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Interview Etienne Cunge (Symphonie Atomique) : son roman, sa vision de notre futur proche et ses projets

Par Louis - CINAK
5 min 19 octobre 2021
Interview Etienne Cunge (Symphonie Atomique) : son roman, sa vision de notre futur proche et ses projets

Etienne Cunge nous a surpris avec Symphonie Atomique aux éditions Critic : un récit dur et sans concession sur l’effondrement climatique à venir. Biologiste, il anticipe un avenir avec de moins en moins d’insectes et où des blocs nucléaires qui se sont constitués et se font face, prêts à déclencher le feu nucléaire à tout moment… Pour SyFantasy, Etienne Cunge revient sur son roman, ses projets et sa vision de notre futur proche !

Après Légendes d’Agrégats, qui se déroule des milliers d’années après notre ère, pourquoi traiter de la crise écologique d’aujourd’hui ?

J’avais déjà écrit sur les enjeux environnementaux et leurs conséquences sociales dans mon premier roman Antarcticas, publié aux éditions Rivière Blanche, et dans de précédents textes jamais parus. C’est un thème qui me tient à cœur et qui est au centre de mon activité depuis des décennies. Mais écrire sur ce sujet « coûte » émotionnellement, c’est éprouvant. J’ai donc d’emblée décidé d’alterner en insérant un roman plus imaginaire - SF pure ou fantasy – entre deux romans d’anticipation. Après Légendes d’agrégats, je suis donc revenu à mon sujet de fond.

Pensez-vous que l’avenir de la Terre soit celui promis par Rob, celui d’une Terre recouverte de cités bunkerisées, mais (contrairement à votre livre) ouverte au plus grand nombre ?

Je pense que, dans le siècle à venir, la civilisation sera de plus en plus urbaine en dépit de l’aspiration actuelle de beaucoup à échapper aux villes. En effet, paradoxalement, la concentration de l’habitat réduit le coût environnemental des services, qui va devenir de plus en plus déterminant pour réduire l’impact de chaque pays (par exemple il faut 1 à 2 mètres de réseau d’eau pour un habitant urbain contre plusieurs dizaines en zone rurale, etc ; de même le coût des déplacements du quotidien risque de devenir prohibitif pour beaucoup). Il est possible que certaines agglomérations se bunkerisent pour fuir la chaleur. Il est même probable que de tels scénarios se développent très ponctuellement dans des zones géographiques où le climat deviendrait invivable. Mais je pense que les villes du futur occuperont pour l’essentiel des zones vivables, qui resteront largement prédominantes dans les prochaines décennies à priori ; et je crois que les conurbations vont réellement tendre à ressembler à des écosystèmes tels que décrits dans Symphonie atomique afin de réduire les îlots de chaleur et favoriser une gestion des eaux intégrée au cycle naturel (infiltration locale, écoulement à l’air libre…) aussi bien que pour maintenir la biodiversité. J’anticipe donc plutôt des villes vertes et ouvertes que des bunkers, si les conditions locales le permettent.

 

Quelle émotion souhaitez-vous susciter auprès de vos lecteurs ? La résignation ? La peur ? L’espoir ?

Un de mes objectifs est de faire ressentir la solastalgie (la nostalgie d’une vie meilleure où la planète se portait mieux) qui est, certes, une émotion négative mais aussi un puissant (si ce n’est indispensable) moteur pour le changement individuel et collectif, à petite dose. En effet, la perception du risque lié au changement climatique ou à la perte de biodiversité reste, à ce jour, une démarche avant tout intellectuelle ; la rendre émotionnelle contribue, à mon sens, à induire une plus grande source de motivation pour changer. De plus, en permettant de toucher du doigt cette émotion avant d’en être victime, je cherche à permettre au lecteur de mieux se préparer aux prévisibles épreuves à venir et à induire une dynamique d’évolution, en vertu du principe qu’un homme averti en vaut deux. C’est le rôle notamment de Radio collapse (la fréquence radio qui transmet des témoignages du changement climatique et sociale sur Terre dans Symphonie Atomique).

La seconde émotion que je cherche à générer, c’est le courage de faire face, de lutter pour rester humanistes, quelles que soient les catastrophes qui puissent nous arriver. C’est le rôle de Juan, Agathe, Ashkat, Olga et tous les autres – à l’exception, peut-être, de Rob. Je suis malheureusement convaincu que des temps difficiles arrivent inexorablement (leur gravité dépendra de notre capacité à infléchir la trajectoire actuelle) et que nous ne sommes pas du tout prêts, en Occident, à y faire face, ni individuellement ni collectivement car trop habitués à ce que tout nous soit acquis, pour ne pas dire dû. Mais je suis certain, en revanche, qu’anticiper ces événements nous permettra de nous y préparer psychologiquement et de mieux y faire face le moment venu. Car, à mon sens, désormais s’offre à nous le défi collectif des conditions de notre survie ; or lorsque celle-ci est menacée, nous sommes souvent capables du pire, lequel n’aide en rien lorsque ça va déjà mal. À l’inverse, il nous revient de tenter le meilleur possible, de ne pas baisser les bras en renonçant à notre empathie et aux exigences fondamentales de l’humanisme ; voire d’accepter de sacrifier notre intérêt individuel au bénéfice du bien commun, et notamment de notre milieu de vie.

En résumé, je cherche à faire percevoir émotionnellement la réalité et l’intensité du danger en approche, tout en affirmant la possibilité de maintenir notre humanité, y compris au cœur de la tempête la plus sombre - à condition de s’y atteler. Et même si tous ceux qui essayent n’y parviennent pas (comme Ashkat) sous la pression d’événements qui peuvent les briser, le seul fait d’essayer assure la dignité de chacun comme de tous.

C’est évidemment un pari difficile à réaliser que de vouloir faire passer un tel message.

 

La Chine en 2021, au coeur des grandes villes

 

Pourquoi avoir créé le personnage d’Ashkat, ce jeune chef de clan kirghiz pris entre toutes les nations nucléaires ?

J’aime beaucoup ce personnage. Se focaliser uniquement sur des figures occidentales n’aurait pas permis de répondre aux ambitions globales du roman. Comme Juan et Agathe, il cherche à faire de son mieux au regard de ses responsabilités vis-à-vis des siens ; mais ses conditions de vie sont encore plus dures, critiques, sans pitié. Je souhaitais, à travers lui, permettre le développement d’un personnage extérieur aux grandes puissances, directement confronté à la pire réalité de l’effondrement et qui tente malgré tout de trouver des solutions justes. Force est de constater qu’il n’y parvient pas entièrement, qu’il est brisé personnellement sous la pression des horreurs qu’il endure et d’une situation inextricable ; pourtant il conserve la lucidité de juger ses actes sans concessions. En dépit de son crime, qui relève de la crise de folie dans son cas et d’une forme de décompensation, il reste sensible et en quête du meilleur futur pour son peuple, jusqu’à offrir sa vie pour lui. Ce personnage permet d’illustrer le contexte des peuples moins riches, donc plus exposés, qui servent de pions aux grandes puissances sur l’échiquier géopolitique et qui disposent de moindres ressources pour tirer leur épingle du jeu, au plan individuel comme collectif.

 

Quels sont vos projets futurs ? Y-aura-t ’il une suite à Symphonie Atomique et d’autres histoires glaçantes sur notre futur proche ?

Pour l’instant comme je le disais plus haut, je me détends sur un roman imaginaire de fantasy. Je ne suis pas sûr qu’il verra le jour, mais après 3 ans sur Symphonie atomique et le covid, j’ai besoin de quelque chose de plus éloigné du réel. Néanmoins, j’ai des idées qui s’installent pour une future dystopie, oui.

 

Dernière question : Quelle dépêche de Radio Collapse vous a le plus été inspirée par un fait divers actuel ?

Clairement celle concernant les pompiers dans le grand nord canadien. Juste devant celle du typhon au Japon.

[On vous laisse découvrir le roman pour dénicher cette dépêche de Radio Collapse 😉]

 

Retrouvez notre avis sur Symphonie atomique, ici !