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Édito #78 : mais qui adaptera Warhammer 40.000 correctement ?

Par Republ33k
9 mai 2016
Édito #78 : mais qui adaptera Warhammer 40.000 correctement ?

La semaine dernière, SEGA annonçait et dévoilait dans la foulée le troisième opus de la saga de jeux de stratégie Dawn of War, qui est peut-être le meilleur exemple, ou en tous cas le plus connu, d'une adaptation de Warhammer 40.000, l'univers de Science-Fiction et jeu de figurines de Games Workshop. Une licence qui vit depuis les années 80, continuant d'être adaptée sur bien des supports, qui n'offrent pas toujours à "40k" (comme l'appellent ses amoureux) l'exposition ou la qualité qu'il mérite. Tentative d'explication doublée d'une lettre d'amour à cet univers des plus sous-estimés.

Ce que retiennent généralement les gens en passant devant la vitrine d'un magasin Games Workshop ou un trailer d'un jeu adapté de Warhammer 40.000, ce sont ses immenses personnages principaux, tous over the top, que sont les Space Marines. Enveloppés dans leurs gigantesques armures frappées d'un millier de crânes et d'autres décorations morbides, ils protègent l'humanité du 41eme millénaire, qui s'est réfugiée dans un obscurantisme social et technologique total. Et cette protection passe par une foi aveugle envers le maître, l'Empereur, et le massacre pur et simple de leur adversaires à coup de Bolters, ces flingues dont les munitions ont la taille d'un poing. Forcément, question subtilité, on repassera. Mais pour rappel, Warhammer 40.000 a été créé par des nerds anglais inspirés, entre autres, par l'architecture gothique, Charles Dickens, les impressionnistes, les mouvements punks et la Science-Fiction européenne. Un joyeux et explosif cocktail qui donne à l'univers de S-F de Games Workshop son image et son esthétique (parfois qualifiée de gothicpunk) si particulières.

Résultat, au premier contact, Warhammer 40.000 ne laisse personne indifférent. A douze ans, quand je découvrais les illustrations de John Blanche (le cerveau derrière l'esthétique de cet univers), j'étais ainsi frappé - et limite estomaqué - par ces personnages distordus à la peau trouée de tuyaux et de câbles en tous genres. D'autres tombent immédiatement amoureux des irrévérences de cet univers de S-F unique en son genre. Ou au contraire, ont tôt fait de parodier cet océan de violence en repère de gamins attardés ou de (crypto) fascistes. Et si je ne partage évidemment pas leur avis, je peux comprendre d'où vient la confusion. Surtout lorsqu'elle est régulièrement entretenue par des groupes comme les Sad Puppies ou le Gamer Gate, qui adorent coller leur slogan à l'imagerie brutale de Warhammer 40.000. 

Et si constater de telles associations fendent mon cœur de fan, voir les individus, studios et autres éditeurs adapter Warhammer 40.000 au tout premier degré est tout aussi désagréable, hélas. Non pas qu'ils entretiennent eux aussi des messages franchement douteux en transformant l'univers de Games Workshop en jeu-vidéo ou en bande-dessinée, mais simplement, ils oublient d'apporter à 40k la nuance et les critiques qui font depuis toujours la saveur de son lore, our employer un terme technique. Depuis près de quinze ans, la comparaison qui peut être faite entre l'univers développé par quelques romans franchement pas dégueulasses (je pense aux débuts de l'Hérésie d'Horus, la genèse de Warhammer 40.000, mais aussi aux sagas Night Lords et Gaunt's Ghosts), des livres d'armées et de règles d'un côté, et des jeux-vidéo et autres produits dérivés de l'autre fait très, très mal aux fans du jeu de Games Workshop. 

La disparition de THQ, qui a conduit Games Workshop à distribuer ses licences à une multitudes d'acteurs du marché du jeu-vidéo, n'arrange d'ailleurs rien aux choses. Les projets se multiplient mais très peu d'entre-eux peuvent se venter d'une fidélité exacerbée ou au contraire, d'une vraie originalité - le seul exemple que j'ai en tête reste le trailer de Deathwing sur un fond musical signé Kadebostany, qui change des habituels orgues associés à Warhammer 40.000. Résultat, la licence paraît plus éparse et plus endommagée que jamais. Même l'annonce de Dawn of War III, qui est pourtant, à l'échelle des adaptations de Warhammer 40.000, un Triple A absolu, ne nuance pas le tableau, avec un teaser finalement assez fauché et des premiers retours alarmants, même s'il convient de rappeler que le titre ne sortira qu'en 2017.

On retrouvait, dans le trailer du titre de Relic Entertainment, l'habituelle voix-off et les factions toujours mises sur le devant de la scène, avec des Space Marines stoïques, des Eldars froids et des Orks loufoques. Same old shit, finalement. Mais ce qui marchait il y a quelques années encore, à l'heure où Games Workshop revenait dans toutes les têtes en élargissant son offre à un plus jeune public, a bien du mal à séduire de nos jours. Les émois suscité par l'épique cinématique du premier Dawn of War sont bien loin, et à mon sens, pour faire très simple, Warhammer 40.000 s'enfonce désormais dans une parodie de lui-même, faites de gros flingues, de gros crânes et d'un maximum d'hémoglobine. Certains vous diront surement qu'il s'agit de l'ADN de la licence, et que pour un fan, le critiquer revient à se tirer un Bolt dans le pied. 

Mais encore ne fois, je pense que Warhammer 40.000 est capable d'offrir bien plus. Tout simplement parce qu'il n'a cessé de le prouver dans des bouquins passionnants, ou dans de toutes petites histoires placées au hasard dans un livre d'armée, mais qui continuent de faire rêver tous les passionnés d'une Science-Fiction plus différente. Laissons les tronçonneuses, le sang par hectolitres et les grosses armures à Gears of War et ses potes. Passons à une mariage total avec l'étrangeté de Warhammer 40.000, ses bizarreries, son esthétique si particulière... Bref, tout ce qui fait l'originalité de cet univers, dont l'aspect maistream a de toute façon déjà été pillé puis sublimé par Blizzard et ses licences phares. Un concurrent gigantesque qui continue de briller, là où le pauvre original souffre d'un manque évident de courage et de fierté. Entourée par des jeux Warhammer 40.000 aseptisés par leur aspect bourrin et répétitif, la rédaction de PC Gamer se demandait, par exemple, où était passé l'ambition d'un vrai titre sur les Space Marines.

Or, l'exemple nous permet bien de comprendre la lente agonie de l'univers Warhammer 40.000 : archétype voire stéréotype total de la science-fiction militaire, le space marine envahit les films, jeux et bande-dessinée depuis des années, avec ses armures badass et/ou des guerriers génétiquement modifiés pour les porter : comme les Spartans de Halo, pour ne citer qu'eux. Et bien que Warhammer 40.000 possède les représentants les plus étranges et passionnants de ce trope - certains sont capables de dévorer leurs ennemis pour intégrer leurs tactiques militaires, d'autres de cracher de l'acide, par exemple - les produits dérivés W40k s'évertuent à la présenter comme des chevaliers bourrins et sans remords. Un constat d'une tristesse si totale que même l'annonce d'un Dawn of War III n'arrivera pas à me le faire oublier. Même si son aîné était pourtant assez brillant dans sa capacité à distiller le lore de Warhammer 40.000 dans son gameplay.

J'ai l'habitude de résumer l'état des adaptation de Warhammer 40.000 avec cette petite comparaison : "c'est un peu comme si les gens prenaient le Starship Troopers de Paul Verhoeven au premier degré". Pour en faire un maximum de produits dérivés qui ne font qu'adapter la surface de ce riche univers de science-fiction, bien sûr. Alors qu'il a bien des nuances et des bizarreries à offrir à ses fans, et au grand public, qui se délecterait assurément de cette radicale originalité. Qui adaptera Warhammer 40.000 correctement alors ? Games Workshop essaie tant bien que mal de tenir la barre du navire qu'est son plus gros succès depuis près de trente ans maintenant. Mais dans leurs studios comme ceux des concepteurs de produits dérivés en tous genres, peut-être est-il temps de passer le relai à une génération de fans et de créateurs qui ne se limitent pas à la taille du canon ! 

Dans tous les cas, si le sujet vous intéresse, on aura l'occasion d'en reparler à l'occasion d'un dossier traitant de l'influence de Games Workshop sur Blizzard (et vice-versa).