Le shōjo ce n'est que pour les filles ? Et le shōnen pour les garçons ?
Dans le premier on ne trouve que des histoires d'amour un peu mièvre.
Et le second n'a -t-il pas toujours pour héros, un jeune garçon en mal d'aventure ?
Est-ce qu'on ne connaît que le second car le premier n'en vaut pas la peine ?
Ne vaudrait-il mieux pas chercher à en savoir plus sur cette drôle d'affaire ?
Heureusement, Les moutons électriques nous proposent deux livres pour vous aider à y voir plus clair : Shōjo et Shōnen.
Collectif d'auteurs talentueux, photographies qui font rêver, retour en enfance et regard vers l'avenir... L'univers des mangas n'a pas fini de vous étonner !
Avec Alex et Drago, plongez à la découverte des deux genres fondateurs de la BD japonaise.
Deux critiques, deux livres, deux genres
Une double aventure pour une double dose de passion !
Shōjo ? Si vous n'êtes pas un fana de mangas, un spécialiste de ces « scénarios réduits à leur plus simple expression » (charmante expression de Ségolène Royal, connue pour sa croisade contre les mangas et autres animés), ce terme doit vous être étranger. Si vous vous y connaissez un peu plus, comme moi, vous avez dû vous dire quelque chose comme « ah oui, le shōnen pour les filles ». Evidemment, la réalité est bien plus complexe, et on se mord les doigts une fois refermé ce bel album (que j'ai lu numériquement) : comment passer à côté d'un tel continent avec un simple regard dédaigneux, en considérant toute la complexité d'un genre aux frontières troubles et aux grands enjeux sous le simple le aspect du genre ?
Le groupe CLAMP, dont les membres ont été très importantes pour le Shōjo
Ces 272 pages, rédigées par cinq auteurs, prennent le temps de parcourir toute l'histoire, tous les sous-genres et différentes autrices et auteurs du shōjo (il y a en effet quelques hommes qui publient des shōjos, mais ils sont minoritaires, j'utiliserai donc le féminin), ce qui est un bel exploit, tant pour la plume que pour le lecteur. S'il y a parfois une tendance à accumuler les titres en guise d'exemple, ce qui peut décourager le néophyte, le principal intérêt de ce livre réside dans la multitude de pistes qu'il ouvre, que ce soit les œuvres qu'il indique, les catégories qu'il explore, les autrices qu'il présente. On en ressort un peu étourdi, effaré de découvrir qu'on ignore des champs complets du manga, et pressé d'y remédier, rempli d'idées et d'envies.
Les illustrations sont à la fois parfaites pour décorer le livre et rendre la lecture plus agréable, mais aussi pour saisir l'esthétique propre au shōjo, qui est si souvent déconsidérée et présentée de façon caricaturale. Quand on découvre à quel point ces traits caractéristiques (grands yeux, visages fins, entrelacs végétaux,...) sont issus d'une lente évolution, et montrent un mûrissement certain du genre, qui est conscient de son histoire, on se demande pourquoi et comment la majorité des lectrices et lecteurs français l'ignore complètement. Plusieurs raisons sont évoquées, la principale étant la tendance spontanée à écarter ce qui est considéré à tort comme un genre dérivé, un « manga pour femme », alors que son histoire en réalité est parallèle et s'entremêle à celle du shōnen notamment, jouant sur les attendus et les clichés propres à tout genre artistique.
Il y a en effet beaucoup à dire sur les poncifs du shōjo (histoires sentimentales, héroïnes naïves, sentimentalisme débridé,...) : ils sont souvent grossis au verre de la misogynie la plus crasse, et ils ne se retrouvent pas toujours, comme le montre l'exemple de shōjos avec des héros masculins, des histoires gores au possible, et j'en passe. Car le shōjo est avant tout une catégorie de magazines de pré-publication, c'est-à-dire qu'il classe les livres, mais qu'il ne s'agit pas d'une frontière définie, avec des critères aussi simples que « jeunes femmes de moins de 18 ans ». Car, en y réfléchissant bien, c'est complètement idiot comme façon de réagir, non ? Comment classeriez-vous Manon Lescaut de l'abbé Prévost, alors que son histoire peut semble naïve moralement (à première vue), et hautement sentimentale ? Il me semble que les livres gagnent à être déclassés, et à être cueillis quand l'intérêt nous saisit, et souvent aussi un peu par hasard, au gré des rencontres et des surprises. Cela, je l'avais compris il y a bien longtemps pour la littérature ; il me fallait encore dépasser mes aprioris pour le manga.
Pas certain que tous les professeurs approuvent la classification de Manon du côté des héroïnes de Shōjo ; mais pour mieux en juger, lisez les deux !
Ce n'est donc pas seulement un livre plaisir, qui cherche à populariser un loisir et une littérature, c'est également, comme le précise la conclusion, un livre manifeste, qui veut ouvrir la piste à d'autres travaux, et à d'autres lectures. Il est en effet nécessaire que le public français, si friand de mangas, se familiarise avec cet « autre » manga, afin de ne pas s'aveugler d'une vision tronquée sur le genre japonais. Il s'agit donc d'une lecture essentielle, aussi bien pour les fans qui profiteront au mieux des conseils de lecture, que pour les dilettantes qui en ressortiront avec une culture plus étendue et plus juste, et, pourquoi pas, une pile de mangas à lire.
Intrigués ? Courez voir les Moutons !
Envie de découvrir un shōjo ? Aetherys a de quoi vous contenter !
Et ici une petite vidéo intéressante sur le succès du manga en France, qui est quand même le deuxième pays du genre ;)