- La prose de Texier !
Dans une volonté d'enrichir leur collection spécialisée dans les romans graphiques La Bibliothèque Dessinée, Les Moutons Électriques nous offre Fumée, un roman illustré ravageur prenant pied dans la France des années des 50, et où narcotique rime avec onirique.
Tandis que Nicolas Texier (Monts Et Merveilles, les Ménades) nous enivre de sa prose exquise et exigeante, Melchior Ascaride (graphiste principal des Moutons Électriques) enveloppe le récit avec sa patte graphique minimaliste, développant un récit halluciné de toute beauté.
L'histoire
L'histoire est donc celle d'une enquête digne des vieux polars, menée tambour battant par un inspecteur de la Sûreté Publique à la recherche d'une jeune fée nommée Nicotine.
Notre cher inspecteur sent bien, en remontant sa trace, que c’est jeune femme est liée à quelque chose de bien plus gros qu'elle-même. Et de bien plus dangereux, accessoirement. Pourtant, il n'a pas le choix que de continuer tant il est enivré par l'aura qu'elle laisse derrière elle, et c'est complètement accro que notre enquêteur s'enfonce dans la fumée...
Notre avis
Autant ne pas soupeser mes mots, cette Fumée que nous offre le duo Texier-Ascaride est une petite perle de composition graphique et scénaristique. Dans l’océan de béton et de fumée qu’est ce Paris étouffant, le récit mêle habilement une critique sociale acerbe d'une France post-Algérie, le conte onirique et le récit policier à l'ancienne.
Le tout est illustré avec maestria par Ascaride au travers d'une mise en scène inventive, qui arrive à exploiter la graphie du texte afin de la tordre, de l'étirer et ainsi ne plus simplement poser des phrases sur une page : le texte fait partie intégrante du processus créatif, elles expriment des émotions que ressent le protagoniste, elles obligent le lecteur à tourner son livre dans divers sens… d'une lecture passive, on passe à une lecture presque interactive. Un autre point fort de l'œuvre est ce qui fait justement le parti-pris esthétique de la Bibliothèque Dessinée, à savoir une bichromie, ici en noir et bleu, évoquant la teinte bleuâtre que prend la fumée parfois.
Quant à notre enquêteur, il se révèle être une figure torturée par la guerre et ses fantômes. Cependant, il laissera dans notre esprit un sillon vaporeux qui mettra fort longtemps à s'en extirper, tant sa quête de Nicotine résonne comme une parabole universelle sur l'addiction.
L'addiction au tabac, certes, mais aussi et surtout l'addiction sans fin à l'amour de l'autre et à ce qu'il peut nous apporter, quitte à nous blesser et à ne laisser dans notre esprit que la fumée d'un souvenir douloureux.
Cette petite beauté graphique est à consommer sans modérations juste ici !
Pour découvrir d'autres bijoux graphiques, on vous recommande aussi le Dracula de Georges Bess, ou Les Indes Fourbes, d'Ayrolles et Guarnido !