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Entretien avec Philippe Caza, l'un des titans des Humanoïdes Associés !

Par Aetherys
5 min 16 février 2023
Entretien avec Philippe Caza, l'un des titans des Humanoïdes Associés !

Philippe Caza

 

Chez Syfantasy, on adore Les Humanoïdes Associés. Cette maison d’édition iconique de la bande dessinée, fondée en 1974 par Druillet, Moebius, Farkas et Dionnet, a accueilli divers artistes majeurs via des collaborations devenues iconiques, comme L’Incal ou La Caste des Méta-Barons… Et bien sûr, Métal Hurlant, la référence ultime des magazines de science-fiction, ayant permis à de nombreux auteurs et dessinateurs de faire découvrir leur travail !

 

Nous avons donc désiré nous entretenir avec l'un de leurs auteurs/dessinateurs iconiques, présent dès les débuts de Métal Hurlant : Philippe Caza. Son coup de crayon a fait une longue incursion dans le milieu de l'illustration, notamment pour la collection de romans de poche J'ai Lu SF (pensez à la sublime couverture de Abzalon, et tant d'autres...) ou même récemment en illustrant la réédition des œuvres de Roland C. Wagner chez Les Moutons Électriques... Il a aussi écrit le scénario du film d’animation Les Enfants de la Pluie

Aujourd'hui, il nous offre un peu de son temps pour parler de sa carrière et d'une de ses œuvres phares, éditée chez Les Humanoïdes Associés : Arkhê. Succession de courtes histoires parues en 1982, Arkhê nous emmène dans divers mondes étranges, fangeux, parfois apocalyptiques, où la naissance de l’univers est au cœur de l’intrigue.

 

 

L'entretien

 

Ephyrose :

Bonjour, M. CAZA, et merci encore d'avoir accepté cet entretien ! Entrons d’emblée dans le vif du sujet : vous êtes l’un des premiers Humanos, et avez donc pu rencontrer les fondateurs… qu’est-ce que ces rencontres avec des artistes comme Moebius ou Druillet ont apportées à votre style ? Vous ont-ils influencé d’une certaine manière, ou étiez-vous déjà un Humano sans le savoir ?

 

Philippe Caza :

Les rencontres se faisaient par voie de presse, à travers les Pilote et quelques autres, et Métal, bien sûr, dès son apparition. L’influence sur le style, c’est difficile à dire. Bien sûr il y a l’état d’esprit général dans lequel nous baignions. Quant aux aspects graphiques, j’étais capable d’analyser des techniques, le point, le trait, l’ombrage, le modelé et de me dire « Tiens, là, il a trouvé un truc vachement bien ! Je devrais pouvoir l’assimiler. »

Mais j’avais d’autres exemples, aussi, comme les illustrateurs de pulps, Virgil Finlay en particulier. La SF, si on doit la définir, c’est plus par un état d’esprit que par ses thèmes. Tout ça formait une sorte de famille culturelle, une fraternité d’esprit. On avait vu les mêmes films, lu les mêmes livres (de SF). Quand Druillet considère Catherine L. Moore comme son égérie, je peux en dire exactement autant ! Shambleau, ah ! Shambleau !

 

 

E. : En termes d'influences, bien avant Druillet et Moebius, qui ont été vos inspirations majeures pour créer vos œuvres tantôt psychédéliques, tantôt cruellement violentes ?  

 

P.C. : TOUT. Tout ce que j’ai vu et lu. Enfant, en BD, Tintin et tout ce qu’on trouvait dans le journal Tintin. Blake et Mortimer, Alix… Et Spirou.

Dans les années 60, je lisais aussi Hara-Kiri, où Moeb sévissait parfois. Et puis un article dans Fiction m’a averti de l’existence de Barbarella (Forest, encore) dans une obscure revue sexy, avant que Losfeld la publie en album. Puis les autres albums sortis chez Losfeld, le premier Druillet, Jodelle puis Pravda. Le style pop-psychédélique que je découvrais aussi dans quelques magazines américains. Et les comics. Quelque chose qui m’a donné envie de BD alliant l’érotisme de Forest et le style pop de Guy Pellaert. Ça m’a amené à Kris Kool, paru en 70, puis à Pilote, à Fiction et Galaxie pour les illustrations et à Métal Hurlant et simultanément chez J’ai Lu. Il faudrait citer aussi tout un tas d’illustrateurs et d’auteurs de comics américains, comme Frazetta, Kirby, Buscema.

 

E. : Votre carrière est jalonnée de collaborations diverses, car là où j'évoquais votre travail essentiellement SF chez les Humanos, vous avez aussi travaillé chez Pilote, magazine ayant permis à beaucoup de grands noms de la bande dessinée française de faire apparaître leurs créations (Uderzo, Lob, Tardi, Bilal…). Pourriez-vous nous parler un peu de ce que vous a apporté cette collaboration ? Quel genre de récits proposiez-vous chez Pilote ?

 

P.C. : Côté SF, c’était un peu bouché : il y avait déjà Druillet et Mézières. (Il ne faut surtout pas oublier Valérian, qui faisait aussi partie du grand bain créatif !) Après quelques histoires courtes humoristico-insolites, j’ai attaqué les Scènes de la vie de banlieue. Série d’histoires caustiques, alliant humour, fantastique et critique de la société.

C’est en fait ce que j’ai fait de plus connu et qui reste publié (en intégrale chez les Humanos). Être dans Pilote, c’était important. Tout le monde visait ça. Ce que ça m’amenait, c’est d’être publié dans un magazine à succès, avant même MH. On ne peut pas être « auteur BD du dimanche », il faut être publié. Ce qui veut dire aussi payé régulièrement. J’avais une famille à nourrir. Il ne faut jamais oublier ça. Même si on est des sortes de poètes passionnés par leur artisanat, on a besoin de croûter ! Dargaud, c’était une certaine sécurité. Et on y était très libre aussi, Goscinny était un directeur tyrannique mais ouvert. J’ai beaucoup plus produit pour Pilote que pour MH, ne serait-ce que parce que Métal était moins sûr, financièrement.

 

 

 

E. : Si la science-fiction est clairement votre genre de prédilection, nous serions curieux de comprendre pourquoi. Qu’est ce qui vous fascine dans la création de récits de SF ?

 

P.C. : Il n’y a pas de pourquoi, seulement du comment. J’ai commencé enfant avec les Jules Verne, je dirais presque « comme tout le monde ». Quand j’étais adolescent, dans les années 50, mon frère aîné s’est mis à lire de la SF, y compris les revues publiant des nouvelles (Fiction, Galaxie) et il me les passait. De là, je suis tombé assez vite sur les « Fleuve Noir » et leurs couvertures très « pulp » de Brantonne. J’en ai encore, y compris des navets, bien sûr ! Jimmy Guieu, hélas ! Et en bande dessinée populaire, les Météor avec les BD des frères Giordan. Mais j’ai assez vite découvert des choses de meilleure qualité, en particulier les auteurs américains de l’Age d’or. La collection « Le Rayon Fantastique », où étaient publiés les Asimov, les Heinlein, Van Vogt, Sturgeon… Nathalie C. Henneberg, aussi.

Et les couvertures de Forest. Je pense que la connexion texte + images est pour beaucoup dans mon goût de la SF.

La science-fiction est devenue ma colonne vertébrale culturelle, créative.

Après, pourquoi aimer la spéculation sur le futur, plutôt que l’histoire ? L’imaginaire plutôt que le réel ? C’est sans doute une question de psychologie des profondeurs et ça ne me regarde pas (et vous non plus).

 

E. : Passons maintenant à cette fameuse œuvre : Arkhê. Compilation de fresques épiques mêlant sexe, magie et personnages démiurges, cette succession de courtes histoires ne laisse pas indifférent. J’en prends acte, l’ayant lu récemment, et certaines scènes marquent, tant par la qualité graphique que par la réflexion mystique que vous proposez en filigranes via des textes chargés de symbolique…

Cette BD est d'autant plus intéressante que, au-delà de sa graphie, la thématique du sexe, allégorisé par la femme donnant vie à l’univers, n'avait jamais été traité avec autant de frontalité, encore plus avec tout cet apparat visuel. Que représente ce travail pour vous ? Quel cheminement vous a conduit à créer Arkhê ?

 

P.C. : Rien de mystique. L’histoire « Arkhê » elle-même est composite. Un point de départ suggéré par F. Bazzoli, une sorte de gag : l’arche de Noë ne s’ouvre pas et les animaux y pourrissent. Après… mon propre jeu d’imagination et de références culturelles.

Du symbolique, oui, des lectures mythologiques, ésotériques. La progression narrative est fondée sur la démarche alchimique, les différentes étapes du Grand Œuvre, mais elle débouche sur des idées scientifiques, entropie, trous noirs, big bang… Et puis la poésie, tant des images que des récitatifs : de l’écriture lyrique, du langage, des sonorités. Et fonder une cohésion entre la qualité graphique et l’écrit, jusqu’au lettrage. La forme, c’est le fond. Les formes et les couleurs et les textures parlent, elles aussi, disent quelque chose. Tout est là, pas de distance entre le graphique et le littéraire.

Passé un moment, je n’ai rien à dire de plus. Et s’il y a interprétation, ce n’est pas à moi de le faire. Pas d’explication de texte.

Quant aux histoires en N&B, elles se fondent avant tout sur la fascination purement visuelle pour le corps féminin ou masculin, le jeu de l’ombre et de la lumière, la poussière d’étoiles, la pesanteur et l’envol, la sensualité, le goût, la genèse au sens concret, biologique. « L’origine du monde »…

 

 

E. : Avez-vous eu des influences particulières, durant la création de ces diverses histoires ? Y a t'il eu un fil directeur, au-delà de celle biblique, qu’est la Genèse ?

 

P.C. : Chaque histoire a son histoire, ses éléments issus de lectures, de mots, de rêves, de fantasmes, mais pas question de m’amuser à démonter le puzzle. Les éléments multiples se sont mêlés dans le grand bol de soupe de mon cerveau. Et en plus ça remonte loin, pour moi. Donc, encore une fois, pas d’auto-analyse.

 

E. : "Voici que les eaux règnent sur le monde. Voici l'arche : une cathédrale naufragée. Enracinée à la montagne qui l'a vue naître. L'arche attend une improbable dissolution, tandis que ses hanches se revêtent des noires putréfactions de la vie abyssale. Les millénaires s'écoulent, dans le silence d'une mer immobile, aussi dense qu'un mercure. Et l'arche reste close."

Cette citation, tirée de Arkhê, donne le ton à ce que vous désirez conter via cette oeuvre. De manière générale, Arkhê est une création ésotérique et fouillée, aux ramifications multiples. Ce ressenti passe justement par l'écriture, je trouve, avec de sublimes phrases comme celles-ci qui donnent du sens au chaos primordial. Quelle place prend finalement la religion dans votre travail, en plus de Arkhê ?

 

P.C. : Cela vient de la Bible, effectivement, mais aussi des auteurs comme Victor Hugo, qui a lui-même aussi puisé dans la Bible, ou les Parnassiens. C’est dans mes racines, de même que la mythologie grecque, qui m’a fortement marqué lorsque je l’ai découverte comme tout le monde à l’école...

Même si je me suis détaché de toute religion, et suis devenu même très mécréant et religiophobe, j’assume totalement le fait d’avoir des racines dans la Bible et ses fables enfantines (et cruelles) comme le jardin d’Éden, l’arche de Noé, la tour de Babel, Sodome, les fléaux, les apocalypses… Et puis les dieux et héros grecs, plus sexy.

Tout ça est présent, en dehors de Arkhê, dans la série L’Age d’ombre qui est parue dans Pilote après les Banlieues, ou dans l’album Laïlah, que les Humanos viennent de rééditer en duo avec Arkhê. Je vous conseille d’ailleurs ce duo : les histoires de Laïlah sont encore plus orientées vers le féminin et la postface de Joëlle Wintrebert éclaire leur aspect féministe.

 

E. : Nous sommes désormais en 2023. 43 ans nous séparent de la parution de Arkhê. Pensez-vous que cette BD puisse encore toucher un public de nos jours ? Les thématiques traitées sont certes frontales, notamment à propos du sexe, mais je pense honnêtement qu’il y a davantage que simplement montrer le sexe comme objet de désir. Quelle vision désirez-vous véhiculer par le biais de ce corps féminin fécond ?

 

P.C. : Là aussi, interrogez mon psy ! (que je n’ai pas). Si le corps féminin y est montré frontalement, c’est dans doute plus comme sujet désirant et puissant que comme objet de désir, comme dans mes illustrations de couvertures, d’ailleurs.

Quant au public, je ne sais pas ce que c’est. Je ne souhaitais pas véhiculer quelque message que ce soit. Je donnais, on recevait ou non, on prenait ou non. Je n’ai jamais visé un public ou une tranche d’âge. Je n’avais même pas besoin qu’on comprenne. Plutôt qu’on ressente et que ça fasse rêver, comme on dit, c'est-à-dire que ça crée quelques connexions nouvelles dans les cerveaux. Il se trouve que, grâce à Dionnet et à Métal Hurlant, je pouvais faire ça et ça pouvait paraître, pour moi, c’était ce qui comptait.

Et maintenant, de nos jours, qui ça peut intéresser, surprendre, faire rêver, choquer ou faire peur ? Je n’en sais rien.

De nos jours, je ne produis plus de BD, j’écris des nouvelles de SF (plutôt orientées humour) et l’important pour moi c’est d’être publié, même si c’est dans de petits circuits dits « indépendants ».

 

Merci beaucoup pour votre temps, M. CAZA, vos propos éclaireront, je l'espère, les nouveaux lecteurs et lectrices qui découvriront votre travail !

 

Pour rappel, Arkhê est publiée dans une édition regroupant ce texte avec Lailah, chez Les Humanoides Associés, et il est disponible juste ici !

 

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