Tous les genres littéraires sont nés d'Homère nous dit la tradition occidentale, de la Science-Fiction (on retrouve déjà chez lui des androïdes/automates) à la comédie romantique en passant bien évidemment par l'épopée. Ce n'est donc pas un hasard si l'on retrouve dans ses écrits (du moins, ceux qu'on lui attribue) des passages purement horrifiques. Sauf qu'ils ne font plus vraiment peur aujourd'hui, l'imaginaire n'étant plus le même, et surtout parce que nous avons eu bien plus effrayant dans les deux millénaires qui nous séparent de l'auteur grec.
Car c'est là l'une des particularités du genre, il doit s'adapter à son époque pour provoquer chez le lecteur ou le spectateur la peur ou l'angoisse, voire les deux pour les plus sadiques. Pas seulement dans la tradition littéraire, puisque l'horreur a très vite su tirer avantage des arts visuels pour ramener à la surface nos terreurs les plus enfouies. Ainsi, avant que n'arrivent cinéma et autres images animées, la peinture avait déjà ses fiers représentants horrifiques. Pas facile ainsi pour le Caravage de créer la peur dans ses tableaux à une époque où un homme à moitié nu était présent partout, saignant sur une croix et bardé de plaies montrant toute la cruauté des hommes. Il a donc eu recours aux corps torturés, aux regards désespérés et aux ténèbres grandissantes, le peintre installa une ambiance de peur dans ses œuvres. L'horreur venait à nouveau d'évoluer.
Quelques siècles plus tard, Francisco Goya prenait un tout autre parti, il choisissait le gore malsain, et peignait un Festin de Saturne qui atteignait des sommets d'effroi. Il était un peu le Eli Roth du XIXème siècle si vous préférez. Deux écoles de peintures, deux façons bien différentes de représenter l'horreur. Entre ambiance pesante et gros gore bien sale, le débat a toujours fait rage. Preuve s'il en faut que l'horreur est un genre versatile, ne se définissant pas par ses moyens, qui sont autant de serpents sur la tête de Méduse, mais par son but, provoquer la peur chez le destinataire de l'œuvre. Là encore, les peurs sont versatiles. Tour à tour, actuelles ou anciennes, silencieuses ou criées désespérément, on peut aussi bien trouver des petites peurs de circonstance comme des terreurs qui vous laissent sans défense.
Difficile donc pour qui voudrait effrayer son prochain d'aborder ce genre. Surtout qu'il compose directement avec l'esprit de l'époque. Les maîtres en la matière se trouvent au siècle de Goya, car si les Romantiques nous apprirent quelque chose d'essentiel, c'est la retranscription des émotions. Certes, l'amour, qui galvauda le terme de romantique (ce n'est pas parce qu'on offre des fleurs qu'on est romantique littérairement parlant), mais la peur aussi. Après tout, Mary Shelley, Bram Stoker ou même Edgar Allan Poe se considéraient eux-mêmes comme des romantiques plutôt que comme des gothiques.
Si certains apparatchik de la culture voient l'horreur comme un sous-genre, considérant Le Horla comme une petite fantaisie fantastique de Guy de Maupassant, celle-ci est pourtant l'une des plus exigeantes dans sa narration. En plus de devoir composer avec celui qui la recevra, elle doit aussi prendre en compte ce qui s'est fait auparavant. Combien ne nous nous sommes pas dit en allant voir le dernier film d'horreur sorti : "Pourvu que le réal' nous lâche avec ces foutus jumpscares !" Car à trop user d'une technique pour provoquer cette fameuse peur, celle-ci perd gravement en efficience.
Pourtant, nous bondîmes comme jamais quand David Robert Mitchell nous en cala une bonne dans It Follows. Ainsi, il vous faut aussi une grande maîtrise de l'écriture pour pouvoir user d'un panel de moyens, qui s'étoffe d'œuvre en œuvres, à bon escient pour atteindre un unique but dans l'esprit de la pauvre victime qui lit ou regarde ce que vous avez à dire. L'horreur exige de savoir atteindre l'esprit humain, d'en comprendre ses rouages et pouvoir jouer avec. L'horreur est un genre particulièrement exigeant qui vise un sentiment extrêmement puissant. Encore une fois, pour une multiplicité de but. Pourquoi ? Cela demandera d'y revenir, tellement il y a dire sur une émotion aussi vive que la peur.