La semaine dernière, on apprenait qu'un certain Johnny Depp incarnerait l'Homme Invisible dans le reboot du film de monstre culte de 1933. L'occasion pour nous de mettre un coup de projecteur sur le chantier assez dantesque qui se trame chez Universal : la création d'un univers partagé tourné vers les monstres classiques du septième art comme la Momie, Frankenstein, Dracula et bien d'autres.
Techniquement, le projet ne date pas d'hier. Et pas uniquement à cause de l'ancienneté de ces monstres, qui sévissent depuis le siècle dernier dans les salles. Lorsque le studio s'était attaqué à des films comme Dracula Untold, bâti aux côtés d'un Legendary Pictures qui était encore partenaire d'Universal, on s'attendait à voir les premières pierres de l'édifice être posées. Et elles l'étaient, assurément, puisque la fin du film de Gary Shore se terminait sur un twist plutôt osé, qui voyait le célèbre vampire être introduit dans notre quotidien. Déambulant dans les rues de la City, Luke Evans semblait annoncer fièrement le début d'un univers monstrueux - ou plutôt fait de monstres - pour Universal. Seulement, lorsque le projet revint à nos oreilles, l'année dernière, The Hollywood Reporter, qui rapportait la mise en chantier de l'édifice, ne fit nulle mention de Dracula Untold et de sa fin.
Et pour cause : le film est un échec assez lourd à porter sur le studio, avec des critiques loin d'être tendres, et un box-office total estimé à 270 millions de dollars, contre un budget de 70 millions de dollars. Ajoutez à cela la participation de Legendary à la production : on sait que l'entreprise de Thomas Tull a commencé à se prendre le bec avec son partenaire Universal il y a quelques temps déjà. De toute évidence, si Dracula Untold devait être l'Iron Man du projet du studio, Universal était parti du mauvais pied, et avait choisi le mauvais partenaire. Il y a de fortes chances que cet univers partagé aie fait les frais, comme des films comme Warcraft et peut-être Kong : Skull Island, de la mauvaise entente entre les deux parties.
Pour les producteurs Chris Morgan (couronné par le succès de la franchise Fast & Furious) et Alex Kurtzman (qui gagna en influence suite aux succès des Star Trek de J.J.Abrams), initiateurs du projet, il était sans doute plus simple de désavouer Dracula Untold plutôt que de l'intégrer dans leurs nouveaux plans de bataille. D'autant plus que le film n'avait pas généré une grande attention médiatique. Après avoir mis tout ça sous le tapis, Universal a donc décidé d'engager un pool de scénariste pour construire cet univers partagé. Le succès du plus puissant d'entre-eux, celui de Marvel Studios, étant inspiré des modèles de la télévision, rien de plus normal.
Universal a donc recruté, dès l'année dernière, les noms bankables de Noah Hawley (connu pour Fargo), Aaron Guzikowski (Prisoners) et Ed Solomon (Men in Black) pour bâtir cet univers partagé fait de monstres. Ils auraient bossé près d'un an comme des scénaristes du petit écran pour pitcher les futurs projets monstrueux du studios, dont La Momie serait finalement la première pierre. Le film sera d'ailleurs réalisé par Alex Kurtzman lui-même, histoire de lancer l'univers partagé sur les bons rails. Et il semblerait que le studio soit très confiant quant à l'intérêt de projet, puisqu'il a tout de même recruté deux énormes stars pour l'endosser, Tom Cruise, qui sera le héros de La Momie, et Johnny Depp, qui sera le nouvel Homme Invisible. On peut difficilement s'offrir des acteurs d'une plus grande renommée, et c'est évidemment un reflet de la confiance d'Universal en ce délicat projet.
Délicat, car beaucoup de studios se cassent les dents sur cette politique de production. Marvel Studios, en tant que pionnier dans ce domaine, a tout inventé ou presque, mais sur la durée. Et dans le Hollywood Game, les autres studios semblent bien pressés de rattraper l'écurie de Kevin Feige. Warner Bros a capitalisé sur Zack Snyder pour créer le DC Extended Universe. Sony a troqué son projet centré sur l'univers Spider-Man contre Ghostbusters, la 20th Century Fox poursuit son exploration des X-Men et d'Alien, tandis que Paramount vient de se lancer dans le grand bain avec Transformers. Ces projets sont épineux, d'autant plus qu'ils se basent sur des franchises généralement déjà existantes, ce qui n'était pas le cas pour Marvel Studios et Iron Man, Thor, Captain America et les autres à l'époque.
Dans le cas présent, Universal a le bon goût de capitaliser sur des noms qui sont certes connus, mais qui n'ont pas connu une notoriété ou une activité récente, si on met de côté La Momie. En partant de monstres classiques, le studio aura sans doute plus de marge de manœuvre, et la réinvention de ces créatures, pour peu qu'elle soit pertinente, pourrait bien accrocher le public. Reste à savoir si celui-ci est prêt pour le retour des films de monstres sur le grand écran. A mi-chemin entre l'horreur et le divertissement grand public, ils pourraient facilement être mal perçus par des spectateurs ne sachant pas sur quel pied danser. Mais contrairement à un marché du super-héros déjà saturé et à un défilé des licences toujours plus long, les monstres d'Universal ont le champ libre.
Maintenant, la question se pose : comment légitimer, aux yeux du public et dans un univers cohérent, la présence de nombreux monstres. Si Universal les fait cohabiter, c'est sans doute pour mieux les faire s'affronter ou les rassembler. Et j'ai encore un peu de mal à saisir l'intérêt d'un monde dans lequel les monstres du bestiaire cinématographiques interagissent entre-eux. Le roster dans les starting-blocks n'est d'ailleurs pas uniforme : on y retrouve La Momie façon Sofia Boutella, un Wolfman sous la direction d'Aaron Guzikowski (après la version Benicio Del Toro du personnage), un Dracula sur le chemin d'un nouveau reboot, un Frankenstein par Ed Solomon, sa fiancée qui pourrait être incarnée par Angelina Jolie, un Homme Invisible et potentiellement un Van Helsing pour les chasser tous. C'est d'ailleurs pour ce rôle que Tom Cruise aurait d'abord été approché. Et puisque la star de Mission Impossible incarnera un Navy Seal dans La Momie, il y a fort à parier sur une réinvention du personnage en militaire chasseur de monstres.
Il a failli être fauché par un flou industriel, et il semble encore très mystérieux artistiquement parlant, l'univers partagé de monstres d'Universal a pour lui une certaine fraîcheur, mais devra tout de même mettre sur pied un monde moderne cohérent, dans lequel La Momie et Dracula cohabitent. À moins que le studio ne choisisse d'épouser l'approche super-héroïque de ce système en situant ses films dans différentes époques. Mais puisque le reboot de La Momie, prévu pour juin 2017, approche à grands pas, on devrait rapidement savoir ce qu'il adviendra des monstres classiques du septième art à l'heure des superproductions et des univers partagés trop souvent lancés à la va-vite.