Il est l'auteur de séries comme Dark Vador, Doctor Aphra, Iron Man ou encore des séries indépendantes The Wicked + The Divine ou Phonogram, qui sont devenues de véritables phénomènes de société depuis leur sortie, Kieron Gillen est également un fan des mondes de Warhammer, en bon britannique qu'il est.
En préparation de notre jolie semaine spéciale, nous avions donc prévenu l'auteur afin de discuter avec lui de sa passion pour le Dark Millenium. Un passionnant et drôlissime échange qui s'est fait par mail, et qui n'aurait pas eu lieu si le scénariste ne s'était pas souvenu de nous après moult échanges à Angoulême ou à la Paris Comic Con. Comme quoi les liens entre hobbyistes sont indestructibles, même s'il convient de saluer la sympathie contagieuse du bonhomme avant tout. Mais trêve de bavardages, place à l'interview.
- Kieron Gillen, l'interview-tronçonneuse -
English version available here !
• Republ33k : Commençons par le début. Tout les fans de Warhammer 40.000 ont une façon différente de raconter leur premier contact avec cet univers complètement dingue. Personnellement, j'ai découvert Warhammer 40.0000 dans un magasin de jouets en tombant sur une Moto Space Marine. J'étais soufflé par l'illustration de la boîte et j'ai décidé d'en savoir plus en cherchant sur le net. Mais c'était il y a près de quinze ans maintenant ! Donc je me demandais comment s'était passée ta propre découverte de l'univers de 40k, et si elle était aussi bizarre que drôle !
Kieron : Ce que tu dois savoir avant tout, Monsieur Warhammer, c'est que je suis incroyablement vieux. Donc je ne suis même plus sûr de comment j'ai découvert les figurines Warhammer. Je me souviens d'une publicité au dos d'un magazine. C'était pour les figurines Citadel. Mais je ne me souviens pas du nom du magazine. C'était peut-être un truc sur les jeux de rôles ou les jeux-vidéo, mais pas White Dwarf (le magazine de Games Workshop - ndlr) c'est certain.
Mais je m'égare. A l'époque – on était en 1986 ou en 1987 – on pouvait leur écrire et ils vous envoyaient de larges feuilles de papier A3 avec une sélection de produits, si ce n'est tout le catalogue en fait. Une sorte de newsletter ? Je ne sais plus vraiment. J'avais 12 ou 13 ans, donc je ne connaissais rien à la vie et encore moins au ténébreux futur où il n'y a que la guerre.
"Non, je peux pas m'acheter ça !"
Donc je me suis renseigné, et j'ai vu combien ça coûtait, et je me suis dit : "NON ! JE NE PEUX PAS M'ACHETER CA !" - Mais j'ai fini par tomber dedans et je me suis acheté quelques Nains et une copie du livre de règles. Sauf que le bouquin était celui de Ravening Hordes, qui compilait les listes d'armées de la précédente édition de Warhammer. Il n'était plus à jour, c'est pour ça qu'ils ne le vendaient pas cher. J'ai donc découvert leur mythologie à travers une expansion du jeu principal, que je ne possédais pas ! Et j'adorais déjà les Skavens à l'époque, mais ça c'est un autre sujet !
L'année suivante, j'étais assez accroché pour m'offrir un catalogue entier, à savoir celui-ci, qui réunissait tout ce qu'était Warhammer à l'époque ! Et bien sûr, Warhammer 40.000 est sorti en 1987 donc mon premier contact avec les figurines de cet univers se passa sur l'une de ses feuilles A3, où l'on trouvait l'un de ses guerriers du futur avec un casque en forme d'Oryctérope ! Un vrai Oryctérope, rendez-vous compte !
La blague ne va absolument pas passer en français, mais tant pis.
Et après ces premiers flirts, on s'est rendu compte qu'il y avait un Games Workshop à Birmingham Bull Ring, ce qui voulait dire que je pouvais y aller en train depuis chez moi, d'autant que mon meilleur pote allait chercher des comics dans le coin, puisqu'il n'y avait ni comic ni game shop à Stafford. Du coup, à l'époque, Warhammer, c'était quelque chose d'adulte et de très distingué pour moi, et pas quelque chose de très nerdy.
Je plaisante, mais à peine. Ca paraissait surtout illicite, d'une certaine manière !
Mais bref, j'ai fini par m'acheter le livre Rogue Trader et j'ai commencé à jouer. Mais avec des contraintes. Puisque je ne pouvais pas m'acheter les figurines. On était en 1988 ou 1989, et je lisais White Dwarf à l'époque, pour suivre l'arrivée de la liste Garde Impériale, ou encore la sortie des figurines plastiques en 1989 ! Oh mon dieu. Maintenant que j'y pense je suis certain que j'ai eu le bouquin de Rogue Trader pour Noël 1988. Ou peut-être mon anniversaire en septembre !
La première liste de la Garde Impériale était horrible, mais je pense que ça risque d'être un sujet majeur dans cette conversation...
Je reviens sur ce que j'ai dit tout à l'heure d'ailleurs, je ne sais plus quand j'ai commencé 40k. Peut-être un an avant, à Noël 1987, puisque Adeptus Titanicus est sorti en 1988 avec Blood Bowl, et que 1989 c'était Advanced Heroquest... Je me souviens de toutes ses sorties, grâce à White Dwarf ! En tous cas j'ai commencé très jeune, c'est certain. Surtout pour l'époque ! Je suis né en septembre 1975 pour ceux qui veulent faire le calcul...
Bon sang, ces premières boîtes de jeu c'était le pied. Si tu veux des souvenirs très vifs de cette époque, je me rappelle très bien de mon frère et moi alors qu'on fonçait dans un magasin qu'on avait trouvé à Cannock, et qui vendait ce genre de jeux. Nous ne savions pas ce qu'il y avait dedans, mais tout ce qu'on voulait y était. On se posait là, dans l'entrée, nos yeux grands ouverts et tout excités. Comme mon père le disait : "je crois qu'ils vous ont vu arriver, eux !"
Mais je dois le rappeler une nouvelle fois, restons concentrés : la première liste Garde Impériale était vraiment nulle à chier.
• Republ33k : L'un de mes premiers souvenirs de Warhammer 40.000 sont ces illustrations étranges qu'on trouvait dans les Livres d'Armées ou dans le Livre de Règles : des vaisseaux-cathédrales, des fanatiques avec des tuyaux en guise de gorge... Je pense que je trouvais ces dessins aussi fascinants que dégoûtants. Est-ce que tu as ressenti ce genre de choses en parcourant les pages d'un bouquin sur les règles ou l'univers de 40k ?
Kieron : Oh absolument ! Il y a du Samuel Blake dans l'art de Warhammer. Le travail de John Blanche, on peut rester devant pendant des heures. Celui de Ian Miller sort des pires cauchemars - ce qu'il a fait dans Warhammer Fantasy aussi, c'est un style à la Gormenghast qui se différenciait beaucoup de Donjons & Dragons, pour sûr ! La première édition de Rogue Trader était souvent bizarre, étrange et aliénante. Or, quand on sent autant les références d'un univers, ça implique qu'il a une puissance d'évocation assez dingue.
Je veux dire par là que la première édition, Rogue Trader, était plus drôle et bizarre que les éditions suivantes... Mais elle est sans aucun doute la plus sombre de ces éditions. Étrangement sombre, et la plupart du temps drôlement sombre, au sens comique ! Je pense par exemple aux personnages enroulés de câbles de l'Adeptus Mechanicus, qui trimbalent des œufs mécaniques contenant clairement des êtres humains très fâchés... C'est d'une démence tout à fait charmante ! C'est un 'QU'EST-CE QUI SE PUTAIN DE PASSE ICI ?' à chaque page !
"Un 'qu'est-ce qui se putain de passe ici ?' à chaque page"
Et puis il y avait les règles, qui en gros vous encourageaient à coller des tuyaux et à ajouter des roues partout avant d'en inventer les statistiques. Une sacrée époque ! On était très clairement loin des figurines de Forge World (les figurines haute-gamme en résine de Games Workshop, ndlr).
Puisque nous parlons d’icônes, je pense qu'on devrait s'arrêter sur la première couverture du jeu. Qui est... On va dire que c'est la plus belle démonstration que pouvait faire une nouvelle franchise pour illustrer le côté Over The Top de son univers. Une montagne de types en armure bleu métallique qui tirent désespérément sur un ennemi hors-champ... On ne sait même pas sur qui ils tirent ! Je pense qu'on peut dire qu'ils affrontent des Orks, parce que l'un des types a une tête d'Ork dans la main et l'agite comme une Pom-Pom. Mais peut-être que c'est un truc que les Space Marines font, ils prennent la tête d'un type et ne la rendent jamais ? C'est carrément un truc que les Space Marines pourraient faire.
Quand j'y pense, puisqu'ils sont sur la couverture, et présentés d'une manière aussi épique, je me demande vraiment pourquoi les Crimson Fists (la légion de Marines sur l'illustration, ndlr) n'ont jamais été populaires ! C'est l'une de ses questions qui me réveille la nuit, comme "est-ce qu'un jour je ferais une armée de Jokearo (on vous laisse googlise, ndlr) ?" ou "pourquoi la première liste d'armée Garde Impériale était aussi naze ! Ils ne pensaient pas au points minimum ou quoi ? C'est quoi leur PUTAIN PROBLÈME !"
• Republ33k : Puisque nous parlons du lore, je listerai bien mes aspects préférés de cet univers, ou les plus bizarres. En tant que fan de la fameuse Garde Impériale, je n'ai pas les mots pour expliquer à quel point j'adore leurs histoires, et surtout celles des régiments barbares, qui en gros, se battent sur des chevaux et avec des cailloux. Et c'est sans compter les personnages spéciaux comme Obiwan Sherlock Clousseau ou Nighthaunter, qui est une sorte de Batman de l'espace, maintenant que j'y pense.
Kieron : C'est dingue tout ce que cet univers a bâti. Il n'était fait que de petits, tout petits moments et tous ont été explorés, pour nous offrir le moindre détail. Prenons par exemple l'Hérésie d'Horus, la genèse de Warhammer 40.000 n'est-ce pas ? Maintenant ça représente quoi, 40.000 bouquins ? C'était trois pages dans le premier livre Realm of Chaos. C'était à peu près la même chose pour l’Empereur de l'humanité et les Sensei, qui rentrent et sortent de la continuité en fonction des humeurs de Games Workshop et leur envie de nous rendre dingue. Les Sensei, ce sont c'est enfants psychiques de lEmpereur, qui en gros sont des chevaliers Jedi, qui ont été entraînés par les Illuminati pour l'ultime bataille. Sauf qu'à 40k il n'y a pas d'ultime bataille. Et que quand l'Empereur a lâché, ils lui ont donné les Sensei à manger dans l'espoir de le ramener à la vie. Ce qui, dans l'univers de 40k, n'allait clairement jamais marcher !
"Cet univers est juste bizarre, de A à Z"
Et d'ailleurs, le nombre de solutions façon "ce plan est notre dernier espoir mais il ne va jamais marcher" est l'un des aspects les plus amusant de 40k. Cet univers, c'est vraiment (et ironiquement) les premiers épisodes de Red Dwarf (une sitcom de science-fiction britannique, nldr) avec Lister qui se ballade partout, et demande innocemment où tout le monde est passé, pour apprendre que finalement tout le monde est mort.
On pourrait aussi parler des trucs vraiment obscurs, mais c'est un monde où les Orks sont littéralement des champignons. Cet univers est juste bizarre, de A à Z.
• Republ33k : Ca ne m'avait pas marqué au début, mais près de 15 ans plus tard, je ne peux pas séparer Warhammer 40.000 de ses origines britanniques. Puisque tu es toi-même britannique, que penses-tu de cela ? Par ailleurs, je me demande comment les premiers fans – qui étaient assurément britanniques – de cet univers ont vécu son évolution. Parce que depuis la France, j'ai toujours eu l'impression que 40k s'était Hollywoodisé dans les années 2000 avant de revenir à quelque chose de plus british ces dernières années. Tu es d'accord avec ça ?
Je suis absolument d'accord. C'est une blague hyperbolique qui est née d'un endroit qui souffrait sous Thatcher. Ca vient du même endroit et des mêmes traditions qu'un 2000AD : on parle d'une Science-Fiction et d'une Fantasy qui ont des origines très sombres, beaucoup plus qu'aux Etats-Unis. Surtout parce que la situation était effectivement sombre. La classe ouvrière était en train d'agoniser : "On est baisés. On a plus de futur. Mais on doit en rire" - la blague vient de là, vraiment !
La Fantasy et la SF sont souvent associées aux classes moyennes, mais plus aux Etats-Unis qu'au Royaume-Uni, je pense. Je me demande toujours si c'est lié à la consommation de jeu-vidéo. Aux Etats-Unis, elle est toujours passée par des consoles. Alors qu'au Royaume-Uni, il n'y avait quasiment pas de console dans les années 1980. On avait juste des vieux PC et on devait faire des jeux en étant exposés à tous ces problèmes sociaux, nous n'étions pas aussi bien lotis que les Etats-Unis, économiquement parlant. Mais tout ça est très sérieux, et je perds encore le fil.
"Ca vient du même endroit et des mêmes traditions qu'un 2000AD"
A la base, Games Workshop n'est pas originaire de Londres, mais c'est assez révélateur qu'ils se soient installés dans les Midlands (une région au centre de l'Angleterre). Les Midlands, c'est le pays du Metal, et les connexions avec le Metal ont toujours été là dans 40k, qu'on parle des ses joueurs, de son esthétique ou de tout le reste. Ils ont été jusqu'à coller un flexidisc du groupe Bolt Thrower dans un White Dwarf !
En gros, si tu étais un mec blanc d'un certain âge dans les années 1980, tu avais de grandes chance d'être un passionné de métal : qu'on parle d'un genre de musique ou de petits bonhommes métalliques. Mais la démographie de Warhammer 40.000 est un tout autre sujet, bien sûr !
Warhammer 40.000 a plein d'autres influences, on ne peut pas louper Dune par exemple, mais la principale, au sens où ses premières esquisses sont totalement identiques aux villes de 40k, c'est Nemesis the Warlock, un comic de 2000AD. Je vous recommande chaudement d'y jeter un œil. Ca parle de l'empire humain de Termight, qui est dirigé par un fanatique religieux du nom de Torquemada, qui prétend d'ailleurs être une réincarnation du personnage historique. Son truc c'est de se lancer dans le génocide de neuf espèces aliens. Donc Nemesis ressemble beaucoup à 40k puisqu'il nous dit très clairement que l'Empire est le méchant. On retrouve même un slogan très proche : "SOYEZ PURS ! SOYEZ VIGILEANTS ! CROYEZ !" Ce genre de choses !
Pat Mills (Requiem, Chevalier Vampire) a fini par faire un comic book qui était centré sur un Inquisiteur très Torquemada dans l'esprit, en gros, et qui se passait bel et bien dans l'univers de 40k. Ce qui rend l'inspiration encore plus évidente.
Mais pour présenter 40k plus globalement, ce que je dis souvent c'est que tout le monde est le méchant. C'est ce qui rend le truc si génial. On est condamnés. C'est une attitude très britannique. On peut facilement la comparer à ce que fait Blizzard sur World of Warcraft et Starcraft, où ils conspirent pour faire de chaque faction les gentils. Du moins la dernière fois que j'ai joué, c'était vraiment ça : tout le monde pense qu'il est le gentil, c'est quelque chose de très vrai par ailleurs, mais bon, c'est beaucoup moins drôle qu'une approche totalement nihiliste.
• Republ33k : Personnellement, je pense que mon esprit et mon imaginaire ont grandement été influencés par Warhammer 40.000 et son univers, et j'ai tendance à voir des trucs très Warhammer dans d'autres œuvres de science-fiction, que ce soit dans des comics, des films ou même des jeux-vidéo. Est-ce que tu ressens la même chose parfois ? Et pour être encore plus précis, est-ce que tu utilise 40k comme une inspiration ou une référence dans ton travail ? Ou quand tu discutes avec tes dessinateurs ?
Kieron : Certains disent que le mieux est l'ennemi du bien. Mais 40k n'est pas d'accord. Pour 40k, le mieux est mieux. C'est ça que veut dire "mieux", après tout !
Je décris volontiers 40k comme l'univers le plus maximaliste qui soit. Il est fait pour être impossiblement grand, sous tous les aspects. C'est sa propre esthétique. C'est d'ailleurs toute le paradoxe de cet univers. On sait tous à quoi ressemble 40k... Mais la nature de cet univers implique qu'il y ait une infinité de choses inconnues dans ce monde. Et on ne peut imaginer à quoi elles ressemblent !
"Certains éléments de 40k font partie de ma caisse à outils"
Mais oui, comme toutes les choses qui vous touchent au bon (ou au mauvais) moment, ça vous reste en tête. Et cet univers est très utile pour réfléchir à des notions d'échelles ou de folie, tout simplement. Il y a des images sur lesquelles je reviens toujours, car elles incarnent à merveille le mélange de stupidité et d'intelligence qu'est 40k : des jet-packs, des épées-tronçonneuses, des objet à la taille de l'espace mais aussi une narration digne d'un tableau de maître. Parfois, j'utilise 40k dans ma sténographie – mes scénarios sont pimentés de références qui permettent à l'artiste de se projeter dans l'esthétique que je recherche. Et bien sûr, certains éléments de 40k font partie de ma caisse à outils, tout comme Les Sentinelles de l'Air ou encore Take on Me de A-ha.
Après, je l'utilise surtout à l'envers, cet univers. Dans le sens où je me demande pourquoi j'aime 40k ? Vraiment, pourquoi ça me tient à cœur ? Qu'est-ce qui m'attire ? Et ensuite, je me demande comment je peux m'emparer de ça pour l'utiliser à mes propres fins. Pas pour créer un futur sombre et son univers, bien sûr, mais pour créer quelques chose qui appuie sur les mêmes boutons. Par exemple, The Wicked + The Divine est une mythologie à par entière, et je m'inspire de plein de choses pour construire ce monde-là. La vraie mythologie, bien entendu, mais aussi le mysticisme et des œuvres de la pop-culture. Mais on y trouve aussi des éléments des univers que j'adore, puisqu'ils me montrent comment faire, tout simplement !
Et bien sûr, Baphomet et Morrigan de WicDiv jouent à Warhammer, c'est canon, donc il y a toujours ça à relever !
• Republ33k : Revenons à la Garde Impériale, qu'on appelle maintenant Astra Millitatum, qui est ma faction préférée dans l'univers de Warhammer 40.000. Est-ce aussi ta préférée ? Je suis juste fasciné par la normalité de ces petits gars, alors qu'ils se battent dans un univers complètement surréaliste. Mais je crois comprendre que ton amour pour cette faction a d'autres origines, et sans doute leur première liste d'armée, non ?
Absolument. Je suis un OG parmi les fans de la Garde Impériale, et effectivement mon amour pour ces gars-là vient du même endroit, grosso modo. Cette idée qu'ils soient des types complètement lambda dans un monde si bizarre. On les balade de planètes en planètes dans un abattoir galactique éternel. En gros ça ressemble à ça : "Hey, salut, moi c'est Tony, je suis super balèze !"et on leur répond : "Eh bah mon petit, tu vas être enfermé dans une pièce avec un exo-squelette de neuf mètres de haut. Mais tu as une lampe torche, donc bonne chance !"
C'est absolument drôle, mais aussi héroïque. Il y a toujours eu une tendance socialiste dans mon amour pour la Fantasy. Même par ironie, je n'irai pas jouer des types de trois mètres génétiquement modifiés pour incarner l'idée de surhomme. Je préfère jouer des gens que je pourrais croiser par chez moi qu'on enlève à leur planète pour aller combattre des chars de la taille de la Norvège avec leurs poings.
"Il y a toujours eu une tendance socialiste dans mon amour pour la Fantasy"
C'était pire encore au début, bien sûr. La première liste d'armée de la Garde Impériale, c'était un vrai bordel injouable. Je crois me souvenir qu'il fallait un minimum de quatre escouades tactiques, une escouade de commandement et un chef ? Or, il fallait compter 200 points pour une escouade tactique, 280 pour celle de commandement et au moins 16 points supplémentaires pour un héros. Soit 1096 au minimum. Donc à l'époque, si vous vouliez jouer avec des gens sur une base de 1000 points, vous ne pouviez même pas ! Et si vous y arriviez quand même, il fallait conserver une cohérence de peloton, ce qui vous dire que chaque escouade ne devait pas s'éloigner de plus de 12 pouces du commandant. Sauf que vous avez 46 figurines à placer, donc vous faites une belle grosse patate.
Oh et il n'y avait pas de tanks. On a eu droit aux marcheurs Sentinelles peu de temps après mais au départ tout ce qu'on avait c'était un Rhino. Un jour, je me suis pointé dans un Games Day (une convention Warhammer, ndlr) en disant : 'est-ce que la Garde Impériale pourrait avoir plus de chars ?" et on m'a répondu ! Je crois même que c'était Jervis (Johnson, l'un des concepteurs de jeux historiques des Games Workshop, ndlr), qui m'expliquait que les listes d'armées devaient toutes avoir des différences etc. Ce qui est vrai, assurément, mais aussi hors-sujet. On ne pouvait pas la jouer de toutes les façons ! Mais ça a changé et je pense que la Tankification de la Garde Impériale fut inspirée par la question de l'adolescent que j'étais. Mais ne vous inquiétez pas, vous me paierez des coups après pour me remercier...
Les premiers Garde Impériaux de Kieron Gillen !
Mais j'ai eu de la chance, j'ai toujours pu jouer avec mes amis qui me laissaient concocter une petite liste. A l'époque la plupart avaient des minimums pour chaque type d'unités et je suis parti d'une petite escouade tactique avant d'avancer vers une escouade commandement et un chef, et puis j'ai fini par acheter beaucoup d'autres choses. Après, on pouvait aussi être débiles. L'option la plus grosbill était d'acheter un maximum d'Hommes-Bêtes avec des lance-flammes. L'escouade de 10 devait coûter 30 points. On pouvait se faire tout un peloton de ces types à tête de chèvre pour 440 points. Mais je n'ai jamais fait ça. Surtout parce que je ne pouvais pas m'acheter les 40 figurines d'Hommes-Bêtes !
C'était le bon temps, en tous cas du côté du groupe avec qui je jouais. Et j'étais sans doute l'un des pires peintres de la bande. L'un de mes amis – qui est maintenant un peintre professionnel qui a gagné des Golden Demon (compétition de peinture Warhammer, ndlr) – jouait une armée d'Eldar magnifiquement peinte. Et il n'y avait rien de plus marrant que de voir ses superbes marcheurs Eldars aux bannières peintes à la main se faire écraser par des Ogryns encore couverts de colle et de résine.
• Quand tu disais que Warhammer 40.000 n'est pas d'accord avec l'adage « le mieux est l'ennemi du bien » ça m'a rappelé une tagline que Games Workshop a un jour collé sur White Dwarf. Je crois que c'était pour l'Empire Tau et ça disait "ramenez un plus gros fusil à une fusillade" ou quelque chose du genre. Et tout le monde adore les gros flingues pas vrai ? Et 40k est bourré d'armes géantes et délirantes. Je crois que ma préférée est le Shokk Attack Gun (avec deux k parce que c'est plus violent), qui téléporte des petit Orks dans le corps de leurs ennemis. Mais je me demandais quelle était ton arme préférée dans cet univers !
Kieron : Personnellement, j'adore les gros flingues ! Et comme tu dis, il y a tout un arsenal de jolies choses qui font boom dans ce monde, mais je crois que mon arme préférée vient d'une armée que je moque toujours pour son impeccable fierté, à savoir les Eldars. Et je veux parler du Baiser d'Arlequin. C'est juste dément. En gros, c'est un tube. Tu plantes un tube dans un type que tu n'aimes pas trop. Quand soudain un filament microscopique sort et aspire tous les os et la chair qu'il peut trouver. L'Arlequin danse, et la victime s'écroule, comme s'il n'était plus qu'une fine feuille de chair. Justement parce qu'elle n'est plus qu'une fine feuille de chair, ah !
Un Arlequin et son baiser au poignet !
J'imagine tellement le type qui a trouvé ça hurler dans le studio : "HEY LES GARS ! JE CROIS QUE J'AI TROUVÉ UN TRUC ENCORE PLUS CON !". Et je ne pourrais que l'applaudir d'ailleurs. Mes arlequins emmèneraient tes troupes sur le terrain pour en faire du milk-shake, je te le garantis.
• Republ33k : Je n'en doute pas ! Puisqu'on en parlait, justement, je me souviens des voyages en train que je faisais moi aussi pour me rendre dans le Games Workshop le plus proche, pendant mon lycée. D'une certaine manière, c'était aussi religieux que l'univers de Warhammer 40.000 peut l'être, c'était un vrai pèlerinage pour le gamin que j'étais. Et de temps à autres, quand je me rends dans un Games Workshop, ou un Warhammer, comme on dit de nos jours, j'ai comme des souvenirs ou plutôt des flashs qui me reviennent immédiatement en tête. Est-ce que toi aussi, ça t'arrive de ressentir ça en rentrant dans ce genre de magasins ?
Kieron : Je joue de manière beaucoup plus régulière maintenant, donc ça atténue un peu cette effet. J'arrive avec un petit "b'jour" et je passe ma tête dans la porte. En gros, je suis ce genre de client bon pour le business. Mais j'aime bien m'aventurer dans un Games Workshop avec des amis, par hasard, quand on sort en ville. Surtout avec des amis qui sont passés à autre chose – avec qui on partage quelques souvenirs – ou des amis qui n'ont jamais essayé de s'intéresser à tout ça – ce qui est toujours amusant lorsque tu as envie de raconter des histoires bien débiles comme celle du Baiser Arlequin ! Games Workshop est un lieu de choix pour aller se fendre la gueule entre amis. Il y aura toujours quelque chose pour vous faire dire : "MAIS PUTAIN, C'EST QUOI CE TRUC ?"
• Republ33k : Plus haut tu mentionnais Patt Mills. Et je crois que nous en avions déjà parlé ensemble dans une interview où tu m'expliquais que ton premier boulot en tant que scénariste était une histoire courte pour Warhammer Monthly (un comic book anthologique), mais je me demandais si tu fantasmais un projet situé dans l'univers de 40k. De mon côté je trouve que Games Workshop gaspille de belles opportunités sur le marché de la BD, parce que comme tu le rappelais, Warhammer 40.000 est très britannique, très 2000 A.D, et j'aimerais beaucoup les voir embrasser cet héritage avec des comic books tarés chaque mois ! Tu serais capable d'accepter ce genre de boulot, et si oui avec qui ? Et tant que j'y suis, n'oublie pas que nous sommes entre nous : si tu écris des fan fictions nostalgiques situées dans l'univers de 40k comme moi, tu peux me le dire.
Kieron : Ah ah ! Pour être honnête avec toi il m'ont demandé, mais je ne suis pas prêt à reprendre du boulot de commande pour le moment. Même pour un truc que j'adore. Et surtout pour ce truc-là, d'ailleurs. Mais une blague que je sors souvent – qui n'est pas tellement une blague, puisque j'ai déjà trois pages écrites – c'est un comic book Rogue Trader.
Le fameux Horus, pièce maîtresse de la collection de Kieron !
En gros, ça serait Star Trek, mais avec des gros cons génocidaires. Une mission de cinq ans... Pour trouver de nouvelles formes de vies et de nouvelles civilisations... Afin de leur les bombarder depuis l'orbite façon Exterminatus !
• Republ33k : Pour finir, quand tu parlais de tes « outils scénaristiques » tu expliquais que Warhammer 40.000 était un super indicateur. Mais sais-tu si tu es le seul à utiliser cet univers comme une aide ou une inspiration ? Je suis sûr qu'il y a quelques fans ça et là dans le milieu des comic books. Je pense notamment à mon ami Sebastian Girner, éditeur de Black Science et auteur de Shirtless Bear Fighter ! Et bien sûr à Kev Walker, qui est ton dessinateur sur Doctor Aphra !
Très clairement, je n'oserais pas dénoncer un collègue !
• Republ33k : J'arrêterais là alors, en tous cas merci beaucoup pour ton temps Kieron, c'était une interview pour le moins... Surprenante !
Oh tu sais j'étais un jeune homme très sérieux dès qu'il s'agissait de causer des petites figurines en plastique sur mes étagères. Tu ne dois pas être si surpris !