompent pas. Et si l'esthétique de ses jeux a permis à Blizzard de s'éloigner des designs de Warhammer avec des personnages et des lieux toujours plus cartoony, on note quelques ressemblances troublantes, malgré tout, dans les intrigues des deux univers.
Comme le fait que les Elfes de la Nuit (Warcraft) doivent protéger l'arbre Nordrassil là où les Elfes Sylvains sont attachés à l'arbre d'Athel Loren. De même, les Taurens, qui sont souvent invoqués pour défendre l'originalité de Warcraft, ne sont jamais qu'un reflet des Hommes-Bêtes de Warhammer. Les ressemblances sont légion et je pense qu'il est plus intéressant de comprendre leurs origines que de les énumérer. Mais que ça ne vous empêche pas de vous essayer au namedropping dans la section commentaires ci-dessous !
2.
| W40k et StarCraft
À l'origine, la S-F bien punk
Passons maintenant à Warhammer 40.000 et StarCraft, les deux univers que je connais le mieux, au sein de ceux présentés dans ce dossier. Là encore, c'est Games Workshop qui part en pole position en dégainant W40k en 1987. Cet univers de Science-Fiction est, comme son aîné de Fantasy, un patchwork de références, qui s'inspire notamment du roman Étoiles, Garde-à-Vous, de Robert Heinlein (qui donnera naissance à la franchise Starship Troopers au cinéma), de 2000 AD ou encore du premier Alien. Un savant mélange qui donne naissance à un univers résolument punk et irrévérencieux, qui ne se prend guère au sérieux. Rogue Trader, la première version de Warhammer 40.000, accumule en effet les exagérations, notamment esthétiques - comptez les crânes dans les images ci-dessous - pour le plus grand bonheur des fans de S-F burnée de l'époque.
Anecdote intéressante et lourde de sens, StarCraft, comme Warcraft avant lui, arrivera une dizaine d'années après l'univers de Games Workshop. Mais il en reprend assurément l'esthétique, les multiples irrévérences et les grands enjeux géopolitiques. Et encore une fois, cette ressemblance s'explique par des références communes et un certain amour pour une Science-Fiction plus décomplexée. Si on compare les artworks originels des premières versions de Warhammer 40.000 à ceux du premier StarCraft, on verra ainsi dans les deux univers l'amour des gros flingues, des armures gigantesques et des personnages badass - qui si possible, seront opposés à des hordes de montres aliens. Difficile de savoir si Blizzard était conscient de répéter le parcours de Warcraft à l'époque, mais en tous cas, l'histoire semble se reproduire pour le studio, qui décide de coller aux origines esthétiques de Warhammer 40.000 à l'heure où celui-ci commence à devenir le produit numéro un de Games Workshop.
Une évolution des esthétiques
Plus étonnant encore, au fil de leurs années d'exploitation, les deux licences finissent par corriger ou parfaire leur esthétique, toujours en gardant leur "concurrent" en visuel. Mais en voulant trop éviter la comparaison, Warhammer 40.000 comme StarCraft se ressemblent, du moins, stratégiquement, puisque leurs propriétaires utiliseront les mêmes techniques pour affirmer, esthétiquement, ces deux univers. Au fil des ans, W40k devient ainsi plus accessible, moins roots et beaucoup plus américain. On passe d'une Science-Fiction purement britannique à un Space-Opera certes destinés aux adultes mais un poil plus grand public. Les armures des Space Marines, porte-étendard de l'univers de Games Workshop, s'affinent, en même temps que leur univers, qui accueille d'ailleurs de nouvelles factions au début des années 2000 : les Tau et les Nécrons.
De son côté, StarCraft corrige lui aussi le tir avec une Science-Fiction un poil plus colorée et des designs plus épurés. Le meilleur exemple restera l'apparence des Fantômes, qui passent de mutants militaires délabrés à Snipers d'élite en tenues moulantes d'un StarCraft à l'autre. Bien sûr, on vous résume cette évolution en quelques lignes, mais il convient de rappeler que chaque extension de StarCraft a mené Blizzard vers ce résultat, quand Warhammer 40.000 change au fil de ses éditions. Et si on devait prendre des nouvelles de ces mutations esthétiques, il conviendrait de rappeler que Games Workshop a désormais tendance à embrasser son apparence la plus vintage, son public ayant du mal à se renouveler, là où le vivier de fans de Blizzard semble inépuisable. Ce sont donc les personas des amateurs de Warhammer 40k et Starcraft qui finiront par trancher entre les deux univers, là où les entreprises mères enchaînaient les stratégies pour s'éloigner l'une de l'autre, sans trop de succès.
Quelques exemples
Il faut dire que les comparaisons entre les deux univers sont plus explicites encore que dans le cas de Warcraft face à Warhammer. Sans doute parce que les deux licences ne s'appuient pas sur un socle commun - à savoir la Fantasy à la Tolkien - mais bien sur une esthétique et une logique de l'irrévérence bien précises. Mais la couverture de Blizzard, pour le coup, est assez légère, puisque StarCraft, à ses débuts, va jusqu'à reprendre le contexte de Warhammer 40.000. Après tout, le jeu et son extension, Broodwar, nous racontent la division d'un empire humain (l'Impérium chez Games Workshop) face à la menace d'un essaim tout puissant (les Zergs ou les Tyranides) qui nécessite l'aide d'une race sage et ancienne (les Protoss ou les Eldars). Evidemment, Warhammer 40.000 éparpille son propos sur plusieurs factions là où Starcraft choisit de raconter une histoire en en utilisant trois, mais les archétypes sont à peu près les mêmes.
Le diable se cache dans les détails, par ailleurs, puisqu'on retrouve, dans des concept arts ou des designs finaux de StarCraft des éléments typiques de Warhammer 40.000. Le meilleur exemple restant peut-être les Space Marines, qui d'un univers à l'autre, portent le même nom et affichent les mêmes proportions. Plus pointu encore, les Apothicaires de W40k qui portent un gantelet qui se retrouve tel quel - avant d'être remodelé au fil des ans - dans StarCraft, au poignet des fameux Medics. Sans même parler des Zergs, étrangement proches de leurs aînés de Tyranides, surtout dans leurs premières incarnations, où les griffes, les crocs et les piques sont placés au même endroit. La liste est longue, mais vous avez compris l'idée.
Andy Chambers, l'homme de la situation
Il existe un homme qui incarne parfaitement les liens étroits entre ces deux univers. Il se nomme Andy Chambers, et il est bien évidemment britannique. D'abord journaliste spécialisé pour le magazine de Games Workshop, White Dwarf, le bonhomme finit par devenir développeur de jeux pour la maison mère, qui se paie ses services sur Warhammer 40.000, Epic 40.000, Battlefleet Gothic ou encore Gorkamorka. En 2003, il finira par quitter Games Workshop pour développer le jeu Starship Troopers de Mongoose Publishing - ce qui est déjà ironique, étant donné l'influence du bouquin sur W40k et StarCraft - avant de fonder une entreprise indépendante, et d'être recruté par Blizzard Entertainment.
Il occupait alors le poste de Creative Director et de Lead Writer sur Wings of Liberty. On lui doit donc les moments forts de cette campagne et une partie des concepts introduits dans ce second opus de la licence StarCraft. A noter : depuis cette aventure américaine, achevée en 2009, il s'occupe de Red Star Games, une entreprise britannique qui imagine pour le compte des fabricants de jeux des mécanismes de gameplay, des concepts ou des histoires, plus simplement.
3.
| La morale de l'histoire
Les liens entre Warhammer et Warcraft ont de toute évidence été noués par un coup du sort, qui a donné naissance à une anecdote comme seuls les meilleurs univers de fiction savent nous en fournir. Sorte de légende à part entière, le lien entre les deux univers de Fantasy à quelque chose de génialement ironique, et il est tout à fait savoureux d'entendre des fans d'un univers ou de l'autre répondre, souvent, aux même stimuli. Prenons par exemple l'aspect résolument Shakespearien du film Warcraft de Duncan Jones, qui dans mon cœur de fan de Warhammer (40.000) a sonné absolument juste, puisque les deux univers partagent vraisemblablement cette ambiance d'éternel recommencement qui fait, à mon sens en tous cas, la saveur des cultures de l'imaginaire.
Dans le cas de Warhammer 40.000 et StarCraft, les liens ont une origine beaucoup plus pernicieuse, et il est parfois franchement difficile d'excuser Blizzard pour des designs ou des concepts qui sonnent beaucoup trop britanniques et punk pour ne pas être nés dans l'esprit de fans de W40k. Par ailleurs, le studio était, dans les années 1990 déjà fort d'une certaine notoriété, celle qui lui manquait au moment d'Orcs and Humans et qui l'avait conduit à volontairement coller à l'univers de Fantasy de Games Workshop. A priori, rien n'encourageait et encore moins n'excusait le rapprochement entre StarCraft et son aîné britannique. Pourtant, les ressemblances sont là et elles sont très visibles, plus que celle qui lient leurs grands-frères. Il faut dire que ces derniers avaient comme socle commun l'approche Tolkien de la chose, qu'ils se sont amusés à réinventer ou à transgresser. A l'inverse, Warhammer 40.000 StarCraft ne partagent pas une base mais justement un ton commun. Une cocktail punk et gothique qui s'avère bien plus reconnaissable au premier coup d'œil. D'autant plus que Warhammer 40.000, dans les années 2000, à l'époque où StarCraft II n'existait pas encore, avait repris du poil de la bête, médiatiquement parlant. En témoigne l'impact de Dawn of War sur l'e-Sport il y a quelques années. A l'approche de leur second StarCraft, les petits gars de Blizzard ont du saisir ce regain d'intérêt, et ont donc surement décidé de corriger - esthétiquement - le tir de StarCraft, qui a petit à petit abandonné son côté roots pour une science-fiction plus américaine, évitant ainsi une comparaison qui aurait été dangereuse, à l'ère d'internet.
Les exemples de ressemblance restent archi-nombreux, et certains sont parfois assez criants pour monter les fans de Games Workshop contre les fans de Blizzard. Et honnêtement, rien de surprenant à cela, pour la simple et bonne raison que les deux entreprises font rêver leurs clients depuis des décennies. La passion génère souvent des conflits, surtout à l'heure des fandom tout puissants. Mais les univers de Warhammer et Warhammer 40.000, malgré leur notoriété mondiale, restent des bacs à sable de niche. Ils ne concernent donc qu'une poignée de fans, face à ceux de Blizzard. La guerre n'a ainsi jamais éclaté entre les deux armées, et la plupart des collectionneurs de figurines que je connais sont également des amateurs des licences de Blizzard. Seulement, ce rapport de force entretient, de fait, une confusion dans la tête du grand public et même des geeks. Jusqu'à la création de situations cocasses, comme celle évoquée par Patrick Wyatt (producteur du premier Warcrat, souvenez-vous) lui-même, qui racontait que son père lui avait un jour ramené d'Asie des figurines Warhammer, lui suggérant d'appeler son département juridique pour dénoncer un plagiat.
Des anecdotes qui malheureusement, ont tendance à invisibiliser les univers de Games Workshop, petit David, malgré sa notoriété, contre le Goliath Blizzard. Un constat qui ne profiterait à personne, les univers de fiction s'influençant toujours les uns des autres. A mon sens, la posture à adopter n'est donc pas l'opposition à un univers ou à l'autre. Exclure un monde pour en défendre un autre revient à faire ce que ces deux entreprises n'ont jamais fait : avancer avec des œillères sur une route où ils ne croisent personne. Blizzard et Games Workshop se sont toujours observés, et j'espère que leurs fans n'opteront jamais pour une vision sélective que les deux entreprises ont jusqu'ici réussi à éviter. De toute évidence, l'entente entre ces univers est possible. Reconnaître et faire perdurer l'influence de Games Workshop est important, ne serait-ce que pour l'histoire de la culture geek, sur laquelle il faudra bien que quelqu'un se penche un jour. Et il faut aussi saluer la capacité qu'à Blizzard à transcender les concepts et les ambiances de son aîné britannique dans une simplicité qui a forcément du bon. Par ailleurs, le studio a récemment montré, avec Overwatch, qu'il était capable de digérer tout un tas d'influences sans dénaturer leurs origines, la galerie de personnages reflétant la géniale hétérogénéité qui fait la beauté de la culture populaire.
Quelque part, les univers de Games Workshop et Blizzard se complètent. Un lien en partie ironique, parfois historique, souvent troublant, mais qui n'empêche pas Warcraft, Warhammer, StarCraft et Warhammer 40.000 de proposer des histoires riches et des personnages hauts en couleurs, dans des tons et des ambiances variées. Opposer ces univers entre-eux ne changera rien à leurs ressemblances, mais nuit à leurs mérites respectifs, en revanche. Pire, les fans, qu'ils se placent dans un camp comme dans l'autre, finissent par passer à côté de mondes archi-riches dans lesquels il y a forcément un protagoniste, une intrigue ou un lieu faits pour eux. Vous l'aurez compris, la meilleure solution est encore de se renseigner sur les synergies entre ces deux entreprises, et d'inviter votre pote Warhammereux sur Overwatch, ou votre voisin "Blizzard-sexuel" à faire une petite partie sur les tables d'un Games Workshop. Longue vie à ces deux forgerons de l'imaginaire.