Critiques

Sermons de Minuit : une pépite horrifique signée Mike Flanagan

Par LuBu
6 minutes 2 juillet 2023
Sermons de Minuit : une pépite horrifique signée Mike Flanagan
On a aimé
Un casting qui frôle la perfection
Une justesse de jeu rarement égalée
Une mise en tension permanente et croissante
Des dialogues convaincants et merveilleusement écrits
On n'a pas aimé
Un peu trop court, on aurait aimé en profiter davantage

De son nom original Midnight Mass, la petite série d’épouvante signée Flanagan parvient à concilier cinéma horrifique et narration scénaristique sans l’ombre d’un défaut apparent. Parcourant de nombreux sujets, du mysticisme religieux au destin tragique de l’être humain harcelé par ses scrupules, la série couvre bon nombre de thèmes différents mais parfaitement orchestrés, exacerbés par une ambiance lourde s'appesantissant au fil des épisodes.

 

Midnight Pray

 

La religion chrétienne au cœur des passions, Flanagan propose un continuum théologique audacieux liant à la fois piété inconditionnelle et surappropriation aveugle des Écrits fondateurs. Car si les plaies soumises aux paroles saintes peuvent effectivement se refermer, qu’elles soient l’œuvre de l’apposition du divin ou d’une quelconque singularité scientifique, d’autres maux peuvent également en surgir sans crier gare.

Dans la communauté insulaire de Crockett Island, le temps semble s’être arrêté. Sa tout juste petite centaine d’habitants vaque à ses occupations les plus élémentaires, soit pêcher ou boire. Rien ne semble dicter à quiconque ce vers quoi il devrait se tourner, si ce n’est l’église du village qui rythme les journées de ses paroissiens au fil des liturgies administrées par le prêtre attitré. Cette minuscule collectivité apparemment sans histoire verra pourtant la passivité ambiante qui la gangrène se désagréger pour laisser place à un renouveau religieux non sans conséquences.

 

En parallèle, un homme dont le passé détruit tout projet d’avenir en anesthésiant ses ressentiments présents, en proie à des tourments inextricables sous le poids d’une culpabilité certaine, débutera son chemin de croix en quête de rédemption. Toute porte à croire que l’île n’est qu’une étape subsidiaire dans la vie de ses occupants, un préambule à l’ambition qui ne pourra croître qu’en rejoignant le continent, une terre de transition pour ceux désireux de s’éloigner de leurs erreurs et de se rapprocher de ce salut que s’entête à rappeler l’église.

 

Et pourtant, tel un aimant à la puissance magnétique presque surnaturelle, le havre apaisant de Crockett Island attire irrémédiablement ceux qui tentent de s’en détourner, tout comme Dieu rappelle à lui ses brebis égarées à la recherche de pâturage plus verdoyants. Plus rien n’est à douter, tout est écrit : l’ange de paix envoyé par le Créateur absoudra les péchés des pêcheurs et rendra leur gloire aux âmes obscurcies par le voile ténébreux de l’ignorance. Tel est le devoir de tout prêtre qui se respecte que de répandre le message, et fomenter à nouveau l’armée angélique du divin contre les passions destructrices du Mal.

 

Avec Sermons de Minuit, Flanagan saute les deux pieds joints dans la problématique de l’extrémisme religieux et de sa reconstitution au cinéma. Comme tout être humain de chair et d’os, les habitants de notre petite terre esseulée font aussi face à leur lot de problèmes et de soucis. De l’embarras le plus banal aux épreuves de la vie les plus dévastatrices, personne n’est épargné, et la bourgade aux apparences lisses se révèle être le théâtre de bon nombre d’histoires aussi tragiques qu’ordinaires. Dès lors, le format huis-clos permet de s’abreuver de chacune des péripéties des protagonistes. Ces morceaux de vécus, tels des bouts de ficelle éparses sans lien apparent, tisseront un canevas riche en enjeux et en implications.

 

Une fois l’osmose scénaristique mise en place, difficile de ne s’attacher qu’à un seul parti, même les personnalités les plus bivalentes importeront. Fort de son traitement juste de la religion chrétienne, les versets des écrits saints scandent les épisodes au fil de l’hégémonie religieuse qui s’y installe, galvanisés par une bande sonore interprétant des cantiques stimulants et d’une congruité patente. À l’instar des personnages dont l’histoire se complexifie davantage, le poids dogmatique du culte s’en voit exalté, jusqu’à un point de non-retour remettant en question tous les principes physiques auxquels s’affère la science depuis des années. Point de bascule entre foi saine et dévotion aveugle, les événements miraculeux purifiant l’île périclitante prennent naissance d’une source indicible.

 

À cet instant, l’ineffable l’emporte sur la raison, qui devient là le point d’ancrage d’une ferveur aliénée et aliénante. Les messes matinales favorables à la renaissance laissent place aux messes nocturnes disposées à questionner épistémologiquement l’existence.

 

Outre ce traitement progressif de la montée en puissance religieuse et d’une mise en tension réellement travaillée, la série brille d’un casting plus que convaincant. Hamish Linklater incarne un prêtre dévoué et excessivement éloquent, qui ne cessera de laisser admettre, durant la progression de l’histoire, qu’il est l’acteur parfait dans l’interprétation du rôle.

 

Au-delà même de tout soupçon, son charisme naturel, appuyé par une écriture empreinte d’une grande justesse véhiculant une crédulité indubitable, émerveille et justifie la confiance qu’il s’octroie aussi facilement. Mais ne citer que lui ne serait pas honnête tant la totalité des acteurs et actrices participe à la consécration d’un matériau cinématographique particulièrement réussi.

 

De surcroît, tout ceci est supporté par une photographie sublime et des mises en scène remarquables, dénotant un travail de fond et de forme tout autant élaboré. Certains plans choisis renforcent spécialement les thèmes abordés, notamment pour ce qui touche à l’église et à l’engagement religieux.

Des décors grandioses et une lumière maîtrisée complètent la panoplie visuelle d’exception que cherche à transposer Flanagan, engendrant une atmosphère de terreur, de malaise et de fanatisme. Le côté presque voire complètement surnaturel et paranormal des événements rayonne donc bien à travers l’île et ses autochtones, offrant de beaux moments propices à l’inconfort psychologique.

Finalement, celui qui est à l’origine des fameux The Haunting perdure dans sa traversée de l’horreur, en proposant une nouvelle pépite parfaitement adaptée aux attentes escomptées, dont l’originalité et le soin de son polissage ne peuvent provoquer que des retombées élogieuses et salutaires.