Critiques

Tress de la mer émeraude : le dernier Sanderson, roman doudou d'aventure

Par Maxime - Carraz
5 min 25 janvier 2023
Tress de la mer émeraude : le dernier Sanderson, roman doudou d'aventure
On a aimé
- Un narrateur exceptionnel !
- Une ambiance de conte complexe
- Plein d'éléments magiques qui font voyager
On n'a pas aimé

Mercredi 11 janvier sortait le premier roman du projet secret de Brandon Sanderson, Tress de la mer d’émeraude, chez le Livre de Poche.

Malédictions loufoques, laveuse de vitre amoureuse, pirates au coeur d’or dont les voiles claquent sur un océan de spores colorés : joli script, un peu trop joli même, a priori, aux airs de conte de fée délavé.

Or ce n’est pas ce que nous propose Sanderson, qui se met, en quelque sorte, à côté du conte. Parce que son roman n’est pas franchement de la Fantasy, il devient un cadre où résonne particulièrement bien le ton propre à l’auteur - badinant, intime et mondain à la fois.

 

Le résumé

 

Tress prend tristement racine sur l’île stérile qui l’a vu naître, son horizon ne s’abat que grâce aux tasses que lui offrent quelquefois les marins en escale sur le Rocher. Alors son imagination l’emporte - ou plutôt celle de Charlie, et Tress navigue sur l’histoire de ces tasses qu’improvise son amant.

Mais le devoir de Charlie l’éloigne : son père lui enjoint de trouver une épouse. L’amant refuse, on l’envoie combattre une Sorcière - La Sorcière - et son père, duc du Rocher, prend pour nouvel héritier son neveu. Un homme à la mâchoire si droite et rigide que même les dockers sentent des morceaux cachées de leur anatomie le devenir aussi. Bref, chacun semble satisfait de cette substitution. Sauf Tress.

Elle doit donc s’échapper de l’île, et voilà bientôt qu’elle rencontre des pirates, grâce auxquelles elle voyage sur les mers de spores, se rapprochant peu à peu de son amour enlevé. Mais saura-t-elle convaincre ses compagnons de l’accompagner sur la mer de Minuit, et vaincre la Sorcière ?

 

 

Notre avis

 

Vous vous en doutez, ce scénario est davantage un support pour l’écriture, qu’une de ces constructions infiniment complexes et pleines de rebondissements à la Game of Thrones. Mais il ne manque pas d’intelligence ou de subtilité. Un peu plus que de quoi maintenir éveillé l’interêt du lecteur, et sans avoir le coeur serré ni la perle de sueur au front, vous ne vous forcerez jamais à tourner les pages - cherchant plutôt des excuses pour continuer le récit, quitte à lui sacrifier quelques heures de sommeil.

 

Je ne crois pas que ce soient non plus les personnages qui font le charme particulier de Tress de la mer émeraude, ni l’immersion dans l’histoire : ce roman est une voix avant tout, et une des plus réussies, et originales, par ce qu'elle a d'intime et de familier, de la fantasy contemporaine.

Le Chant de la Corneille, sur lequel navigue notre héroïne, se révèle un espace plutôt fonctionnel, une maison qui bouge et guère plus ; les évènements portent sur les personnages, leurs relations, et l’évolution de Tress. Mais là, semblablement, l’évolution peut paraître légère : Tress découvre le monde et qui elle est au passage, ce qui la conduit à revoir le regard qu’elle porte sur sa personne et sa place dans la société. Tout cela est bien réalisé, mais vous ne vous surprendrez pas à fredonner des chants de marins sous la douche, une part de vous-même restée sur les mers de spore.

 

Bizarrement, c’est là le coup de force du livre : c’est par l’illusion de la vérité que nous agrippe la Fantasy, dans un monde qui ne peut pas être ; Sanderson nous répète sans cesse à sa manière que tout son roman n’est qu’invention, et nous passionne. Le narrateur, un matelot, du nom de Hoid, momentanément frappé de folie à bord du Chant de la Corneille, nous rappelle à chaque page ses talents d’affabulateur, et le doute finit toujours par s’installer : ce récit que l’on tient en main n’est-il pas un autre de ses mensonges ? Cela va-t-il nous le faire refermer ? Bien sûr que non.

 

Ce doute est utile au roman, car il retourne le texte, pour ainsi dire. On s’intéresse aux aventures de Tress, et l’on est happé par la voix de Hoid, à qui l’on confie toute l’existence du récit. On lui pardonne son badinage et ses moqueries, pourvu qu’il ne se taise pas. On est comme des gosses impressionnés, qui ne savent pas dissocier le plaisir que leur donne une histoire de la virtuosité de son conteur. Ce qui nous fait revenir à la manière dont Sanderson définit son livre : un conte pour adultes, complexe et bourré de chouettes références.

 

Au demeurant, n’oublions pas qu’il s’agit là d’un coup d’essai, fait par l’auteur pour s’habituer à la voix d’Hoid, à qui il compte donner la parole encore dans quelque prochain roman.

N’oublions pas non plus que Tress de la mer émeraude est un livre écrit pour le plaisir d’écrire, que Sanderson ne destinait qu’à son épouse : et c’est comme si tout le roman contenait un immense "tu", qui dans la simplicité du conte insuffle la présence qui lui donne tant de charme.

 

Pour découvrir d'autres récits de grandes aventures, on vous propose cette chronique sur Les Indes Fourbes, d'Ayroles et Guarnido, ou bien celle sur le T.01 du Prélude au Ragnarok de Fédérico Saggio, aux éditions Cavaliers Seuls !