Critiques

Ice Cream Man : envie d'une petite glace ?

Par LuBu
5 minutes 30 avril 2023
Ice Cream Man : envie d'une petite glace ?
On a aimé
L'originalité de l'intrigue
Le style graphique agréable
La façon dont la terreur s'instaure
On n'a pas aimé
La timidité de ce qui est révélé
L'absence d'un fil rouge proéminent

Dernière nouveauté du mois de mars de l’univers horrifique en bande dessinée, la plume de W. Maxwell Prince et le talent illustratif de Martin Morazzo font plonger nos âmes candides dans le monde moribond d’Ice Cream Man, édité chez Hugin And Munnin.

L'histoire

 

Dans les petites villes américaines où l’on peut apercevoir le marchand de glaces ambulant et entendre sa douce et entraînante musique, chaque parent et enfant sait qu’il pourra prétendre à sa petite pause sucrée de la journée. Le sourire enjôleur du Ice Cream Man charmerait le plus réticent des clients, mais ses dents parfaitement blanches et polies dissimulent bien des secrets. Là où la camionnette immaculée du glacier montre son capot, un sillage de malheur et de désolation se dévoile aussitôt.

 

Notre avis

 

Ce premier volume de la saga Ice Cream Man dévoile une belle entrée en matière de ce que peut offrir la fusion entre un marchand de glace à l’apparence joviale, pleine de confiance, et de ce qui semble être l’envoyé de Satan lui-même. Dès les premières pages, les auteurs ne tardent pas à déstabiliser le lecteur. À la vue du titre et de la couverture sans équivoque de la BD, d’aucuns ne se serait attendu à découvrir la véritable nature de tous les tourments qui persécutent la tranquillité des petites bourgades outre-Atlantique. Au fil des cases diaprées aux couleurs pastel, la gaieté du camion de glaces laisse place au quotidien lugubre des citoyens de la ville, dont la cause ne réside qu’en leurs propres responsabilités. Après avoir englouti leur glace, chacun retourne à ses préoccupations enfantines, ses problèmes d’addiction ou sa vie morne dénuée de toute passion. Car là est la source horrifique et originale de l’œuvre.

 

Où d’autres ne se seraient contentés que de rendre vivant un esprit maléfique dont les sombres desseins anéantiraient toute forme de vie sur son chemin, Ice Cream Man puise son pouvoir terrifiant dans la noirceur du cœur de l’humain le plus lambda. Un enfant aux passions inquiétantes, une toxicomane aux penchants violents, une ancienne star du rock à l’esprit engourdi, chacun détient, en son sein, son enfer personnel et la raison de sa descente vers les entrailles périclitantes du monde souterrain. Mais rien n’est tout noir, et rien n’est tout blanc ; tous détiennent leur propre vérité et les fondements de leur déclin. Si chaque personne détient la clé de son bonheur et de sa réussite, l’inverse est aussi vrai, et c’est précisément ce que vient chercher Ice Cream Man. Notre marchand de glace au double visage n’est pas la source du ressentiment, de la terreur et de la ruine qui accaparent chacun des protagonistes, il n’est que le catalyseur de forces obscures ayant déjà élu foyer au sein de ces derniers. Le confectionneur de crème glacée ne vient pas refroidir les ardeurs de ces victimes, mais, au contraire, s’assure d’attiser les braises fraîchement incandescentes d’une âme en proie aux cauchemars intérieurs afin de raviver en elle les flammes du désespoir qui finira par la consumer.

 

La distribution des cases et le découpage des planches est à la fois harmonieux et intelligent puisqu’il participe à l’entretien et à l’intensification du suspense, en ne laissant paraître un dénouement ou un climax scénaristique qu’après avoir pris la peine de tourner la page, laissant la totale liberté au lecteur de contrôler à sa guise le ton dont il préfère empreindre son effroyable aventure. Le parti pris graphique fonctionne à merveille, et, même si les illustrations peuvent laisser planer une certaine circonspection au premier abord, leur style se marie à merveille avec l’intrigue et l’ambiance que souhaite faire ressentir les créateurs.

 

Ce premier tome pose sur la table de belles idées à exploiter, une mise en scène soignée ainsi qu’un angle scénaristique original. Toutefois, il nous questionne sur les véritables intentions d’un tel projet. Chacune des intrigues présentées ne semble rattachée par aucun filon qui viendrait cimenter leur cohésion en un tout incompressible. Ce n’est qu’en parcourant les dernières pages du volume que des éléments précurseurs d’un fil rouge commun n’entrent en jeu. Avec ce volet pilote, Ice Cream Man n'ajoute que quelques boules au cornet pour continuer à se délecter de sa perfidie.

 

Difficile de se faire un avis bien tranché sur la question tant les parfums ne se limitent qu’à quelques saveurs, bien que celles-ci aient été produites artisanalement, c’est-à-dire avec passion et savoir-faire. Force est de constater qu’il faudra prendre son mal en patience jusqu’à la prochaine tournée du marchand de glaces pour s’assurer que ses délices sucrés en vaillent la peine.

 

L'eau à la bouche après cette lecture ?