Pour la petite anecdote, ça faisait bien longtemps qu'un papier sur un potentiel spin-off Star Wars consacré à Obi-Wan me trottait dans la tête. A chaque annonce sur les films dérivés de la saga inaugurée par George Lucas, je songeais à me lancer dans un argumentaire à l'encontre d'un spin-off dédié au personnage d'Alec Guinness et Ewan McGregor, mais l'agenda bien rempli de SyFantasy m'avait tenu occupé. Du moins, jusqu'à l'annonce de hier soir, qui me force à prendre une nouvelle fois mon clavier pour causer de Star Wars.
Pour ceux qui l'auraient manquée, sachez que l'annonce en question stipule que le spin-off consacré à Obi-Wan Kenobi, qui aussi loin que je m'en souvienne, a toujours été dans les cartons de Lucasfilm, est désormais plus tangible, puisqu'un premier réalisateur a été approché. Il s'agit en l'occurrence de Stephen Daldry, surtout connu pour avoir mis en scène Billy Elliott. Un embryon d'équipe créative qui n'a pas suscité ma curiosité, mais même avec l'un des mes réalisateurs préférés aux commandes, je crois que je n'aurais pas sauté de joie non plus, et je vais tenter de vous expliquer pourquoi.
Prendre ses distances avec les "Legacy Characters"
Le premier argument de mon discours concerne l'identité même d'Obi-Wan. Un personnage que les fans de Star Wars anglo-saxons considèrent comme l'un des "Legacy Characters" de la saga. N'ayant pas trouvé d'équivalent français satisfaisant au terme qualifiant les héros les plus sacrés de la franchise, j'emprunte donc le concept pour tenter de vous expliquer pourquoi il faut laisser ses personnages tranquille.
Tout d'abord, parce qu'écrire des arcs narratifs à l'intérieur d'un autre arc narratif à tendance à influencer ce qui a précédé et ce qui va suivre. On peut s'en rendre compte très facilement à la lecture des comics Star Wars, par exemple, qui en inventant des histoires à Luke, Han et Leia entre les épisodes de la saga, finit par casser l'équilibre de nos personnages favoris, ou du moins, la vision que nous avons d'eux. Pour prendre un exemple plus précis encore, je trouve que l'introduction du personnage de Sana Solo, "femme" de Han Solo dans des comic books se déroulant entre les épisodes IV et V de la franchise nuance carrément le lien entre notre vaurien et la princesse Leia dans L'Empire Contre-Attaque. En bref, les films Star Wars nous proposent déjà des arcs narratifs en béton, et compléter les blancs ne les renforce pas nécessairement. Bien au contraire, ces trouvailles ont tendance à les fragiliser. L'exercice est donc très risqué.
Mais d'un autre côté, on ne peut pas non plus demander aux artistes impliqués sur les films ou produits dérivés Star Wars de faire du neuf sans aucune marge de manœuvre. Et les créateurs de contenu comme les fans doivent donc apprendre à jongler entre plusieurs incarnations d'un même personnage. Jusqu'ici, c'était ma réponse à ceux qui trouvaient les différentes nouveautés des comics, série TV et autres romans dangereuses pour les films Star Wars. Seulement, en ayant poussé Phil Lord et Chris Miller vers la sortie en plein tournage du spin-off Han Solo, Lucasfilm a envoyé un message clair : pas de place pour l'expérimentation et la multiplication des visions pour un même personnage. A ce titre, je ne vois pas pourquoi je ferai l'effort de considérer les spin-offs comme de simples exercices de style quand le studio lui-même a préféré l'univers partagé solide à l'expérimentation créative. Et pour revenir au sujet de jour, ça veut sans doute dire que Stephen Daldry ou tout autre réalisateur invité sur le projet n'aura pas l'occasion d'expérimenter grand-chose pour un spin-off Obi-Wan Kenobi. Ce qui m'emmène vers mon second argument.
Un mouchoir de poche créatif
Vous le savez, à a fin de La Revanche des Sith, Obi-Wan s'impose un exil pour veiller sur le jeune Luke, dans l'espoir que celui-ci devienne un jour un moyen de rétablir la paix dans la galaxie. Et dans Un Nouvel Espoir, Luke n'a visiblement jamais rencontré "le vieux Ben" qui tient plus du folklore local que du Jedi qu'il était autrefois. Et quand on parle d'un spin-off Obi-Wan avec Ewan McGregor, nous nous situons absolument dans cette période, qui demande qu'on respecte les règles de sa diégèse. Ce que j'en déduis, donc, c'est qu'Obi-Wan ne pourra ni approcher Luke, ni quitter la planète où il réside, Tatooine. Et si en soit, l'idée d'un Star Wars ne se déroulant que sur une seule planète serait intéressante, elle ne laisse guère de marge au scénariste et au réalisateur.
Du moins, si ces derniers refusent de s'aventurer dans les eaux troubles du canon de la saga. Et je les comprendrai, puisque j'aurais personnelement du mal à imaginer un Luke rencontrant Obi-Wan, même à un âge très précoce ou un Kenobi quittant Tatooine le temps d'une dernière mission. Ces deux hypothèses jouent clairement avec le feu (sacré) de la chronologie Star Wars, et il est probable que Lucasfilm se tourne d'avantage vers une approche bien plus ancrée dans la mythologie de Tatooine. Seulement, comme on le disait, le studio se montre toujours plus frilleux à l'égard des expérimentations. Reste donc à savoir ce que l'on peut faire sur la planète aux deux soleils une fois les évidences écartées, donc. Et de ce côté là aussi, les options restent limités.
Des histoires déjà racontées
Je sais déjà ce que certains vont dire : tout le monde ne consomme pas Star Wars sous toutes ses formes. Et si j'entends l'argument, je ne peux pas non plus me résoudre à accepter d'éventuelles répétitions. Car des belles histoires d'Obi-Wan sur Tatooine, on en a déjà. Dans son comic book Star Wars, Jason Aaron nous a par exemple offert de jolis one-shots sur la vie du Jedi exilé, défendant de loin Luke des mauvaises rencontres, ou évitant les ennuis quitte à laisser des innocents souffrir. Le scénariste a aussi exploré la psyché du personnage et ses explorations mystiques via un carnet que Luke trouve entre les épisodes IV et V de la saga, dans sa bande-dessinée. Il a donc déjà frôlé les limites narratives d'un éventuel spin-off Obi-Wan.
Du côté de Star Wars Rebels, on a même eu une très belle conclusion pour l'arc de Dark Maul, dans une rencontre poétique entre les odyssées des deux personnages, deux éxilés chacun à leur manière. Conclure la rivalité entre Maul et Obi-Wan aurait d'ailleurs été un matériau précieux pour un éventuel film, qui aurait mis en parallèle les destins des deux protagonsites. Mais l'idée était sans doute trop expérimentale et trop crossmédia pour justifier une sortie dans les salles obscures. Lucasfilm, comme souvent, s'était ainsi rabattu sur l'expérimentateur numéro un de l'univers Star Wars, Dave Filoni.
Alors certes, la statuette de Sideshow qui sert d'illustration à cet article est super-classe, et j'aurais très envie de la voir prendre vie. Seulement, et en témoignent les essais ça et là dans le nouvel univers étendu Star Wars, j'ai l'impression que ce que les gens aimeraient voir dans les salles se résume à quelques plans badass et une ou deux thématiques intéressantes. Des moments forts, assurément, mais qui manquent cruellement de liant. Et après tout, si on peut déjà les lire ou les visionner ça et là dans des produits officiels, pourquoi ne pas s'en contenter ?
Bonus : l'arrière-garde contre-attaque
Un dernier atgument pour la route : le choix du réalisateur. Cruciale dans la stratégie de Lucasfilm, qui s'était d'abord positionné comme le défenseur de l'entertainment premium avide de sang neuf, la sélection du metteur en scène est généralement ce qui scelle mon contrat imaginaire avec Lucasfilm. Par exemple, lorsque le studio avait annoncé un film Han Solo, j'étais le premeir sceptique. Mais en plaçant Lord et Miller sur le projet, Lucasfilm avait gagné ma confiance. Engager les deux réalisateurs réputés pour leur amour des projets maudits ou impossibles sur un film que personne ne voulait (ou presque) relevait de génie. Seulement, en les remplaçant par Ron Howard - et peu importe le coupable - puis en entamant des négociations avec Stephen Daldry, Lucasfilm envoie le message inverse.
Avec tout le respect que je dois à cette génération de réalisateurs, elle ne me semble pas à même de transcender les différentes promesses de projets (épineux ou flemmards) comme Obi-Wan ou Han Solo. Des films que nous n'av(i)ons pas tellement envie de voir dans un premier temps, mais qui peuvent toutefois trouver dans leurs équipes créatives quelque chose de frais et de nouveau. Donc si on doit continuer à explorer les Legacy Characters et rester collés à la Trilogie Originale pendant quelques années encore, de grâce, Lucasfilm, faites au moins l'effort de confier ces projets convenus à des réalisateurs plus surprenants.
En conclusion
Si cette analyse est très personnelle, je pense qu'elle contient un certain nombre de vérités que tous les fans de Star Wars et cinéphiles pourront juger objectivement, comme le repli de Lucasfilm vers des réalisateurs moins intérpides et plus expérimentés (pour ne pas dire vieux et vexer les intéressés) ou la marge de manœuvre très réduite de ce projet, sans doute le plus délicat à avoir été annoncé à ce jour par le studio. Il serait malhonnête de condamnner le projet avant d'en savoir plus sur les idées de Stephen Daldry, et je serais de mauvaise foi en disant que je n'en attends rien, puisque vous le savez toutes et tous, je suis un fan acharné de la saga. Seulement, pour les raisons invoqués quant au personnage d'Obi-Wan et le ton que pourrait donner Lucasfilm à tout ses spin-offs en s'enonçant dans cette direction, je crains le pire pour ce spin-off.
Mais mon optimiste aidant, je vous laisse tout de même sur une piste : pourquoi ne pas déclencher un certains nombre de flashbacks sur la Guerre des Clones pour enfin découvrir en live-action des personnages comme Ahsoka Tano ou Cad Bane ?