Critiques

Ry_ze : une nouvelle SyFantasy et Plumea

Par Plumea
5 min 26 février 2023
Ry_ze : une nouvelle SyFantasy et Plumea

Shisherry est l'auteure de Ry_ze. Cette nouvelle, comme tant d'autres écrits, a été rédigée sur son lit, à l'insu des mondes dans lesquels sa créatrice voyage et fait voyager. Car s'il y a bien une chose dont Shisherry est sûre, c'est qu'avoir les pieds sur terre n'a jamais empêché de se balader la tête dans les étoiles.

 

Titre original : RY_ZE

©Shisherry

Version PDF : selection-du-mois-fevrier-ry-ze-shisherry.pdf

 

Cette nouvelle est diffusée à titre gratuit. Elle ne peut en aucun cas être vendue.

Elle appartient à son auteur qui en laisse l’usage au site SyFantasy afin de la promouvoir et de la faire découvrir.

 

Cette nouvelle a été écrite et sélectionnée au sein du Collectif Plumea, un groupe d’entraide à l’écriture librement accessible sur Discord via ce lien :

https://discord.gg/jdMktdn6ZP

 

Elle a été retenue par la rédaction de syfantasy.fr pour ces qualités scénaristiques et littéraires ainsi que pour son inventivité.

Nous vous souhaitons une belle découverte et une agréable lecture.

 

Ry_ze

 

[Vous avez sélectionné l’option « Enregistrement » de votre implant.]

[Enregistrement en cours...]

 

Il m’attire, ce flacon.

Il ne devrait pas.

Je ne peux m’empêcher de détailler sa forme cylindrique, nette, sans fioritures. Détailler ses parois d’une matière sombre dotée d’une lueur bleutée presque inquiétante, m’empêchant de voir ce qu’il y a à l’intérieur. La fiole est maintenue fermée par une sorte de bouchon qui se marie parfaitement avec le reste du contenant.

Ah...

J’aurais aimé faire semblant, prétendre ne pas savoir ce qu’il y a dedans. J’aurais aimé retourner en arrière, et ne jamais avoir posé le regard sur les cristaux.

Mes yeux me font mal. Je peine à les maintenir ouverts. Dès que mes paupières s’écartent ne serait-ce que d’un millimètre de trop, la fumée vient attaquer mes globes oculaires comme si elle cherchait à les assécher, à les brûler.

La lumière des néons qui clignotent derrière les barreaux de ma misérable lucarne vient se déposer sur mes cils, créant de petits cercles de lumière sautillant devant mes yeux. Elle se répercute partout sur les murs, capturée par les nuages de fumée qui ont envahi le taudis qui me sert de domicile.

Pour un peu, ces tons mêlant rose vif, violet profond et bleu fluorescent auraient pu rappeler les salons de bronzage si populaires dans les Hauteurs.

Ma vision devient de plus en plus floue. Mes poumons me font mal. Ma tête me fait mal. Tout mon corps me fait mal.

Un bruit provenant de l’extérieur vient de se faire entendre, juste devant la porte de mon habitation.

Je perds de plus en plus contact avec la réalité. Mon esprit arpente des contrées inconnues, faites de couleurs et de sensations à la fois terrifiantes et enivrantes. À chaque expiration, une bouffée de fumée rose quitte mes lèvres, rappelée à mes poumons à chaque inspiration.

Une part reculée de moi reste cependant lucide, bataillant contre les sensations qui envahissent mon corps. J’espère qu’elle réussira à tenir jusqu’à la fin de cet enregistrement.

Mon regard se porte à nouveau sur le flacon. Il est là, posé sur une petite table au côté du coussin de flottaison dans lequel mon corps s’est comme dissous. On le voit à peine dans l’obscurité, mais la lumière bleutée qui émane de lui et le reflet des néons permet de le repérer.

Je m’en saisis. Au toucher, le contenant est lisse, presque doux. Ses parois sont chaudes, en total contraste avec les reflets bleus et froids qui les strient. En total contraste avec ce que le contenu du flacon est capable de faire.

De mon pouce droit, j’exerce une légère pression sur le bouchon noirâtre. Un cercle bleu se dessine fugacement dessus, puis les parois s’éclaircissent graduellement, devenant translucides.

Derrière, je vois les cristaux. Le flacon est déjà à moitié vide, mais ils sont toujours aussi attrayants. Leur forme n’est pas sans rappeler les concrétions de givre aux pointes acérées.

En voyant cela, des images s’imposent à moi. Les Hauteurs de Fherkell, avec leurs tours pointues s’élançant à l’assaut du ciel, leurs drones de surveillance veillant à ce qu’aucun individu issu des Tréfonds ne vienne polluer le paysage.

D’ordinaire, les bâtiments sont d’un gris austère. Là, ils revêtent l’allure de construction de glaces, ondulant dans l’air. J’ai l’impression de m’envoler, de prendre de la hauteur, au-dessus des drones, au-dessus des tours. Là, l’air est pur, bien plus pur que dans les Tréfonds. Je sens le vent froid sur mon corps. J’ai l’impression de flotter.

Flotter.

Violemment, je reprends possession de mon corps. Je suis toujours dans les Tréfonds, sous l’emprise de mon coussin de flottaison. Mais pas que.

Mon mal de crâne redouble. Je vois des tâches de couleur danser devant mes yeux, sautant de mur en mur, perçant l’obscurité, dansant dans la rue avec les néons.

Le bruit devant ma porte continue. D’ordinaire, j’aurais détalé immédiatement en l’entendant.

Je regarde le flacon, toujours enserré par mes doigts osseux. J’ai désormais du mal à distinguer les cristaux en son centre. Lorsque je viens presser mon pouce et mon index gauche sur les côtés du bouchon, mes mains commencent à trembler.

La fermeture du flacon se déverrouille avec un cliquetis. Une vague orange parcourt les parois de haut en bas, faisant apparaître un mot sur le côté du contenant.

Ry_ze

D’un soupir, j’expulse un énième nuage de fumée de mes poumons. De plus en plus de souvenirs ressurgissent, déformés par mon esprit. Je vois l’artère principale des Tréfonds, là où j’ai rencontré Herkephoros. Là où étals et débris s’entassent, encadrant la navigation des pauvres gens qui tentent de grappiller ne serait-ce qu’un peu d’argent. L’air y est aussi lourd que dans mon taudis, l’odeur aussi rance.

Quand j’y pense, j’ai eu de la chance de rencontrer Herkephoros. Pour un type bardé d’implants cérébraux, il avait encore un minimum de jugeote. Mon esprit embrumé peine à se rappeler son visage. Tant pis. J’ai effectué quelques menues commissions pour lui, et ça m’a sauvé la vie.

En fait, non.

Quand j’y pense, cela n’a fait que différer l’heure de mon trépas.
Une douleur vive pulse dans ma tête. C’est mon implant qui surchauffe, ou suis-je simplement en train de dériver définitivement ?
Il faut que je me concentre. Le bruit dehors s’est intensifié. Il me reste peu de temps. Herkephoros, c’était un type sympa. Du moins, je croyais. Un jour où il était dans l’impossibilité de me payer en liquide, il m’a présenté un flacon semblable à celui que je tenais dans ma main il y a quelques secondes. C’est ainsi que j’ai découvert le Ry_ze.

...

J’arrive à peine à distinguer ce qui m’entoure. Au lieu de flotter, j’ai l’impression de couler.

Cette sensation me rappelle ce que j’ai ressenti lorsque j’ai pris mon premier cristal. L’impression délicieuse de plonger dans une eau claire et propre, de dériver.

Seulement, cela avait été loin de faire aussi mal que maintenant.

Si j’avais su que cela me déchirerait autant, si j’avais su qu’un seul cristal pouvait me foutre en l’air, est-ce que je l’aurais mis dans le boîtier ? Je l’ignore.

Toujours est-il que je l’ai fait. J’ai consommé le cristal, j’ai joui de son pouvoir aussi libérateur que destructeur. J’ai visité des contrées mirobolantes, volé au-dessus de tours déformées. J’ai rêvé.

Puis j’en ai consommé un autre, le jour suivant. J’avais alors l’impression de me découvrir une force inconnue. Des images des Hauteurs m’assaillaient, je me déplaçais au milieu de leurs tours reliées par des arches tel un drone hypervéloce.

J’ai consommé un cristal tous les jours qui suivirent. Ils me transportaient dans un univers parallèle où rien ne m’était impossible. Une fois, une image s’est imposée à moi, une rêverie dans laquelle je trônais en haut de la plus haute tour de Fherkell, dominant la ville. La drogue me donnait des ailes tout en me maintenant au sol.

Plus le temps passait et moins j’en ressentais les effets. Alors j’ai augmenté la dose, quitte à ce que mes richesses en fassent les frais.

Le jour où j’ai essayé de passer des Tréfonds aux Hauteurs par un tunnel interdit a été décisif. J’ai cru pouvoir y arriver... Pauvre de moi. La décharge que m’a délivré mon implant a coupé net toutes mes envies de rébellion. Les images cauchemardesques que j’ai entrevu pendant une fraction de secondes m’ont rapidement redirigé sur le chemin de ma rêverie chimique, seule liberté que cette ville de malheur voulait bien m’offrir.

Une douleur soudaine m’enserre la poitrine.

Il faut que je me calme. Débiter des pensées claires aussi rapidement, ça fait mal. J’ai mal... Je flotte, mais j’ai du plomb pour corps. Je coule, mais j’ai du gaz pour corps.

Herkephoros avait eu raison de me dire de ne jamais dépasser un quart de flacon par prise. Il faut dire que je me traînais devant lui une à deux fois par semaine pour réclamer du Ry_ze, il fallait qu’il s’assure que je ne claque pas de surdosage.

La douleur dans mon corps s’intensifie.

En même temps, le bougre avait rapidement compris un truc : s’il parvenait à me vendre suffisamment de cristaux, je serais dépendant non seulement d’eux mais de lui. L’argent que je gagnais en travaillant pour lui repartais dans ses poches une fois les cristaux dans les miennes.

La fumée commence à avoir une odeur rance. Je n’arrive pas à tousser.

J’ignore s’il est possible de m’entendre geindre dans l’enregistrement... j’espère que non. J’espère aussi qu’on ne peut pas voir les souvenirs désagréables qui me reviennent en mémoire, distordus et encore plus terrifiants qu’en réalité. Je vois des visages aux dents acérées. Des membres bioniques flottant sans leurs propriétaires. Des implants arrachés par des voyous sur leurs propriétaires laissés pour déchets.

En même temps, je ne me laisserais pas dans cet état si ma vie laissait pas à désirer.

Le grattement devant ma porte a cessé. À la place, j’entends des gens se masser devant la porte de mon logement. Voilà le fruit de ma dernière commission. Le fruit de l’un de mes innombrables échecs.

D’un coup sec, j’enfonce mes doigts tremblants au fond de ma gorge, et saisit le boîtier qui s’y trouve, maintenu en place grâce à l’épiglotte. Un haut-le-cœur me saisit.

C’est enduit de salive que je retire l’appareil. Pas le temps de le laver. Je me saisis du flacon, tombé par terre depuis longtemps. Des larmes commencent à couleur le long de mon visage. Les cristaux sont encore dans leur tube, maintenus par le bouchon qu’il est impossible d’ouvrir complètement.

Maintenant, il me faut placer le boîtier de manière à le connecter au flacon. J’ai mal. Je secoue violemment la fiole, et tous les cristaux tombent dans l’appareil. Allez...

Mes doigts replacent péniblement l’objet à l’orée de mon larynx.

Mon corps ne me répond plus. J’ai l’impression d’avoir des langues de feu me parcourant les membres.

Une première inspiration, et je sens l’effet des cristaux s’instiller en moi. Le gaz tiré des pierres m’emplit les poumons, soulageant momentanément la douleur. J’entends des gens pénétrer dans mon appartement, prudemment. J’expire, laissant flotter une longue traînée de fumée rose. Est-ce la fumée produite par la drogue, ou celle de mon corps en flammes ?

Il y a le goût du sang dans ma bouche. Je ne vois plus rien. Je les entends qui se rapprochent. Ma tête est sur le point d’exploser. Mais je vole, je m’éloigne dans des contrées que je ne pourrais jamais visiter, des lieux fantastiques que j’aurais aimé explorer.

De toute façon, lorsque j’aurais disparu, personne ne pensera à venir me chercher.

 

[Enregistrement interrompu.]

[Sauvegarde en cours...]