30 ans...30 ans que le public attend de voir la création infernale de Phil Tippett, présentée par Guillermo Del Toro comme le summum du génie de l'animation. Et pourtant, après festival sur festival, le voilà enfin, présenté dans une poignée de salles : Mad God, l'enfer personnel de Tippet. Retour sur cette création, son contexte, et sur son créateur.
Tippet, maître des SFX
En ce qui concerne Phil Tippett, cela ne vous évoque peut être rien, et pourtant : cet homme est le responsable d'effets visuels derrière des titans de l'histoire du cinéma comme Star Wars IV et V, Indiana Jones et le Temple Maudit, Robocop, Willow et surtout Jurassic Park (enfin, moitié, mais on vous explique ça un peu plus bas. Directeur du département d'animation du studio Industrial Light And Magic, ou ILM (studio derrière les effets spéciaux du Seigneur des Anneaux, entre autres) en 1978, il acquiert très vite une solide réputation dans le milieu du cinéma.
Le tableau étant dressé, parlons de l'année où tout a commencé : 1985. Après son travail sur Indiana Jones et le Temple Maudit, Tippet commence alors à concevoir un projet personnel qu'il réalise tout seul dans son coin pendant quelques années... Jusqu'au choc de 1993 avec Jurassic Park, où Spielberge opte pour une animation numérique au profit de la stop-motion. Ce choc lui fait réaliser quelque chose : les effets numériques pourraient mettre à l'amende la stop motion et les effets visuels traditionnels, pour lesquels il s'est donné corps et âme pendant tant d'années. Le projet qu'il avait entamé est au bord de l'abandon.
Love and Hate : a SFX's story
Une relation professionnelle se lie pourtant entre lui et le numérique, puisqu'il opère malgré tout une transition pour ILM dès les années 90, restant lié à ce monde qu'il déteste tant. Entre temps, des amis à lui découvre les ébauches de son projet personnel, et face au potentiel qu'il recèle, l'incite à reprendre le travail ! Les année passent, et le projet prend lentement mais sûrement forme, de festival en kickstarter, de courts métrage en long métrage...
Le nom de ce projet dingue ? Mad God.
L'enfer sur Terre
Visuellement, les 1h20 de métrage sont un enchaînement de tour de force technique hallucinants, qui laisse imaginer les milliers d'heures de travail derrière certains séquences. Tippet n'y va pas avec le dos de la cuillère pour donner vie et corps à un univers pour le moins singulier, peuplé d'êtres difformes et de calamités sataniques.
L'aliénation totale du corps et de l'esprit est la thématique clé qui apparaît tout du long, mettant notre mental à rude épreuve durant des séquences parfois suffocantes, où s'alterne fluides corporels et hurlements dissonants infernaux. L'histoire est ici anecdotique : un voyageur descend dans les bas fonds d'une humanité agonisante et oppressée en quête d'un lieu mystérieux. Son aventure le mènera en des lieux pour lesquels il n'existe aucun terme pour désigner l'horreur qui s'y perpétue...
Dans un élan de création cathartique, Tippet délivre une vision cataclysmique et cyclique de la déchéance humaine, avec pour arme une maîtrise absolue de la stop motion. Autant dans la fluidité que dans la variété de plans, ainsi que dans l'usage d'autres techniques filmiques, le réalisateur offre ici une création à la croisée des genres, entre post-apo, body horror, expérimental, ainsi qu'un patchwork d'influences diverses et variées, allant du cinéma de Terry Gilliam jusqu'à l'art erotico-mécanique de H.R Giger, puis des œuvres des Frères Quay jusqu'à la démesure d'un Jodorowsky.
Un retour sur le devant de la scène que l'on salue avec plaisir, même face à une œuvre aussi improbable et explosive. Mad God est en salles, alors foncez !