- Un univers dur et sombre
- Le triangle Kazan-Nadja-Feliks
Auteure francophone et récipiendaire de nombreux prix (prix des Halléniales pour Le Roi des fauves, prix Imaginales des bibliothécaires pour Mers Mortes), Aurélie Wellenstein nous livre avec Yardam (Scrinéo 2020, Pocket 2022, prix de la 25e heure du Livre du Mans en 2021) un roman de post-apo/fantasy urbaine très sombre, parfois dérangeant, dans lequel sont abordés et traités des thèmes durs, tels que l’addiction, l’isolement ou encore les maladies de la psyché.
Une étrange maladie règne dans la ville de Yardam…Sexuellement transmissible, elle permet d’aspirer l’âme des gens que l’on embrasse, y compris leurs souvenirs et leurs capacités. Les corps vidés ne sont plus que des coquilles étrangement attirées par la lune. Du côté des prédateurs, il faut en revanche apprendre à vivre avec plusieurs personnes dans sa tête. Et ce n’est pas une chose aisée, comme en témoigne Kazan, le personnage principal du roman, « vampire » et addict à la sirène, une drogue qui lui permet d’oublier les voix dans sa tête. Celles-ci veulent le pousser à bout et qu’il finisse comme d’autres de ses semblables : sombrant dans une folie suicidaire en entraînant les personnes présentes autour de lui dans la mort. Lorsque les autorités de la ville déclarent la quarantaine pour contenir la maladie et interdisent d’entrer et de sortir de Yardam, il décide de fuir. Cependant, sa rencontre avec un couple de médecins, Nadja et Feliks, venus justement pour guérir la maladie, va changer ses projets et le convaincre de rester. Les objectifs de ces trois personnages, aux antipodes les uns des autres, sans être, dans le fond, totalement éloignés, vont les conduire dans les méandres de Yardam et de la psyché de Kazan pour le meilleur, et surtout pour le pire.
Comme le laisse supposer ce bref résumé, la vie à Yardam, complètement isolée du reste du monde, n’est pas des plus simples. Entre ses démons intérieurs et ceux qui rôdent dans la ville – et tout un chacun peut le devenir, comme le démontre la seconde partie du roman – Kazan a fort à faire. Un destin funeste attend généralement les personnes qui fréquentent ce personnage souvent paumé, au passé triste et aux actions plus que répréhensibles. On n’arrive jamais à vraiment l’aimer ; d’une certaine manière on le haït, comme le haït Feliks : l’attraction et la répulsion réciproques que ces deux personnages vivent reflètent celles du lecteur envers Kazan et, de manière plus générale, avec de nombreuses scènes lugubres (orgies, massacres, maltraitances, etc.). Les relations tissées par Kazan, en particulier avec Nadja et Feliks et cette plongée dans les ténèbres de la psyché et du comportement humain, traité sans complaisance et toujours avec doigté dans l’intérêt du récit, font les grandes forces du roman.
Une autre grande qualité de Yardam est son rythme. Les tableaux s’enchaînent les uns après les autres, avec chacun ses propres problématiques et résolutions de conflit qui aboutissent à l’évolution, dans des sens parfois très différents, des personnages. Les scènes d’action sont très visuelles et prenantes, comme la très jubilatoire chasse à l’homme dans les rues de Yardam, de même que certaines scènes où l’intensité psychologique est à son comble (pulsions sexuelles, autodestruction imminente). Cela ne veut toutefois pas dire que l’action est omniprésente et certains chapitres permettent de se poser, la plupart du temps en compagnie des démons de Kazan.
Yardam est un roman original avec lequel, tout comme avec son personnage principal, on peut avoir une relation surprenante d’amour-haine. Narré avec brio, le récit donne parfois envie de lâcher ce roman empli des erreurs des personnages et d’actes révoltants. Le lecteur a toutefois envie de voir le dénouement, de comprendre les tenants et les aboutissants de cette maladie et de voir si, au bout du tunnel, une lumière attend ou non la ville et ses habitants. Alors, qu’attendez-vous pour le découvrir et plonger dès à présent au cœur de Yardam et de ses rues tortueuses ?
* Un grand merci aux éditions Pocket et surtout à l’auteure, Aurélie Wellenstein, pour la petite attention en ouverture de ce service de presse.