ERRATUM : Cette interview a été menée par Morgan, "Ephyrose" de son doux prénom !
Auteurs de nouvelles, de scénarii de jeu de rôle et de courts romans mettant en scène un catcheur mexicain complètement loufoque, Julien Heylbroeck s'est attelé à la tâche ardue d'écrire un roman-univers, Lazaret 44, où une cité est plantée sur le cadavre d'un dieu. Dans cette carcasse putréfiée, l’humanité a érigé Karkasstad, une cité industrielle où, au péril de leur vie, les ouvriers arrachent à la dépouille les substances organiques nécessaires à l’Alchimie dont les formules savantes ont supplanté la science. Au coeur de ce monde étrange, une enquête étrange et bien menée va nous conduire dans les recoins sombres de Karkasstad.
Julien Heylbroeck revient gentiment pour nous sur ses inspirations et l'écriture de son roman ! Bonne lecture !
Découvrez notre critique de Lazaret 44, ici !
Un auteur bien mystérieux...
Est-ce que tu pourrais présenter ton parcours, et le cheminement qui t'as amené à devenir écrivain ?
Déjà, je pense qu'il y a un lien, j'ai fait de longues études d'Histoire, jusqu'à un doctorat (entamé mais non achevé). Cela m'a donné le goût des "univers" à dépeindre, j'en suis persuadé.
Ensuite, j'ai longtemps évolué dans le milieu amateur puis professionnel du jeu de rôle, un domaine où l'on peut vite devenir créatif et inventer ses mondes, ses intrigues, ses scénarios. J'ai ainsi collaboré à plusieurs gammes de jeux de rôles, et publié notamment une trentaine de scénarios pour différents jeux et j'ai même pu proposer deux jeux élaborés par mes soins, accompagné par mes complices Willy Favre et Romain d'Huissier, WarsaW et Luchadores. Arrivé à un certain stade, j'ai ressenti le besoin de non plus présenter mes histoires en kit pour d'autres mais de les narrer moi-même, et je suis tout simplement passé à la littérature populaire.
Quelles ont été tes influences (Films ? Romans ? Jeux de rôle ? Peintures ?) pour Lazaret 44 ?
Lazaret 44 est au croisement de plusieurs influences prépondérantes. Déjà, à la base, il s'agissait de la collision de deux univers de JDR, l'un de Willy Favre et l'autre de moi, qui, associés, se sont révélés devenir un lieu plein d'intrigues et d'ambiances, dans lequel il devenait impossible de ne pas raconter d'histoires. L'idée, à la base, était d'écrire, justement, un jeu de rôle (et pour moi de revenir à l'écriture rôlistique après plus de dix ans de pause) jumelé à un roman. Des musiques d'ambiance étaient même prévues à télécharger. Les aléas de la vie de chacun, la motivation, les autres projets ont fait que jusqu'ici (et pour l'instant, ais-je envie de préciser avec optimisme), seul le roman a vu le jour. Quand j'ai pris les rênes pour écrire le bouquin, l'univers n'était encore qu'esquissé et j'ai eu à coeur de l'étoffer au maximum, pour le rendre crédible, vivant, tangible.
Pour cela, je me suis inspiré notamment de Zola, avec Germinal et de Perdido Street Station, de China Miéville (que je vénère). Je voulais une cité inhospitalière, à la fois médiévale, sale, industrielle, étrange... J'ai également cherché du côté de George Orwell (que je vénère également, pour être honnête) lorsqu'il a été question de raconter l'insurrection prolétarienne de Karkasstad.
Il y a eu d'autres influences, conscientes ou non (je suis une éponge, je recycle parfois des éléments vus ou lus sans même m'en rendre compte) cinématographiques (Guillermo del Toro, mi amor, Cronenberg, Barker...) livresques (Dune de Herbert, forcément et G.-.J. Arnaud, un modèle, pour moi et même le titre de mon bouquin est un hommage à Arnaud, d'ailleurs) mais il ne faudrait pas oublier la musique. J'écris beaucoup en musique, et là, pour le coup, je suis surtout allé chercher du côté du krautrock et de la musique électronique planante, allemande ou non. J'ai d'ailleurs obligeamment fourni la liste des artistes qui m'ont influencé dans les remerciements, c'est la moindre des choses.
La bête...
As-tu eu des difficultés particulières durant l'écriture ?
Du fait du format volumineux, que je souhaitais dès le départ, l'écriture de Lazaret 44 a été un travail de longue haleine, que j'ai mené en plus de mon travail, disons, alimentaire, et de ma vie de famille. Sept mois à écrire en rentrant du boulot à 23h jusqu'à tard dans la nuit et des grosses sessions d'écriture les jours "off". J'ai la chance d'avoir un boulot avec des amplitudes horaires longues qui fait que j'ai des jours "de repos" dans la semaine. Mais heureusement que j'avais parfois du café à portée de main. Ma compagne a été un soutien essentiel durant ces longs mois studieux.
Sinon, pour l'écriture proprement dite, le défi, aussi intéressant que difficile, était de donner vie à un environnement plutôt étrange - une ville juchée sur un cadavre - de manière précise et complète. Quel est le quotidien d'un mineur dans une fosse de chair ? Quels sont ses loisirs, son alimentation ? Comment ça se passe pour l'eau ? Pour les journaux ? La culture locale, les cultures locales... Je n'avais jamais trop tâté de la SF spatiale jusqu'ici, à l'exception d'un court roman, pour le Carnoplaste, Soviets sur Saturne, donc je me suis amusé comme un petit fou mais j'ai dû souvent revenir sur le texte, pour préciser ceci, harmoniser cela... Sur un mastodonte d'un million de signes, ça n'est pas toujours évident.
Enfin, pour la structure du roman, son déroulé, j'ai pas mal galéré, jusqu'à ce que je trouve l'idée de présenter mon travail préparatoire sous forme de tableau, ce que je n'avais jamais fait jusqu'ici. Dès que j'ai procédé de la sorte, j'ai sorti tout le plan en deux heures et j'étais parti pour de bon.
Pourquoi ce choix de narration alternant les points de vue ?
Je voulais une fresque totale, un roman choral, comme on dit. Je me suis inspiré du Trône de fer, de Martin et de The Expanse de Daniel Abraham et Ty Frank. Y compris dans la manière de procéder par chapitres dédiés à un personnage, intitulés du nom de ce dernier. C'est pratique, clair, dynamique et ça permet de se la jouer "page turner" en coupant les intrigues des personnages au bon moment pour donner envie au lecteur d'y revenir au plus vite. Hinhinhin (rire de Christophe Lambert).
El Hijo Del Hierofante, un autre roman de l'auteur, dans la collection Helios
Prévois-tu une suite aux aventures des personnages du roman ?
Une suite non. Mais de revenir dans cet univers, carrément ! L'idée est de me saisir d'un élément, disons, secondaire évoqué dans Lazaret 44, pour écrire une nouvelle fresque spatialo-bizarroïde. Les nouveaux protagonistes commencent à s'inviter dans ma caboche, le tout se développe tranquillement. L'idée, encore une fois, éhontément pompée à China Miéville, est de faire comme ce qu'est Les Scarifiés à Perdido Street Station : un nouveau lieu emblématique, des nouveaux personnages, une nouvelle histoire, mais avec un lien entre les romans: même univers, personnages communs ou références communes...
Que penses-tu de l'illustration de Melchior Ascaride dévoilant la cité de Karkasstad en couverture ?
Elle est superbe. J'ai de la chance. Cela fait un peu plus de dix ans que j'écris et publie des romans et j'ai eu - à chaque fois - des couvertures qui déchiraient. Celle-ci ne fait pas exception à la règle. Pour être honnête, je tannais Melchior pour qu'il fasse figurer le masque à bec du médecin de la peste sur la couv car j'adore ce personnage (cela fait deux romans que je mets en scène un médecin de la peste et j'en ai même un de tatoué sur l'épiderme, pour dire) mais il m'a surpris avec cette couverture délicieusement répugnante. Tout en recasant mon docteur masqué sur le dos du bouquin, ce qui le rend encore plus visible, finalement. Donc je suis content. Pour que je sois le plus heureux des hommes, j'aurais aimé un plan de la cité, de ses côtes, figurant les lieux emblématiques du roman mais cela n'a pas pu se faire. Peut-être un jour sur une édition prestige, qui sait ?
Le travail de Melchior Ascaride. Une bombe
Es-tu déjà sur un nouveau projet de roman ?
Oui, j'ai déjà écrit un bon tiers d'un polar pour une collection de romans gore. Ce sera un court roman, musclé, sanglant, plein de coups de feu, de scènes de sexe, se déroulant dans l'Italie des années de plomb. Ensuite, je retourne direct à l'univers de Lazaret 44.
Un roman, un film et une musique à nous recommander ?
Tellement.
Mais bon, à la limite, s'il ne peut en rester qu'un, écoutez donc le dernier album de David Bowie. Vous verrez, Lazaret 44 lui fait un sacré clin d'oeil.
Dernière question : Plutôt Cronenberg ou Guillermo Del Toro ?
C'est comme de me demander de choisir entre mon père et ma mère. Enfin, non, un tel choix serait plus évident pour moi.
Je dirais donc Guillermo del Cronenbergo.