En découvrir plus sur la pensée et les thèses de Jaworski
La culture historique qui imprègne des pages qui n'en sont pas moins divertissantes
Il y a des auteurs dont on sait qu'on ne lira qu'un seul livre, un chef-d'oeuvre certes, mais tellement écrasant que rien d'autre ne peut fleurir sous sa cime. Jaworski n'est pas de ceux-là, en tout cas pour moi, et après avoir lu toutes les œuvres du Vieux Royaume (pour une critique de Gagner la guerre, c'est ici ; pour Le chevalier aux épines, là et là), je cherche maintenant, inlassablement, toutes les miettes d'encre qu'il a pu laisser tomber dans les recoins de nouvelles ou de n'importe quel autre écrit de sa plume.
C'est ainsi que ma chasse (royale diraient certains) m'a mené à cet opuscule rassemblant quatre nouvelles, une pièce de théâtre en forme de monologue et deux entretiens. Une belle prise ! Et je dois dire que j'ai été surpris alors même que je ne m'attendais à rien de particulier. Mon âme historienne et mon goût pour l'histoire ancienne ont tressailli en découvrant les récits antiques et médiévaux, parfois de peuples vraiment peu connus, dont j'ignorais qu'on ait pu en raconter les aventures. Scythes et Goths s'entremêlent sans se confondre, et sans aberrations chronologiques ou culturelles. Ma préférence va cependant à « Celles qui marchent dans l'ombre », une nouvelle que les néophytes comme les antiquisants confirmés pourront apprécier, les uns pour la reconnaissance savoureuse et terrifiante de ce qui rôde à la périphérie des regards, les autres pour le suspens et l'inquiétude que renferme le mystère et l'incompréhension de la menace.
La pièce de théâtre, plus historique encore, est plus exigeante, et je doute qu'elle satisfasse un large public : le long monologue, l'absence de trame narrative, l'arrière-plan, ou plutôt l'avant-plan historique peu connu des Français, tout cela ne peut que rendre la lecture plus ardue, mais ce n'est pas pour autant qu'elle est moins intéressante. Elle aura peut-être le mérite d'avoir fait découvrir un peu de l'histoire polonaise, à laquelle Jean-Philippe Jaworski rend un bel hommage, sûrement en mémoire de ses origines personnelles.
Quant aux articles et autres entretiens, ils ont une teneur universitaire qui déplaira au public venu se divertir, mais je pense que la majorité de ceux assez téméraires pour acheter un livre intitulé « miscellanées » le seront suffisamment pour parcourir ces pages qui s'inscrivent tout à fait dans les discours académiques sans pour autant être absconses. Je dois avouer que son article sur Julien Gracq m'a beaucoup touché : il s'agit d'un auteur que j'ai lu il y a quelques années, dans le cadre de mes études, et j'ai tout de suite senti chez lui un brin de la fantasy de mon adolescence, avec laquelle j'ai pu renouer une fois un rythme plus apaisé retrouvé. Lire de la part d'un auteur que j'admire que mes pressentiments n'étaient pas isolés, et que Gracq peut bien être considéré comme un auteur de fantasy « à la française », reliant ainsi la « noble littérature » et la populaire, voilà qui ne peut que réjouir les lecteurs d'un cycle comme celui du Vieux Royaume, aussi divertissant qu'exigeant.
Sans surprise, c'est donc un très bon livre selon moi, un essentiel même, alors qu'il compile des textes à la marge des grands ouvrages. C'est justement cela qui le rend précieux : il nous invite à décentrer notre regard sur notre histoire, et sur celles proposées par Jaworski. Tout ne tient pas dans un roman national univoque, le monde le déborde, et s'y intéresser ne peut qu'enrichir le nôtre, notre monde personnel et partagé à la fois. Les articles plus intellectuels sont aussi la preuve que faire de la fantasy n'est pas se réfugier dans une facilité de style ou de contenu, qu'il s'y trouve une exigence digne des romans historiques et hautement littéraires déjà reconnus comme tels par la critique et l'université. Que ce soit dans un sens ou dans l'autre, ce livre peut ouvrir des portes sur un espace commun à des lecteurs qui ne font parfois que se croiser : amateurs de fantasy, universitaires, théâtreux, historiens, littéraires, et j'en passe. En somme, cet ouvrage est une synthèse des qualités de l'oeuvre jaworskinienne (le néologisme sert le propos, oui), qui joue sur plusieurs registres, et sait le faire avec brio. De quoi attendre le troisième tome du Chevalier aux épines !
Si vous aussi vous n'en pouvez plus d'attendre, le lien d'achat est ici !