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Édito #72 : 10 Cloverfield Lane, quand le secret excite la vénération

Par Republ33k
17 janvier 2016
Édito #72 : 10 Cloverfield Lane, quand le secret excite la vénération

Hollywood a-t-il encore des secrets pour nous ? Voilà une bonne question. En jetant un œil aux années passés, difficile d'y répondre par la positive. Les bandes-annonces sont toujours plus explicites, les nouveaux concepts de plus en plus limpides, quand les plans des studios pour les 5 années à venir ne nous sont pas annoncés fièrement. Et une fois l'excitation du moment passée, difficile de maintenir nos envies et nos attentes, en témoignent les exemples de la phase 3 de Marvel Studios, annoncée d'une traite, ou de Batman v Superman, en production depuis plus de 2 ans maintenant. On aurait donc pu ouvrir l'année en déclarant haut et fort que l'industrie Hollywoodienne n'a définitivement plus de secrets pour nous  - d'ailleurs, cherche-elle encore à en avoir ? Et bien, à en croire l'entrée fracassante d'un certain 10 Cloverfield Lane dans les têtes, l'envie de nous surprendre est encore bien vivace chez quelques acteurs du système Hollywoodien.

Chronique d'une promo' millimétrée 

Rappel des faits : vendredi dernier, nous commencions la journée avec l'annonce puis le trailer d'un projet pour le moins atypique, qui répond au nom de 10 Cloverfield Lane. Un titre étrange mais tout à fait conscient, puisqu'il nous renvoie directement au film de monstres de Matt Reeves, sorti en 2008 après une très belle campagne de promotion. Et ma foi, sa suite, ou du moins son spin-off - nous y reviendrons - a choisi de prolonger cette stratégie faite de guerilla marketing. En effet, le métrage n'a pas tout de suite fait l'objet d'une annonce officielle. Il s'est d'abord contenté d'accrocher son premier (et sans doute unique) trailer aux séances de 13 Hours, le prochain Michael Bay, jeudi dernier aux Etats-Unis. Une tactique savante, puisque les spectateurs en attente de leur dose d'explosions ont tout de suite eu le réflexe smartphone pour évoquer l'existence d'une bande-annonce annonçant une suite à Cloverfield, succès d'estime qui a malgré tout marqué une génération de spectateurs, qui jusqu'alors n'étaient pas habitués à un marketing pareil, du moins pour un film.

Un hashtag #Cloverfield2 très tendance plus tard, Paramount embrayait sur une annonce officielle, dégainant une date de sortie, un poster et bien-sûr, la bande-annonce en question, et ce après avoir laissé filer les différentes vidéos filmant le trailer partout sur le web. Célébrant le marketing du leak, le studio a laissé les spectateurs promouvoir le film eux-mêmes avant d'offrir au reste du monde la preuve formelle de l'existence d'un second Cloverfield, qui commençait à chatouiller tous les cinéphiles ultra-connectés. Une promotion en deux temps qui joue avec talent sur les différentes habitudes des internautes, de la rumeur persistante aux trailer "bootleg" en passant par les hoaxes bien corsés, pour mieux délivrer les sceptiques quelques heures plus tard. Que vous ayez ou non participé à l'effort de promotion, vous voilà donc intéressés au projet. Et c'est déjà une grande réussite pour Paramount, qui avec cette stratégie, s'attire bien plus de crédit qu'une suite tardive de Cloverfield pouvait espérer en mériter. Il faut dire que le timing est parfaitement millimétré. Ceux qui s'intéressent au marketing ou on pu l'étudier n'auront aucun mal à le remarquer : l'annonce est participative, fulgurante, et la récompense immédiate : un trailer plutôt bien foutu et une date de sortie toute proche de nous, en mars prochain. La hype n'aura pas le temps de s'écrouler que le film sera déjà sur nous, en somme, et avec tous ses secrets. Car à bien y regarder, la discrétion du projet ne se limite pas à sa promotion.

Le subterfuge est total

Déjà, on peut se demander pourquoi un Cloverfield 2 vient toquer à nos portes en 2016, soit près de dix ans après le premier opus. Ce n'est pas comme si le film originel avait généré un fandom capable de mener automatiquement une suite vers un succès incroyable. Mais c'est peut-être là tout le génie de l'opération : après tout, un film plus culte ou plus médiatisé aurait forcément engendré une suite sous le feu des projecteurs. Or huit ans et quelques oublis plus tard, la perspective d'un second Cloverfield devient intrigante, là où elle aurait pu être totalement ringarde ou tardive. Et pour la Paramount, le calcul n'est pas spécialement mauvais non plus. Le film de Matt Reeves avait ramené 170 millions de dollars au box-office mondial, avec un budget qui n'excédait pas les 25 millions de billets verts. Une belle performance, seulement, ce genre de tentatives, comme le soulignaient Lucas et Spielberg il y a quelques années, sont de plus en plus rares à Hollywood, qui ne produit plus que de très petites ou de très grosses productions, mais rien entre les deux. 10 Cloverfield Lane semble vouloir combler les vides, et s'assure déjà un certain succès avec une promotion originale et ambitieuse, qui jouera de toute évidence en sa faveur.

Reste à savoir si le film est bel et bien une moyenne production. Et c'est là que le subterfuge prend une autre dimension. En effet, selon une source bien informé sur Reddit (et d'autres plus variées que j'ai pu glaner ça et là sur les réseaux sociaux) le projet 10 Cloverfield Lane n'a en fait rien à voir avec le premier film, à l'origine. Ce qui transparaît d'ailleurs dans l'absence de noms communs entre les deux métrages, si ce n'est celui de J.J.Abrams, producteur. Pour tout vous dire, le film de Dan Trachtenberg - qui s'était fait remarquer grâce à un court sur Portal - n'avait d'abord rien à avoir avec la création de Matt Reeves : connu sous le nom de Valencia ou The Cellar, le projet s'intéressait au destin d'une jeune fille qui se réveillait dans un abri atomique après un accident de voiture, et au milieu de soit-disant sauveurs, qui l'empêcheraient de quitter le lieu.

Une exploration de la paranoïa dans un huis-clos classique donc, qui aurait été financé par la branche Insurge de Paramount, qui ne produisait que des films à 5 millions de dollars (ou moins) de budget. Mais en plein tournage, Paramount aurait dissout cette structure, laissant le film sans ressources et sans soutien. Nous sommes en 2014 et le studio décide alors de lier le projet au premier Cloverfield, dans l'espoir d'en tirer quelque chose. Le scénariste Dan Casey aurait ainsi réécrit le film, dans l'objectif de multiples reshoots, tournés en mars  2015, juste avant que le film ne parte en post-production, pour des effets spéciaux plus lourds que prévus, film de monstres oblige.

Et si cette transformation ne peut être prouvée à 100%, on remarque que le synopsis de Valencia colle parfaitement à celui exposé par la bande-annonce que nous avons pu découvrir que la semaine dernière, et que le film crédite de très nombreux noms à l'écriture : ceux de Damien Chazelle (Whiplash), Matthew Stuecken et Josh Campbell. Pour faire muter le projet en une suite de Cloverfield, six mains n'étaient apparemment pas de trop. Et le moins qu'on puisse dire, c'est que cette révélation a nuancé les attentes de bien des spectateurs, surpris de découvrir, dans cette annonce mystère, un potentiel recyclage putassier.

Faire éclater la vérité ?

Maintenant, cette découverte rend-elle forcément le projet moins intéressant ou légitime ? Si Valencia n'était pas devenu une suite, ou plutôt un spin-off, d'après ce qu'on en voit, de Cloverfield, le film aurait sans doute fini mort-né, ce qui équivaut à sacrifier la chance de Dan Trachtenberg de percer à Hollywood. Qu'on apprécie ou non le bonhomme ou la fraîcheur de son projet, difficile d'être aussi cruel. Car après tout, pourquoi pas : quand le fond, c'est à dire le film en lui-même, est aussi mystérieux que la forme, ici le marketing, nous découvrons un projet qui malgré toutes ses embrouilles supposées, reste honnête avec lui-même. Et je pense que les réactions enjouées des spectateurs, qu'ils soient fans ou non du premier opus, en témoignent. Nous aimons être surpris, et d'emblée si possible ! D'où l'accueil chaleureux de cette campagne marketing, malgré les points précédemment soulevés.

Qui plus est, l'idée de base derrière Valencia ne semble pas antinomique avec l'univers de Cloverfield, lui-même assez souple pour prendre bien des formes, y compris celle d'un huis-clos évoluant lentement vers le film de monstres. D'ailleurs, les rumeurs veulent que le budget de ce 10 Cloverfield Lane s'élève finalement à une centaine de millions de dollars. Ce qui transforme d'emblée le film en une grosse production, mais une production qui dédouane Paramount d'une stratégie trop putassière, puisqu'un studio ne réinvestirait pas de l'argent dans un projet en forme de pure arnaque, on l'imagine. Enfin, comme nous le disions en introduction, il est toujours plus difficile de surprendre à Hollywood. A bien y regarder, seul un film mort-né comme Valencia était donc capable de nous prendre par surprise. Et peu importe ses origines ou ses ambitions, 10 Cloverfield Lane est sincèrement parvenu à nous toucher, en janvier 2016, à l'heure des leaks et des spoilers en tous genres. Et ça, c'est déjà très fort.

N.B : j'emprunte la citation de Baltasar Gracian en guise de titre pour cet édito !