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Golden Age, ou la poétique des fleurs bombardées

Par Maxime - Carraz
7 min 13 décembre 2022
Golden Age, ou la poétique des fleurs bombardées

"Il nous faut distinguer trois mondes. Le Nôtre, le Leur, et celui du Milieu : le Delirium."

Golden Age, ou la poétique des fleurs bombardées
1 - Inventer en littérature
2 - Créer, c’est être vivant
3 - - Oh, que c’est joli !
1. | Inventer en littérature

J’ai parfois des caprices d’enfant avec mes livres : je cherche une épopée dont les personnages ébranleront mes passions, un monde, doux ou cruel - qu’importe - qui exalte ma volonté, mes déboires et mes succès. Je cherche de la magie, de la folie, la puissance dans la lecture : des textes où peut exister ce que le réel refoule. J’ai conservé, aveugle, ces attentes trop longtemps, hermétique au délire propre à Fabrice Colin. Mais après avoir réalisé mon erreur et fouillé Golden Age, j’y ai découvert une écriture jouissive, intense et généreuse.

 

 

Fabrice Colin part de ces pulsions qui n’ont, malheureusement, pas d’autre destin que l’art - du corps, en tant qu’il produit sans cesse des idées et les organise, et du désir qui pousse à y voir son reflet, à créer des choses belles à son image. Puis il place quatre vieux bonhommes en panne d’inspiration, une jeune femme que l’amour quête, un gosse introverti curieux, et quelques âmes errantes. Et le roman est presque lancé. Il ne manque que l’elfe, être espiègle que dissimule le réel, qui agit sur le récit comme ces idées qui surgissent - d’où ? De sorte que la narration fonctionne de la même manière que la création dont elle parle ; par irruptions d’idées et d’images.

 

Et puisque la création, ce n’est pas une parcelle maigre et restreinte de l’existence, mais l’être - la vie même - au loin Fabrice a rajouté la guerre, son obstacle.

 

 

C’est la perception de cette structure originale qui m’a manquée de prime abord. Un système narratif fonctionne un peu comme un langage ; habitué, la lectrice ou le lecteur n’a guère besoin de la décrypter, il l’entend ; c’est par un phénomène semblable que les vieux romans, sur lesquels des générations ont vidé toutes les larmes de leur corps, nous paraissent parfois secs. Tout y est pourtant.

 

Cette introduction visait à vous montrer que ce système est significatif, qu’il porte en lui-même un message, et que nos goûts procèdent trop souvent de l’habitude. Mais l’auteur qui a le courage et le talent pour en inventer de nouveaux créé aussi de nouveaux paysages sensibles et intellectuels. Trouvons les intentions qui ont présidé à la création d’une telle histoire, et chacun des éléments qui la constitue deviendront intelligents.

 

 

Ce dossier sera une humble tentative pour découvrir quelles étaient les intentions de Fabrice Colin, quand il a écrit Golden Age. Mais la réussite, au fond, importe peu : il suffit que le sens m’y ayant apparu soit probable, pour en rendre la lecture agréable et vivante. Et alors, quelle lecture !

 

C’est d’ailleurs avec la bénédiction de l’auteur que je me risque à cette trahison, lui qui tient surtout à ce que le sens échappé du texte, comme le pissenlit effeuillé de la couverture, vienne au gré du hasard germer dans l’intelligence de ses lecteurs.

Bienvenue au Dandelion Manor !

 

 

Fabrice Colin est une des figures de prou de la Fantasy des années 90, incarnant avec ses amis Mathieu Gaborit et Henri Loevenbruck une partie de ce qu’on appelle la « Nouvelle École Française ». C’est à partir de ces auteurs que les maisons d’édition françaises ont commencé à se spécialiser dans la Fantasy nationale, comme La Volte (Horde du Contrevent, Damasio), Bragelonne (Le Paris des Merveilles, Pevel), Scrinéo, l’Atalante et encore Critic. Fabrice Colin a été quatre fois lauréat du Grand Prix de l’imaginaire (2000, 2004 à la fois dans les catégories Roman Francophone et Roman Jeunesse, et 2011 pour La Brigade Chimérique, BD dont il était scénariste en collaboration avec Serge Lehman). À partir de 2012, il change de genre et se consacre au polar et à la littérature générale. Golden Age, sorti le 5 octobre dernier, marque son retour à l’imaginaire.

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