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Critique - Le Dévoreur de Soleil T.3 Le Démon Blanc (Christopher Ruocchio) : La Tragique et Silencieuse Ascension d’un Elu

Par Mathieu - Matiou
5 min 28 janvier 2022
Critique - Le Dévoreur de Soleil T.3 Le Démon Blanc (Christopher Ruocchio) : La Tragique et Silencieuse Ascension d’un Elu
On a aimé
- La diversité des sous-genres présents : hard sf, space opera, cyberpunk, biopunk, space fantasy, grimdark
- Les fugues cryogéniques
- La direction de la narration par Hadrian Marlowe
On n'a pas aimé
Veih !

Les centaines de milliers de mondes que l’humanité avait conquis s’étendaient sous mes pieds, se déroulant comme le plus magnifique tapis tavrosi. Je vis chacun d’entre eux et je vis combien il était petit comparé à l’immensité de la galaxie, et plus encore comparé à l’immensité du temps.

 

Par la Sainte Terre et les Douze Abominations ! Le Livre 1 et le Livre 2 étaient donc finalement qu’une entrée appétissante. Car, cher lectrice et lecteur, le Livre 3 est tout simplement un festin de grande qualité. La trame narrative globale s’affine, les enjeux à long terme se dévoilent, les personnages s’épaississent et les événements se succèdent sans temps mort. Cette saga porte en elle les germes d’un classique après déjà un deuxième livre meilleur que le premier ! Ce livre est la récompense pour toutes lectrices et lecteurs qui ont continué à lire les Chroniques d’Hadrian Marlowe. L’auteur a le talent de nous surprendre malgré que nous sachions déjà dans quelle chambre de l’athenaeum de Nov Belgaer, sur Colchis, Hadrian Marlowe écrit ses chroniques après la fin des Guerres Cielcines. L’univers du Dévoreur du Soleil ne finira jamais car rien ne finit jamais...

 

Alerte de divulgâchage ! Après ces lignes, je considère que vous avez lu le Livre 1 et le Livre 2 ou que cela ne vous gêne pas d’être divulgâché.  Si vous cherchez à vous faire une idée du Livre 1 et du Livre 2, voici les avis de Syfantasy par mon collègue Louis - CINAK

 

L’année 2022 sera l’Année de l’univers du Dévoreur de Soleil ou ne le sera pas :  la sortie du Livre 4 se fera en mars, le Livre 5 en fin d’année et entre temps la sortie du Volume 2 des « Tales » (Contes) et d’autres nouvelles (sorties en version originale)

 

La fugue narrative inter-livre (ou le temps du récit entre deux livres de la saga) est manifestement devenu une habitude ancrée et parfois déroutante de cette saga, dans le sens où l’auteur profite en effet de l’inter-livre pour étoffer son univers et raconter d’autres péripéties vécues par la Compagnie Rouge de Kvothe d'Hadrian. Les aventures non narrées pourraient très bien remplir un autre volume des chroniques mais l’auteur choisit évidemment le moment de son récit et ses moments de fugues. Ces récits d’inter-livres vont servir l’histoire future (coucou Arae) et certaines aventures sont d’ores et déjà narrées dans certaines nouvelles parues pour l’instant uniquement dans la langue de Shakespeare (qui est par ailleurs également le nom une planète de l’Empire Sollien). La vie de palatin est tellement longue que l’auteur et Hadrian (placer ici une phrase bien pensée expliquant ce côté méta conceptuel que j’apprécie tant) se voient contraint de faire des coupes dans cette longue existence génétiquement modifiée. Christopher profite de cet interlude pour faire avancer son récit au-delà de la vitesse de publication mais n’exclut cependant pas son lectorat. Il est en effet possible d’apprécier pleinement le livre 3 sans avoir lu les nouvelles (dans le recueilTales of the Sun Eater Volume 1 ) et le mini-livre The Lesser Devil sur Crispin Marlowe, le frère d’Hadrian, qui se passe sur Delos pendant les événements de L’Empire du Silence .

 

Astrographie (rognée) de la Voie Lactée (©MatiouSyFantasy – Mathieu Garcia)

(Echelle : Voile de Marinus – Vielle Terre : > 20 000 années-lumière)

 

La temporalité de cet inter-livre est bien cohérente avec le reste de son récit où les temps de fugue cryogénique défient le temps et la mort. Ces fugues qui m’impressionneront décidément toujours autant ! Quel élément narratif incroyable ! C’est comme si la narration s’adaptait à son substrat littéraire qu’est la Voie Lactée, s’adaptant à l’immensité galactique où les voyages en distorsion durent des dizaines d’années en repoussant ad vitam aeternam les dettes temporelles et la mort. Rien ne peut arrêter cette fuite en avant et rien ne peut arrêter le Demi-Mortel et le héros d’Aptucca. Une page suffit à créer un temps de fugue et la lecture d’un seul livre suffit à adorer cette saga. C’est à la fois troublant et réjouissant car cela crée de la surprise là où la fin est déjà connue. Mais vous me voyez venir car c’est à ce moment précis que Tor Gibson arriverait à point nommé et déclamerait un aphorisme bien pertinent. L’important n’est pas la destination mais le voyage.

 

Plus de 130 planètes et autres entités spatiales sont cités dans les Livres depuis le début de la saga !

Ce tome nous fait voyager comme jamais aucun tome de la saga ne l’a fait auparavant.  

 

Et c’est peu de le dire ! Ce Livre 3 nous fait voyager et cela est assez plaisant après le passage fort intéressant mais toutefois éprouvant sur Vorgossos. L’auteur veut nous faire comprendre l’étendue des possibilités de son univers et celui-ci est vaste, cruel, historiquement complexe et mystérieux à en faire frémir un scholiaste. Tout est démesure, tant dans les architectures, l'étendue de l'emprise humaine dans la galaxie, la taille des vaisseaux, les armes, les temps de déplacement et la profondeur historique des références, des citations et des renvois à plusieurs époques différentes inventées ou non de l’Histoire de la Terre. L’impression de vertige est ancrée dans ce récit comme la peur des daimons Mericanii au sein de l’Empire Sollien. Cette fresque est un puits sans fond où la beauté du texte et la virtuosité de son vocabulaire empruntent au sublime quand l’histoire elle-même s’emporte et atteint l’hypogée final révélateur d’une maîtrise sans pareilles du récit d’annihilation. Ce livre transpire la poésie d’une histoire qui n’a pas de fin ou plusieurs fins aux multiples possibilités. La saga a atteint son point de maturité où plus rien ne peut arrêter sa course effrénée vers un triomphe à venir, évoqué par un cornicen dans un Colisée en furie. Le temps n’est plus une limite silencieuse et l’observation n’est plus de mise. Les enjeux globaux à venir sont clairement établis à la fin de cette fugue de plus de 800 pages. L’auteur nous fait profiter de ce savoir en distillant comme à l’accoutumée de nombreuses références à la littérature classique anglaise, grecque, romaine et venant de nombreuses autres périodes historiques. Le temps de l’Histoire se confond avec celui des perceptions et des temps troublés où le futur se mêle du passé lui-même révélé par un présent en guerre.

 

Le Livre 3 des Chroniques d’Hadrian Marlowe se passe environ 21 000 ans après l’Age d’Or de la Terre. Un Age tellement ancien où les exploits de Napoléon se confondent avec ceux d’Arthur et de Churchill.

 

Le Livre 1 était un début prometteur avec une base solide, le Livre 2 était une quête biopunk dantesque et exalté à la recherche d’un mythe et d’un espoir de paix, le Livre 3 est quant à lui un récit d’un voyage intemporel d’un Chevalier Victorien refusant la vénération et d’une Sorcière Tavrosi xénologue pris dans les mailles silencieuses et observatrices du temps. Le temps de la fantasy est perceptible dans le désir de l’auteur de s’inscrire dans une histoire littéraire vieille d’un peu plus de mille ans. La matière de Bretagne est une des origines de la fantasy contemporaine et le récit d’Hadrian Marlowe s’inscrit dans cet héritage : l’Arthur-Bouddha est devenu un Dieu Syncrétique, Avalon est la planète mère des Avent et une certaine table ronde ne fait pas défaut. La puissance des évocations littéraires et la brutalité des scènes d’actions ravivent la flamme des grands récits homériques venant des temps jadis. L’auteur assume la parenté avec Dune mais qui ne veut pas d’une telle parenté ? Les scholiastes sont et ne sont pas les mentats, Saturne n’utilise pas vraiment des « gholas », Royse et Holtzman pourraient très bien s’entendre, le Collège Impériale n’a rien à envier au Bene Gesserit et ainsi de suite. Cette saga est une véritable lettre d’amour passionnée et éclairée à Dune (et Hypérion ?)

 

Christopher Marlowe, le presque jumeau de Shakespeare, le génie foudroyé, le poète maudit, un des fondateurs du théâtre élisabéthain, a écrit six pièces dont La Tragique Histoire du docteur Faust et Tamerlan le Grand...

 

Une autre inspiration me vient en tête, et une question me trotte dans la tête : l’histoire ne se passerait-elle pas en 40 000 et non en 16 000 ? C’est à se demander, tellement l’auteur puise certaines de ses inspirations dans l’univers du Dark Imperium où "dans les ténèbres d'un lointain futur, il n’y a que la guerre" et où l’infanterie sacrifiable et innombrable se livre des batailles au milieu des Titans de métal et des hordes de xénobites/xénos Tyranides Cielcins. Ma propre chronique, je le concède, pourrait provenir d’un mélodrame eudorien tellement elle est dramatique au possible mais je ne peux être contre l’irrévocabilité de cette saga. Celle-ci est véritablement un de mes coups de cœur de l’année précédente car l’imaginaire déployée par l’auteur à travers ses fugues et ses thématiques abordées m’a définitivement happé : les atomiques, la destruction de la Terre, la génétique (les homoncules, les intus, les palatins, les Exaltés, les tavrosis, l’eugénisme, les SOS, etc.), la démesure des voyages spatiaux (comment ne pas être perdu face à l’immensité des vaisseaux-monde Cielcins, des Migrateurs extrasolariens et des vaisseaux de l’Empire), le cyberpunk (rappelez-vous la Station Mars et Arslan), les machines et les IA, la Dark fantasy, la Xénologie, l’Astrographie de la Voie Lactée, le vocabulaire de la Grèce et Rome antique, etc. Les soleils ne se couchent incontestablement jamais sur l’imagination débordante de Christopher Ruocchio.

 

Centurion, chiliarque, cohorte, colossus, cornicen, hoplite, optio, strategos, tribune, palatin, ptéryge, signifer, vilicus, légion, excubite, etc. : ce n’est là qu’un échantillon de l’inspiration antique du vocabulaire utilisé par l'auteur pour décrire l’armée de l’Empire Sollien qui a pour capitale la planète Forum…

 

Rien ne m’avait décidément préparé à recevoir cette claque littéraire. Un livre peut parfois réussir à vous donner des frissons, à vous pousser à méditer et à vous éveiller. Un livre peut parfois vous amener à faire des choix et à réfléchir sur le sens de ce qui vous importe à l’instant t durant vos sessions de lectures. Ce troisième livre et la saga dans son ensemble font partie désormais de ces livres-étapes dans ma vie. Ces histoires qui font irréméDIABLEment partie de nous. Comment savoir si tel ou tel livre aura le succès d’un classique ou s’il arrivera un jour à être indispensable à la lecture au sein d’un genre littéraire. La réponse est évidente mais le voyage est important. Les fins existent cher Lecteur et Lectrice, et ceci en est une. J’ai compris qu’il n’était pas possible de revenir en arrière car cette lecture m’a changé et je comprendrais que vous acceptiez de lire ce Livre 3 car vous avez heureusement la chance d’avoir bon goût. Vous pouvez continuer car rien n’est jamais fini.

 

Il faut faire ce qui doit être fait. Ce qui doit être.

 

« Le Démon Blanc » - Le Dévoreur de Soleil – Livre 3 (The Sun Eater, Demon in White, 2020) écrit par Christopher Ruocchio et traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Olivier Debernard (Editions Bragelonne, 2021)

Chez l'éditeur

Où le trouver

Chaîne Youtube personnelle de Christopher Ruocchio

Podcast The Rider : "Landrider #0 : C'est quoi Warhammer ?" par Republ33k et son équipage 

Crédits Couverture France : Gael Giudicelli

Crédits Couverture US : Kieran Yanner

Crédit Couverture UK : Patrick Knowles

Crédit Couverture Allemagne : Heyne Editions

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