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Edito #78 : Dark Tower, un developpement hell en forme d'espoir ?

Par AntoineBigor
25 avril 2016
Edito #78 : Dark Tower, un developpement hell en forme d'espoir ?

Hollywood vit des jours compliqués ces temps-ci. Pas spécialement financièrement, puisque beaucoup de films atteignent maintenant le milliard de dollars au box office mondial et que les studios semblent de plus en plus enclins à investir des centaines de millions de dollars dans la production de blockbusters. Les complications viennent alors naturellement du modèle qu’Hollywood veut ainsi (s’)imposer : celui des franchises à la chaîne. Si cette politique est parfaitement gérée par Disney, qui malgré le fait d’avoir les deux licences les plus lucratives de l’histoire semble avoir rodé son système de production, elle est bien moins efficace chez d’autres studios. Il suffit de regarder les futurs plannings de Warner ou Sony pour se rendre compte des évolutions et des limites d'un modèle loin d'être adapté à toutes les licences.

Mais force est de constater qu’on fait toujours autant de neuf avec du vieux, puisqu’une bonne partie de ces mêmes licences sont en réalité des remakes, des reboots ou suites de long-métrages sorti il y a quinze ou vingt ans. Rares sont les nouvelles licences, issues d’œuvres complètement originales ou adaptées d’un autre média. Parmi ces dernières, on peut maintenant compter sur un ex-developement hell qui semble enfin sorti de son bourbier : La Tour Sombre.


Épopée de plus de 4000 pages, la saga de la Tour Sombre compte sept tomes principaux, écrits par Stephen King entre mars 1970 (lorsqu’il écrit le premier chapitre du Pistolero alors qu’il termine ses études à l’université du Maine) et septembre 2004 (sortie du septième et dernier tome, sobrement intitulé La Tour Sombre). Considéré par beaucoup de lecteurs comme l’un de ses meilleures écrits, cette saga forme en tout cas une histoire unique et complètement meta dans la carrière de son auteur. Déjà, parce qu’il y construit un monde de pur fantasy avec des éléments d’horreur et de western, meilleure façon de botter le train d'un genre qui se dilue entre archers encapés et hauts-elfes. Ensuite, parce qu’il y fait directement référence de ses autres œuvres, comme Ça (également en cours d’adaptation) ou Le Fléau.

Les origines de la série prennent racines dans l’enfance du jeune King qui, à 19 ans, souhaite déjà écrire une épopée « à la Tolkien ». Cette envie va mûrir en même temps que l'homme, et prendre une forme différente sous l’influence d'un poème, Childe Robert to the Dark Tower Came de Robert Browning, et d'un film, Le Bon, La Brute et Le Truand, de Sergio Leone. Il n’en commencera l’écriture qu’à l’université, et la développera de manière complètement éclatée sur plusieurs années, signant même quelques chef d’œuvres entre deux chapitres (le roman Shining, notamment). À l’époque, l’auteur n’a pas encore d’idée sur la forme que prendra son univers et n’est même pas sûr de finir son aventure un jour. Il faudra qu’un éditeur, Donald M. Grant, lui propose de réunir en un ouvrage ses premiers chapitres pour que des lecteurs puissent découvrir cet univers en 1982. Et il ne seront que très peu, quelques milliers, au rendez-vous et il faudra attendre 1983, que l’éditeur du roman Simetierre rajoute La Tour Sombre à la bibliographie de son auteur pour que les fans commencent à le harceler de demandes. Il y cèdera que 5 ans plus tard, avec la réédition du premier tome en format Poche. L’auteur continuera à développer son univers et ses personnages jusqu’en 2004, avec un rapport quasi familier et métatextuel avec les lecteurs. Un prequel en comic-book commence également sa publication en 2007 chez Marvel, offrant déjà un potentiel de super-licence avant même leurs existences telles qu'on les connait.  

Forcément, une telle œuvre, d’un tel auteur - ayant déjà marqué Hollywood avec quelques adaptations de ses chef d’œuvres de la littérature -, n’allait pas rester bien longtemps hors du radar des studios. Seulement, le projet n’était pas très bien parti pour briller une fois dans les mains des studios. La première annonce d’une adaptation de La Tour Sombre débarque en 2007, lorsque J.J. Abrams, alors enfant de la télé qui cherche à s’imposer au cinéma, est raccroché au projet avant de lui préférer le rebut de Star Trek quelques années plus tard. Le projet restera sur le bas côté jusqu’en 2010, avant que NBC et Universal n'acquièrent les droits et annoncent un plan de bataille ambitieux : une trilogie et une série TV sont mises en production. L’idée est d’alterner entre un film et une saison de la série, dans une grande licence transmédia, chimère définitive des année 2000. 

Le réalisateur Ron Howard et le scénariste Akira Goldsman sont tout deux attachés au projet, la direction du casting hésitant encore à l'époque entre Viggo Mortensen et Javier Bardem pour le rôle titre. Une date est ainsi annoncée : mai 2013 pour le premier film. Une incroyable machine qui se stoppera nette un an plus tard, en juillet 2011, lorsque le studio abandonne les droits, jugeant le risque financier d’une telle production trop important. Les personnes impliquées essayent tant bien que mal de trouver des repreneurs, HBO et Warner semblent attirés avant de le refuser pour les mêmes raisons que leurs collègues. Depuis 2012, le projet semblait s’enfoncer dans les limbes des plus belles arlésiennes d'Hollywood, alors que King offrait une petite interlude à son récit dans un huitième (et dernier?) roman.

Ce n’est que l’été dernier que Sony a récupéré les droits, en association avec Media Rights Capital, et sort le projet des cartons. Akira Goldsman réécrit son script en compagnie de Jeff Pinker, avant que Nikolaj Arcel ne soit engagé à la réalisation et réécrive une nouvelle version du script avec son ami Anders-Thomas Jensen. Un come-back que Stephen King défend personnellement, puisqu’il annonce lui même les nouveaux membres du casting sur son compte twitter. C’est lui qui a d’ailleurs confirmé les rumeurs sur la présence d’Idris Elba et Matthew McConaughey dans le film, d’ores et déjà annoncé pour Février 2017.


Comme pour chaque annonce d’un projet d’adaptation de La Tour Sombre, on est en droit de se demander si celui-ci sera le bon. Le projet de Sony semble en tout cas le plus concret et le plus attirant créativement jusqu’à présent. Le choix du réalisateur danois Nikolaj Arcel, dont ce sera la première production Hollywoodienne, laisse imaginer une approche originale de l’univers si particulier des écrits de King, tandis que la présence d’acteurs au sommet de leurs carrières comme Matthew McConaughey et Idris Elba rassure sur la qualité du script qui tourne depuis quelques années maintenant. Surtout, dans le paysage des blockbusters contemporain, la découverte d’une mythologie aussi radicale et inédite au cinéma apparait comme une belle bulle d’air frais entre les nombreux projets de films ultra calibrés actuellement en production. D’autant que dans son écriture, Stephen King s’est bien évidemment inspiré des travaux de Joseph Campbell, aujourd’hui référence à Hollywood,tout en jouant avec les codes établis par ce dernier au coeur de son monomythe. 

La Tour Sombre joue avec cette idée du voyage du héros tout au long de son récit, reprenant codes et structure classiques, mais jouant avec l’ordre des évènements et inversant parfois la logique de son récit par le côté naïf de son personnage. Rien qu’en cela, le projet semble taillé pour le Hollywood d’aujourd’hui. A vrai dire, La Tour Sombre sonne même comme une lueur d'espoir au pays des blockbusters convenus, en plein coeur d'un débat stérile sur la viabilité du Rated-R. Si le western patauge mais surnage encore quelque peu aujourd'hui, la fantasy semble avoir bien du mal à se renouveler et à sortir du modèle établi par Tolkien, tandis que le mélange avec l’horreur si particulière de Stephen King nous laisse imaginer une direction artistique des plus couillues, justifiant encore plus le choix risqué d'un Nikolaj Arcel, amoureux de l’image et du cadre. Son développement peut également rapprocher le destin du film à celui d'un Fury Road, dans la difficulté et la réticence qu’ont rencontré les studios qui s’y sont essayés et dans l’espoir que ce temps de gestation particulièrement long offre une œuvre aboutie et pensée comme aucune autre.