C'est une théorie que les images du Réveil de la Force ont rendu populaire : en rachetant Lucasfilm, Disney n'avait pas l'intention d'offrir des suites mais plutôt des remakes à la saga Star Wars. Il est vrai que le film de J.J.Abrams partageait de nombreuses ressemblances avec Un Nouvel Espoir - on en reparlera bientôt dans une vidéo complète - et il n'est donc pas étonnant de voir Star Wars : Les Derniers Jedi être qualifié de nouvel Empire Contre-Attaque avant l'heure.
Mais que vaut vraiment cette idée ? Essayons de la décortiquer pour obtenir un semblant de réponse, tout en rappelant les originalités qui pourraient se cacher derrière les deux trailers très astucieux du film de Rian Johnson.
Mais pour savoir si Les Derniers Jedi est bel et bien un remake de l'Empire Contre-Attaque, il convient de définir ce qui fait la renommée du film d'Irvin Kershner, écrit par Lawrence Kasdan et imaginé par George Lucas.
Le style Empire Contre-Attaque
Car ça ne vous aura pas échappé, trente-sept ans après la sortie du second Star Wars, ou plutôt du cinquième dans la chronologie de son univers, on parle souvent d'un style "Empire Contre-Attaque". Une expression qu'on retrouve dans les discours de nombreux producteurs désireux de faire saliver les fans en une formule facile, mais aussi dans ceux de plusieurs scénaristes et réalisateurs, pressés d'attirer l'aura de l'illustre suite vers leur métrage.
Il faut dire qu'au même titre qu'un Parrain 2 ou qu'un Spider-Man 2, l'Empire Contre-Attaque fait partie de cette race bien particulière de films hollywoodiens, les rares suites ayant réussi à dépasser l'original. Mais qu'à cela ne tienne, que peut-on retenir, en dehors de son contenu, du film d'Irvin Kershner ?
Diviser pour mieux régner
La première idée qui vient à l'esprit, sans doute parce que là aussi, on l'entend souvent dans la presse, c'est la division du groupe de personnages. Trois ans après la sortie en salles de Star Wars, il était ainsi question de séparer la trinité formée par Leia, Luke et Han Solo, même si Lawrence Kasdan n'a peut-être pas volontairement divisé le groupe pour booster sa créativité. La séparation effectuée par L'Empire Contre-Attaque n'en est pas moins considérée comme l'une des caractéristiques majeures du film, de nos jours. Ce qui pousse nombre de réalisateurs à répéter l'opération aujourd'hui. C'était le cas, par exemple, d'un certain James Gunn qui a revendiqué cette formule pour l'écriture de son second Guardians of the Galaxy.
Pour revenir au film à qui nous devons le comparer, Les Derniers Jedi aura cependant tout le mal du monde à diviser un groupe de personnages qui ne s'est encore jamais réuni. Le Réveil de la Force n'a en effet jamais présenté les personnages de Rey, Finn et Poe comme une trinité et les bande-annonces des Derniers Jedi nous montrent que le film de Rian Johnson pourrait ne pas vouloir changer cet état de fait. Et si ça n'a l'air de rien, ce traitement des personnages implique une narration bien différente, et par conséquent, des thèmes différents.
Des thèmes plus sombres
Parlons des thèmes justement. Vous avez peut-être pensé à cette idée bien avant la séparation des personnages d'ailleurs : l'Empire Contre-Attaque est aussi considéré comme le meilleur Star Wars parce qu'il est le plus sombre d'entre-eux. Mais contrairement à la question des personnages, c'est un concept qu'il sera plus difficile d'analyser ici, faute de film à décortiquer. Au passage, j'en profite pour rappler que l'ensemble de cet article est une exploration de la question plus qu'une recherche de réponse bien arrêtée.
Ca tombe bien, puisque si d'un côté, on peut estimer que l'omniprésence du rouge ou les déclarations d'un Rian Johnson cherchant à faire souffrir ses personnages vont dans le sens d'un opus plus sombre que Le Réveil de la Force, de l'autre, il faut se souvenir que ce dernier n'était pas si léger. On pourrait ainsi citer l'efficacité des stormtroopers, la mort de Han Solo ou encore le forceback de Rey comme éléments pesants du premier film de cette trilogie. Ils le sont en tous cas bien plus qu'une petite couvée de Porgs. Et après tout, même Rian Johnson a pris ses distances avec cette étiquette du "plus sombre" dans de nombreuses interviews. A juste titre, à mon humble avis, puisque ce qui était sombre en 1980 ne l'est sans doute plus aujourd'hui. Prenons nous aussi du recul vis à vis de cette idée, donc, et revenons plutôt sur ce qui est avéré.
Kylo Ren change tout
Appuyons-nous sur bon Ben Solo pour essayer de sortir Les Derniers Jedi de l'ombre de l'Empire Contre-Attaque. Il est assurément mis en avant par le second trailer du film, on peut donc penser qu'il aura un grand rôle à jouer dans son histoire. Ce qui nous prouve que Rian Johnson entend poursuivre un élément qui distingue radicalement la postlogie de la trilogie originale : son antagoniste principal. S'il est fasciné par Dark Vador, tout l'arc narratif de Kylo Ren nous explique en effet qu'il n'est pas Dark Vador. Ce qui a une importance dans le scénario du Réveil de la Force, comme lorsque Rey le défie dans un exercice de Force des plus perturbants, mais aussi dans la construction de toute la trilogie.
Car ça ne fait aucun doute, les trois films mettront en parallèle les destins de Rey et de Ben Solo. Là où Luke apprenait seul à luttrer contre un adversaire particulièrement puissant, mais totalement inconnu, quelque part. En effet, lorsque nous apprenons que Vador est le père de notre héros, nous en savons finalement bien peu sur lui. Au contraire, nous connaissons déjà bien des choses sur Ben Solo. Et notamment ses doutes et ses remords, qui sont le moteur de son arc narraitf. Encore une fois, c'est peut-être anodin de prime abord, mais cette opposition entre Rey et Ben n'a juste rien à voir avec l'opposition entre Luke et Vador. Et il aurait fallu mélanger les figures de Snoke et Kylo Ren pour avoir une approche réellement similaire, avec un vilain que l'on sait puissant, mais qu'on le connaît et voit peu. A l'inverse, Les Derniers Jedi nous racontera visiblement l'histoire de deux adolescents paumés, pour le résumer vulgairement, chacun à leur manière.
La temporalité
Voilà plusieurs fois que nous insistons sur cet aspect. Sans doute parce qu'il est négligé par la plupart de nos collègues, y compris les plus éminents. Mais l'envie de Rian Johnson de ne pas séparer son film du Réveil de la Force change elle aussi radicalement la donne. Certes, une histoire peut être le remake d'une autre en se déroulant à un autre temps ou à un autre endroit, mais dans l'univers Star Wars, le contexte est bien plus important que dans n'importe quel autre film. C'est sans doute pourquoi tant de spectateurs sont gênés par l'absence d'informations (sur l'état de la galaxie par exemple) dans Le Réveil de la Force, d'ailleurs. Par conséquent, le fait de ne pas laisser aux deux films l'écart que l'Empire Contre-Attaque avait avec Un Nouvel Espoir est susceptible de générer une histoire bien différente.
Et surtout, une histoire bien plus précipitée. Si le film reprend alors que Rey tend son sabre à Luke et que les Résistants sont tout de suite attaqués, et non traqués comme ils l'étaient dans l'Empire Contre-Attaque, le rythme imposé au scénario de Rian Johnson risque de différencier son film de celui d'Irvin Kershner. Sans même parler de la constuction du montage. Après tout, si Rian Johnson reprend juste après J.J.Abrams, il risque de devoir accélérer un moment ou l'autre, et ainsi opter pour des ellipses, ou plus original encore, un montage moins linéaire que tous les autres films Star Wars. Nous n'avons toujours pas de confirmation de ce côté-là, c'est certain, mais on imagine que l'idée permettrait à Rian Johnson de créer de l'originalité dans un joli coup de poker.
Des ressemblances malgré tout
Maintenant, toutes les ressemblances ne seront pas effacées d'un coup de brosse, et même avec une éventuelle narration non-linéaire, aussi inhabituelle puisse-t-elle pour un film Star Wars. On aurait donc tort de prétendre que Les Derniers Jedi est entièrement original. Bien entendu, il est assez simple de lister des points communs entre le film de Rian Johnson et l'Empire Contre-Attaque. Comme les marcheurs impériaux, la planète de sel rappelant celle de glace, l'isolement de Luke qui évoque celui de Yoda ou encore la planète Cantonica, qui n'a pas encore été aperçue dans les trailers mais dont la neutralité rappellera forcément celle de Bespin et de son habitant le plus célèbre : Lando Calrissian.
Cependant, il convient s'interroger sur ses ressemblances. Sur ce qu'elle se racontent et sur la raison de leur présence. Car finalement, on pourrait également citer un certain nombre de plans rappelant la prélogie, comme celui ci-dessus, qui reprend sans doute volontairement l'arrivée d'Anakin au Temple Jedi dans La Revanche des Sith. Il faut également rappeler que George Lucas aimait lui aussi jouer avec ces ressemblances, l'une des plus célèbres étant le dialogue entre Obi-Wan Kenobi et le comte Dooku sur Geonosis, qui évoquait l'envie de Vador de voir son fils être à ses côtés pour régner sur la galaxie.
Les rimes ne sont pas un phénomène nouveau dans Star Wars. Simplement, elles sont peut-être devenues un sujet de conversation plus régulier. La faute à un film par an, sans doute. Mais aussi, à une confusion entre la nouveauté et l'originalité. Après tout, on pourrait considérer qu'en tant que saga poétique, Star Wars a à sa disposition un vocabulaire bien précis. Un langage commun à tous ses films, qui incite certains spectateurs à dégâiner la carte du remake bien trop facilement. Mais quelques part, on peut les comprendre. Si les batailles spatiales et les formations à la Force dans des endroits exotiques sont des lieux communs, Star Wars est un univers sans doute trop vaste pour se contenter de quelques nouveautés. Reste à savoir ce que préfère le public. Une narration différente, par exemple, ou des vaisseaux flambants neufs ? C'est toute la question qui doit trotter dans la tête de l'exécutif de Lucasfilm.
Conclusion
Les Derniers Jedi est-il un remake de l'Empire Contre-Attaque ? Sans surprise, on ne répondre pas sans avoir vu le film. Mais puisque la question est visiblement sur toutes les lèvres, il était de bon ton de l'explorer. Peut-être que le film de Rian Johnson est condamné, quelque part, à être un remake de l'Empire Contre-Attaque. A cause de sa position dans la trilogie, de l'attente qu'il génère et de son aîné, très porté sur la nostalgie. Ou simplement parce qu'il est difficile, quand on est un film Star Wars placé en deuxième position, de sortir de l'ombre du meilleur d'entre-eux. A la manière d'un artiste que l'on analyserait toujours à travers le nom de sa plus grosse influence, le film de Rian Johnson va donc devoir redoubler d'efforts et d'inventivité pour ses preuves. On s'en remet à la Force en attendant le 13 décembre prochain.